L’Italie vote à l’ombre des fascistes

À la veille des élections législatives du 4 mars, l’extrême droite, proche ou alliée de la droite berlusconienne, pèse lourdement sur un débat politique capté par la question des migrants.

Olivier Doubre  • 28 février 2018 abonné·es
L’Italie vote à l’ombre des fascistes
© photo : Une affiche lacérée de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, qui se verrait bien diriger en coulisses le nouvel exécutif.AFP/alberto pizzoli

Macerata, chef-lieu de province de la région des Marches (au centre du pays), 43 000 habitants environ, samedi 3 février, 23 heures. Un militant néofasciste, Luca Traini, 28 ans, travaillant comme videur, ancien candidat de la Lega (Ligue) aux municipales, tire au pistolet et blesse six Africains dans des quartiers qu’il sait fréquentés par de nombreux immigrés. Aucun, heureusement, n’est tué, mais plusieurs subissent une opération d’urgence à l’hôpital.

Traini se rend ensuite devant l’imposant monument aux morts de la ville, construit sous Mussolini. C’est là qu’il est arrêté, drapeau italien dans le dos, faisant le salut fasciste. On retrouve chez lui de nombreux écrits d’extrême droite. Sur une de ses tempes, un tatouage fait clairement référence au nazisme. Poursuivi pour « tentative de massacre avec la circonstance aggravante de crime raciste », il explique son acte par la volonté de venger l’assassinat d’une usagère de drogues de Macerata, duquel est accusé un Nigérian, son dealer supposé.

Très vite, les formations d’extrême droite cherchent à disculper le tireur. Les plus radicaux, comme CasaPound (qui dit regrouper « les fascistes du XXIe siècle ») ou le parti d’ultra-droite Forza Nuova (et sa liste « L’Italie aux Italiens »), apportent (à peine à demi-mot) leur soutien à Traini, organisant une marche pour la jeune droguée retrouvée morte. Multipliant les rassemblements ces derniers jours, provoquant des contre–manifestations antifascistes.

En Pologne, une droite ultraconservatrice

Si la Pologne ne compte aucune formation importante à droite de Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, c’est que ce parti ultraconservateur occupe tout bonnement déjà une grande partie de l’espace généralement préempté par l’extrême droite : restrictions sévères de la liberté d’expression (dans les médias ou le domaine de la culture), attaques contre les droits des femmes, l’indépendance de la justice, etc. En particulier, le PiS s’arc-boute sur une rhétorique xénophobe, refusant autant qu’il est possible l’accueil de nouveaux réfugiés ou migrants. Multipliant les atteintes aux libertés civiles et aux droits fondamentaux, en dépit des timides sanctions prises par la Commission européenne, le parti au pouvoir en Pologne parvient ainsi assez naturellement, par sa politique et sa stratégie, à couper l’herbe sous le pied aux surenchères extrémistes, et à éviter le développement d’une formation concurrente sur sa droite.

Plus préoccupant à terme, Matteo Salvini, leader de la Ligue, déclare que « le problème, ce n’est pas Luca Traini, mais bien l’invasion des migrants en Italie ». Une position qui éclaire crûment la teneur du débat politique en Italie, à quelques jours des élections législatives du 4 mars, alors qu’aucune réaction d’unité nationale ne vient condamner l’acte odieux. Le samedi suivant, 10 février, une imposante manifestation antifasciste a lieu à Macerata – sans le Parti démocrate (PD) de Matteo Renzi, qui a refusé d’y participer. Même si le samedi 24, ultime week-end avant le vote, les Démocrates finissent par rejoindre la grande manifestation qui se tient à Rome…

La Ligue, c’est le nom rénové de la Ligue du Nord, après que ce parti xénophobe s’est transformé pour acquérir une surface nationale, abandonnant au passage le dogme du séparatisme régional de la riche partie septentrionale du pays pour mener presque exclusivement campagne contre l’immigration. À l’occasion de ce scrutin législatif, Matteo Salvini s’est allié à Silvio Berlusconi (Forza Italia). L’attelage, s’il l’emporte, comme l’indiquent les derniers sondages, prévoit que celui des partis arrivé en tête choisira le président du Conseil. Or, l’extension territoriale de la Ligue a porté ses fruits : elle recueillerait près de 14 % des suffrages, sur les talons de Forza Italia, estimée à 16 %.

Dans une Italie désemparée par le flux des migrants, cette droite radicale qui fait bon ménage avec son extrême a le vent en poupe. Le gouvernement mené par le pâle Parti démocrate avec le président du Conseil, Paolo Gentiloni, et une partie du centre-droit (essentiellement d’anciens berlusconiens éloignés de leur mentor) se vante sans cesse de ses « résultats contre l’immigration, alors que la Ligue ne sait semer que le désordre », par la voix de Domenico Minniti.

L’actuel ministre de l’Intérieur, qui a fait toute sa carrière dans le PD, est à l’origine de l’accord financier avec les autorités de Tripoli pour que les garde-côtes libyens empêchent autant que faire se peut le départ des embarcations de fortune pleines de candidats à l’immigration vers les côtes italiennes. Il se veut aussi homme à poigne, renvoyant dos-à-dos ce qu’il appelle les « extrêmes » : néofascistes et manifestants antifascistes, faisant d’ailleurs souvent charger par la police les plus radicaux de ces derniers, afin de protéger les meetings des formations d’extrême droite. Les militants antifascistes en ont fait l’une des cibles principales de leurs attaques, notamment du fait de sa politique migratoire nettement répressive.

