Le monde selon l’arbre

Le Festival America réunit à Vincennes une large part du milieu littéraire anti-Trump et post-accord de Paris. Dont l’écrivain Richard Powers.

Ingrid Merckx  • 18 septembre 2018 abonné·es
Le monde selon l’arbre
© Photo : Hannah Assouline / Opale / Leemage / Éditions du Cherche-Midi

Il est une tradition consistant à planter un arbre à la naissance d’un enfant. Elle existe en France comme aux États-Unis. « Quel est le meilleur moment pour planter un arbre ? Vingt ans plus tôt », dit aussi un proverbe chinois, qui ajoute : « Et à défaut, quel est le meilleur moment ? Aujourd’hui. »

En arrivant aux États-Unis, Sih Hsuin, ingénieur chinois rebaptisé Ma Winston, a planté avec sa jeune épouse un mûrier dans leur jardin de Pittsburgh. « Un arbre unique doté des deux sexes, plus ancien que la séparation du yin et du yang, l’Arbre du renouveau, l’arbre au centre de l’univers, l’arbre creux qui abrite le tao sacré. » L’arbre sous lequel leurs trois filles vont s’asseoir et grandir. L’arbre qui est à la fois le pivot de L’Arbre monde de Richard Powers et un témoin silencieux.

Personnage et spectateur, le mûrier des Winston regarde les années passer sur cette famille et s’attarde sur quelques scènes clés. Cet effet de zoom-dézoom peut donner un léger vertige jusqu’à ce que le pli soit pris de cette plaisante gymnastique à laquelle invite l’écriture de Richard Powers. Prendre de la hauteur pour observer plusieurs générations depuis les cimes, puis plonger jusqu’à terre pour un gros plan sur un personnage comme Mimi Ma, les bagues de jade, ses rêves sur ses ancêtres arhats, ses souvenirs de son père pêchant à Yellowstone. Des moments enchantés qu’enrobe le jeu de métaphores auquel s’emploie non sans humour cet écrivain de l’Illinois, lauréat du National Book Award en 2006 pour La Chambre aux échos, et en lice, avec ce 12e roman, pour le Grand Prix de littérature américaine.

Des châtaigniers chez les Hoel, une espèce pour chaque enfant chez les Appich : le frêne de Jean, l’ostryer d’Emmet, l’érable d’Adam et l’orme de Leigh, attaqué par le même champignon que celui qui a décimé les ormes de Détroit et de Chicago… Enquêtant sur la communication entre les arbres, la botaniste Pat Westerford finira par réunir les différents personnages de L’Arbre monde autour d’un séquoia menacé de disparition.

« Éco-fiction », s’appellerait cette littérature post-accord de Paris sur le climat, dont il sera forcément question lors de la table ronde « Promenons-nous dans les bois » organisée le 22 septembre par le Festival America (dont Politis est partenaire) à Vincennes. Aux côtés de Richard Powers : Jean Hegland, auteure de Dans la forêt (Gallmeister), un roman post-apocalyptique dans lequel deux sœurs survivent dans une maison frappée par le malheur et la précarité. Isolées en pleine forêt, elles dénouent un à un les fils qui les relient à une société de consommation et de communication en plein effondrement. Présente aussi, la Québécoise Andrée A. Michaud, qui, dans Rivière tremblante (Rivages), fait disparaître deux enfants dans un bois à trente ans d’intervalle.

Autre sujet résolument anti-Trump de cette 9e édition célébrant le Canada et John Irving : le drame des exilés mexicains. La table ronde « Passer la frontière » rassemblera Emiliano Monge (Les Terres dévastées, Philippe Rey), Antonio Ortuño (Méjico, Christian Bourgois) et la jeune Aura Xilonen, auteure du picaresque Gabacho (Liana Levi).

Festival America, 20-23 septembre, Vincennes, festival-america.com

L’Arbre monde, Richard Powers, traduit de l’américain par Serge Chauvin, Le Cherche-Midi, 480 p., 22 euros.

Littérature
Temps de lecture : 3 minutes