Les bobards du dimanche

Si « on » ne croit plus l’équipe gouvernementale, ce n’est pas par scepticisme pathologique.

Sébastien Fontenelle  • 9 octobre 2019 abonné·es
Les bobards du dimanche
© crédit photo : Alain JOCARD / AFP

Interviewé – avec la déférence, savamment mélangée de plusieurs volumes de complaisance, qui est devenue, au fil des ans, la marque de fabrique de cet hebdomadaire – par trois journalistes (1) du Journal du dimanche (JDD) qui lui demandent – sans rire – « pourquoi » les appels au calme lancés par son gouvernement après l’incendie, le 26 septembre, de l’usine Lubrizol n’ont « pas suffi à rassurer les Rouennais », Édouard Philippe leur fait cette réponse : « Nous vivons une époque curieuse où la parole publique, comme celle des experts, est mise en cause. Aujourd’hui, lorsque vous êtes aux responsabilités, on ne vous croit pas, on vous juge illégitime. En démocratie, ça devrait être le contraire ! »

Ici, le Premier ministre fait donc ce que font souvent les ministres (et autres acolytes) d’Emmanuel Macron (2) : il confectionne un mensonge par omission qui lui permet, selon un procédé solidement éprouvé, d’imputer à ses administré·e·s une responsabilité qui est en réalité la sienne propre – et celle de ses collaborateurs.

Car bien sûr, si « on » ne les croit plus – jamais –, lui et ses pairs, ce n’est pas du tout parce qu’« on » aurait a priori succombé, comme il le suggère sans honte du haut de sa très méprisante désinvolture, à un scepticisme pathologique, mais bien parce qu’ils n’ont cessé, depuis qu’ils ont été mis « aux responsabilités », de mentir toujours plus effrontément – ne serait-ce que lorsqu’ils ont assuré que la composition des suies qui se sont déposées partout autour de Rouen après l’incendie du 26 septembre était « normale », alors qu’elles contenaient, comme l’ont rappelé les camarades Delmas et Piro dans Politis la semaine dernière, « des composants cancérogènes à long terme » – excusez du peu.

Au reste, l’hôte de Matignon (3) a derechef lâché, dans la suite de sa réponse à ses interlocuteurs du JDD (4) une impressionnante contre-vérité, en leur répétant : « Nous avons fait le choix de la transparence totale. »

Mais il est vrai aussi qu’il aurait tort de se gêner, puisqu’il sait pertinemment que les journalistes auxquels il réserve ses interviews, inconscients du gravissime péril que représente désormais cet acharnement à vider les mots de leur sens, savent se tenir parfaitement coi·te·s, lorsqu’il les enfume – et moque leur lectorat.


(1) Que des mecs – parmi lesquels se trouve l’excellent M. Gattegno, directeur de la rédaction, passagèrement détourné, semble-t-il, de l’interminable plaidoirie pro-Sarkozy qui l’a tenu occupé, dimanche après dimanche, pendant de longues semaines. Ces irréprochables professionnels posent à Édouard Philippe des questions dont ils ont probablement mesuré qu’elles ne le fâcheront que peu – comme celle-ci, par exemple, qui devrait être versée dans les annales de l’enjôlerie thatchérienne : « La réforme des retraites ne pénalisera-t-elle pas les hauts revenus ? » Ou celle-ci, peut-être plus sidérante encore, pour ce qu’elle révèle de la structuration des intervieweurs : « Est-il raisonnable d’accorder l’asile politique à des Albanais alors que leur pays est une démocratie ? »

(2) L’exemple, il est vrai, leur vient de très haut.

(3) Tu n’as pas oublié que, si tu veux quelques clichés journalistiques pour tes longues soirées d’hiver, tu peux me demander ?

(4) Qui l’ont gentiment laissé dire.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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