Samir Amin : Un marxiste du Sud

L’économiste franco-égyptien Samir Amin fut l’un des initiateurs des Forums sociaux mondiaux.

Olivier Doubre  • 29 août 2018 abonné·es
Samir Amin : Un marxiste du Sud
© photo : INDRANIL MUKHERJEE / AFP

L’une des plus importantes fondatrices du quotidien de la gauche critique italienne Il Manifesto, auquel Samir Amin collaborait depuis des décennies, Luciana Castellina (exclue du PCI, comme tous ses camarades du journal, en 1969), lui a rendu hommage au lendemain de sa disparition en ces termes :

Pour nous, du Manifesto, Samir Amin a été très important : il fut l’un des premiers marxistes du tiers-monde, qui nous enseigna à raisonner en termes de globalité mondiale et de ce que signifiait “l’accumulation du capital à l’échelle mondiale”, en dehors du ghetto eurocentré. Si le Manifesto a été l’expression d’une gauche riche et articulée, nous le devons à cette sorte de greffe, qui n’a jamais eu les caractères d’un tiers-mondisme se désintéressant des problématiques du capitalisme avancé, ou pire, empreint de méfiances identitaires.

Disparu le 12 août dernier à 87 ans, marié à une Française, Samir Amin, intellectuel né en Égypte, embrassa très tôt le marxisme, d’abord orthodoxe, en jouant un rôle de premier plan aux débuts du régime de Nasser, puis dans le Mali progressiste d’après l’indépendance, avant de s’intéresser autant à la Chine maoïste qu’à la Yougoslavie de Tito (notamment à l’autogestion qu’elle prôna un temps) et au mouvement des non-alignés après la conférence de Bandung (1955). Auteur de nombreux livres, dont certains avec Immanuel Wallerstein, le créateur états-unien du concept de « système-monde », Samir Amin n’a eu de cesse de travailler à une nouvelle (ou Cinquième) « Internationale des travailleurs et des peuples ». C’est ce qui l’amena à s’engager pleinement dans l’aventure altermondialiste et notamment du Forum social mondial, dont le premier eut lieu à Porto Alegre en 2001 (après la naissance du mouvement au cours des émeutes de Seattle en 1999).

Soutien indéfectible de nombreux partis, associations ou mouvements progressistes du Nord mais surtout du Sud, il resta fidèle à un socialisme non dogmatique, toujours prêt qu’il était à critiquer les impasses nationalistes du tiers-mondisme et à partager son espérance enthousiaste et tenace d’« un autre monde possible ». Il ne se ménageait d’ailleurs pas dans les confrontations qu’il acceptait avec les plus jeunes parmi les militants engagés dans tous ces mouvements et organisations, les accompagnant toujours d’un regard bienveillant.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre
L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement
Histoire 4 décembre 2025

L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement

Ce texte fut ensuite amendé par certains militants et grandes signatures, en premier lieu celle de Pierre Bourdieu. Mais les cinq rédacteurs de sa première version – qu’a retrouvée Michèle Riot-Sarcey et que nous publions grâce à ses bons soins – se voulaient d’abord une réponse aux soutiens au plan gouvernemental.
Par Olivier Doubre
Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff