Une nuit de liesse populaire

Dans les rues, des citoyens de tous âges, classes et origines ont célébré dans la ferveur la victoire des Bleus, celle d’une « France multicolore ».

Daryl Ramadier  • 18 juillet 2018 abonné·es
Une nuit de liesse populaire
© photo : Dans la fan-zone de l’Hôtel-de-Ville de Paris pour France-Belgique, le 10 juillet.crédit : Yann Castanier/AFP

Combien étaient-ils à faire la fête dans les rues entre dimanche soir et lundi matin ? Plusieurs millions, des Champs-Élysées de Paris à la fan-zone martiniquaise de Madiana en passant par le Vieux-Port de Marseille, le stade Chaban-Delmas à Bordeaux ou encore l’espace Georges-Frêche de Mende. Un déplacement massif des foules que seul le ballon rond occasionne.

À Paris, il fallait se rendre tôt aux abords du Champ-de-Mars pour entrer dans la fan-zone de 90 000 personnes. Les plus déterminés sont arrivés dès le lever du jour, pour une finale France-Croatie programmée à 17 heures. À midi, la queue s’étire sur plusieurs centaines de mètres. Ça se bouscule, ça joue des coudes dans l’inquiétude de ne pas pouvoir entrer à temps. Les barrières, tenues par les forces de sécurité, manquent de chavirer. La tension monte avec la température. Au pied des écrans géants, surplombés par la tour Eiffel, circuler dans la foule est difficile. Certains s’assoient pour reposer leurs jambes, ou simplement garder leur place. « Va voir le match chez ta mère si t’as envie de rester assis ! » entend-on. On est alors loin de la fraternité populaire. Mais, à 17 heures, la « magie du foot » réduit à néant ces bisbilles au profit de ce que le sport a de plus beau : la communion de personnes de tous les âges, de toutes les couleurs et de différentes origines sociales, qui ne se réuniraient pas d’ordinaire, ensemble et animées du même espoir.

La moyenne d’âge tourne autour de la trentaine. Beaucoup n’ont pas vécu le France-Brésil du 12 juillet 1998. La rencontre est pourtant dans toutes les têtes. « Tu te rends compte : il y a vingt ans, nos parents étaient là, maintenant c’est nous ! », s’enthousiasme Raphaël. « On en a tellement entendu parler, nous aussi on veut le vivre ! », confie Antoine, drapeau tricolore sur le dos. Chacun des quatre buts des Bleus est une explosion de joie et d’embrassades. Le coup de sifflet final de l’arbitre donne le signal du début de la fête.

Un immense cortège converge alors vers l’avenue des Champs-Élysées, dansant sur les notes de Gloria Gaynor et de Magic System – deux références qui symbolisent presque la réunion de générations différentes. Dans les rues adjacentes au Champ-de-Mars, quelques Parisiens envoient depuis leurs balcons de quoi rafraîchir les supporters assoiffés. Le réceptionniste d’un hôtel quatre étoiles, rue Dupleix, accepte de servir des verres d’eau à un groupe de jeunes. « Moi, c’est ma deuxième Coupe du monde », glisse-t-il fièrement. Sous l’Arc de triomphe, des dizaines de milliers de supporters se prennent par les épaules. « C’est un pèlerinage ! », rigole Antonin, étudiant en histoire venu de la Sarthe pour « vivre ça ». Le ciel, couleur rouge fumigènes, est acquis aux Bleus.

Une heure du matin : la cadence des coups de klaxon ne ralentit pas. Dans un bar du Ier arrondissement, près de la place du Châtelet, des inconnus s’enlacent et s’embrassent inlassablement. La télévision repasse en boucle les images de la journée. On y voit Emmanuel Macron exultant après la victoire française. Étienne, de l’école militaire de Saint-Cyr, soupire. Lui se dit plutôt très à droite, « mais ce soir on s’en fout, on a gagné. Le sport, ça passe avant tout ». Les replis identitaires sont atténués… du moins pour quelques heures. Les dérapages racistes n’ont pas manqué durant la Coupe du monde, des internautes allant jusqu’à parler de « l’équipe de France d’Afrique », en référence à la couleur de peau des joueurs.

Le temps de la France « black-blanc-beur » est peut-être passé, mais la génération 2018 écrit une nouvelle page d’une histoire toujours aussi multiculturelle. « Le sport est universel ! affirme Walid, qui se demande déjà quand sera disponible le maillot à deux étoiles. La France de Deschamps, Mbappé, Pogba, Griezmann… est une France multicolore ! » Elle aide en tout cas à faire tomber les murs. Celui qui s’était instauré entre les Bleus et leurs supporters, après le fiasco du Mondial 2010 en Afrique du Sud, n’est plus que de l’histoire ancienne.

Cette ferveur massive, spontanée, est rare et belle. La récupération politique est inévitable (lire ici), mais les supporters assurent ne pas vouloir regarder les choses naïvement. _« Qu’on ne vienne pas nous donner des leçons du type “c’est que du foot, vous vous faites avoir…” On sait très bien que ça ne va pas régler tous les problèmes ! s’énerve Maxime en lisant des réactions sur Twitter. Mais on a aussi besoin de ces moments, d’être heureux tous ensemble » pour faire face aux difficultés du lendemain. Le temps d’une soirée, d’une bouffée d’oxygène sur les Champs-Élysées. « Footeux » ou pas.

Société
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