Par ailleurs, la gauche de gauche, qui prend part à tous les rassemblements antifascistes, est particulièrement divisée. Essentiellement entre une alliance intitulée Potere al Popolo (« Pouvoir au peuple »), laquelle regroupe les communistes orthodoxes et des mouvements citoyens anticapitalistes locaux, et Liberi e Uguali (LeU en abrégé, « Libres et égaux ») rassemblant les militants de diverses scissions de gauche du PD, après son inexorable glissement vers le centre. Selon de récents sondages, Potere al Popolo ne serait pas en mesure de dépasser le seuil minimum de 3 % des voix pour obtenir des élus à la proportionnelle [1]. En revanche, LeU devrait obtenir près de 25 sièges à la Chambre et une douzaine au Sénat, tous via le scrutin proportionnel.

Enfin, dernière force qui, elle aussi, tient un discours stigmatisant les immigrés, couplé à un libéralisme économique assumé, le Movimento 5 Stelle (M5S ou « Mouvement 5 étoiles », de Beppe Grillo) devrait sortir, selon la majorité des enquêtes, en tête du scrutin. Cependant, refusant toute alliance à gauche ou à droite, il devrait rester en dehors des accords futurs pour former le prochain gouvernement.

Tous les regards sont donc tournés vers la coalition Berlusconi-Salvini, qui s’est adjoint le renfort de Fratelli d’Italia, formation qui se veut l’héritière du vieux MSI, le parti néofasciste d’après-guerre. L’addition de leurs voix pourrait donner à cette alliance la majorité absolue au Sénat, mais peut-être pas à la Chambre des députés. Plusieurs observateurs ne croient cependant pas au « pire », jugeant que la sulfureuse Ligue ne coiffera pas sur le poteau Forza Italia, qui aurait alors la main pour choisir le président du Conseil. Il ne s’appellera pas Silvio Berlusconi, inéligible du fait de ses nombreuses affaires judiciaires, mais son parti reviendrait au pouvoir, comme en 1994 (durant moins d’un an), et surtout de 2001 à 2006. Le grand retour du Cavaliere, qui, à 81 ans, se verrait bien diriger – de l’extérieur – le futur exécutif.

Celui-ci serait-il constitué autour de la seule coalition victorieuse ? Pas sûr. Il se pourrait même que la menace de la Ligue incite une partie des élus de Forza Italia à se démarquer de leur leader pour bâtir une « grande coalition » à l’allemande avec le Parti démocrate, emmenée par l’actuel président du Conseil, Paolo Gentiloni, modéré. Climat politique oblige, celui-ci n’a d’ailleurs pas démissionné, comme le veut la tradition en Italie à la veille de toute élection législative. Il s’est même rendu la semaine passée à Berlin et n’a cessé, durant ce déplacement, d’assurer Angela Merkel et la classe dirigeante allemande qu’en Italie « les populistes ne l’emporteront pas ! ».

En rompant avec ses années « séparatistes », la Ligue a adopté un programme peu ou prou similaire à celui des autres partis d’extrême droite en Europe, focalisé sur le rejet des immigrés et l’euroscepticisme. Le parti est ainsi aujourd’hui membre, au niveau européen, du groupe auquel appartient le Front national français (Marine Le Pen et Matteo Salvini se sont rencontrés très souvent). Il travaille à consolider son implantation dans toute la péninsule, et gagne notamment de plus en plus de suffrages dans les régions centrales, dites autrefois « rouges », anciens bastions du PD dont les électeurs traditionnels sont décontenancés par les reniements de leur parti.

Dans un pays qui demeure, avec la Grèce, la principale porte d’entrée des réfugiés en Europe (près de 200 000 l’an dernier), la question migratoire est devenue centrale dans le débat politique. Au point d’avoir placé cette campagne législative sous l’influence presque totale des idées et de la stratégie de l’extrême droite. Et les rapports de force électoraux en sont affectés au point que le PD lui-même, en voie de recentrage permanent, se livre aujourd’hui à un jeu dangereux. Il a été jusqu’à débaucher et à présenter des candidats comptant jadis parmi les plus proches de Berlusconi au pouvoir, et se présente comme le garant de l’ordre en renvoyant souvent dos-à-dos fascistes et antifascistes radicaux sur le thème « des extrêmes qui se rejoignent ».

La réponse qu’apporteront les urnes, le 4 mars, sera scrutée avec une attention toute particulière en Italie, bien sûr, mais également au-delà de ses frontières. Alors que les dernières semaines de campagne ont vu se succéder à travers tout le pays des rassemblements d’héritiers du fascisme ne cachant rien de leur filiation et de leur xénophobie, les différents observateurs ne devraient pas manquer de rappeler que l’Italie a bien souvent été qualifiée de laboratoire politique précurseur, dans cette Union européenne dont elle est l’un des membres fondateurs.

[1] Une part des sièges est élue au scrutin uninominal majoritaire, une autre à la proportionnelle, ce qui laisse plus de chances aux petites listes.

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