« Nos défaites », de Jean-Gabriel Périot : une jeunesse française

Dans Nos défaites, Jean-Gabriel Périot montre des lycéens dénués de culture politique mais aptes à se mobiliser le moment venu.

Christophe Kantcheff  • 8 octobre 2019 abonné·es
« Nos défaites », de Jean-Gabriel Périot : une jeunesse française
© crédit photo : météor film distribution

Il y a beaucoup de points de rencontre ces temps-ci entre les documentaires qui sortent en salle. On voyait dans Nous le peuple des lycéens de Sarcelles rétifs à la virulence des mots employés par des détenus et des habitants d’une cité poussés, quant à eux, par l’urgence (lire Politis du 19 septembre 2019). Aujourd’hui, dans Nos défaites, de Jean-Gabriel Périot, on fait la connaissance d’une classe de première à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne. C’est, là aussi, l’absence de conscience citoyenne et la docilité de ces lycéens qui, dans un premier temps, ­impressionnent.

Jean-Gabriel Périot, dont on connaît l’inclination pour un cinéma politique, réalisateur notamment d’Une jeunesse allemande sur la Fraction armée rouge, a demandé à ces élèves de (re)jouer des scènes de films militants des années 1968-1970. C’est, par exemple, la séquence célèbre de l’ouvrière refusant de reprendre le travail à l’usine Wonder ou un monologue de La Chinoise, de Godard, ces extraits ayant été sélectionnés avec eux. Néophytes, les lycéens se révèlent des acteurs convaincants.

Parallèlement, le réalisateur a interrogé ces jeunes sur la signification de ces séquences et plus particulièrement sur les notions qui sont passées par leur bouche : « grève », « syndicat », « exploitation », « capitalisme »… Leurs réponses témoignent d’une culture politique pour le moins parcellaire. Certes, il n’est pas forcément aisé, quand on a 16 ans, de définir le capitalisme en quelques phrases. Mais, hormis l’un d’eux, qui tranche par sa politisation, on les sent très démunis, effectuant parfois de fâcheux contresens, lâchant des sourires en guise d’aveu d’impuissance à répondre. Il arrive cependant qu’ils resituent avec justesse des enjeux de la période 1968-1970. Mais ceux-ci leur paraissent inadaptés quand ils parlent du ­présent. La révolution ? Tous disent ne pas la souhaiter. Par ailleurs, l’un d’eux explique qu’entre un poste ennuyeux mais bien rétribué et un travail passionnant mais mal payé il choisira le premier, parce que l’époque le veut ainsi.

Aucune cruauté dans le regard du réalisateur, mais au contraire de l’empathie. Peut-être un peu de regret sur les limites de l’exercice : les lycéens ont incarné des rôles d’ouvriers ou d’étudiants révoltés jusqu’à un certain point d’imperméabilité. Mais, plus largement, avec ce titre, Nos défaites, il indique un défaut de transmission de la part des adultes. Encore faudrait-il interroger ce « nous », situant une responsabilité collective sans distinction.

Mais le film s’achève sur une autre tonalité. Quelques mois après le tournage, en décembre 2018, ces mêmes lycéens participent au blocage de leur établissement. Ils découvrent alors, outre les violences policières et les réponses brutales de leur chef d’établissement, la mobilisation, la solidarité. Si la culture politique est importante, rien ne remplace l’expérience directe de l’injustice et de l’arbitraire pour soulever des consciences. Comme le dit l’un des lycéens : « Qu’importe la victoire, on se souviendra du combat. » En l’occurrence, une défaite peut être aussi féconde…

Nos défaites, Jean-Gabriel Périot, 1 h 28.

Cinéma
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