Logement : Que l’espace et la lumière soient

Le confinement a révélé les insuffisances de nombreux appartements, exigus et peu adaptés aux familles, et qui ont amplifié l’impact de la crise pour les plus mal lotis.

Patrick Piro  • 22 juillet 2020 abonné·es
Logement : Que l’espace et la lumière soient
Devant un immeuble du XXe arrondissement de Paris, pendant le confinement.
© IMAGE POINT FR - LPN/BSIP via AFP

Bernard raconte son confinement avec une égalité de ton insolite, tant ses conditions de logement frisent l’indécence. Une chambre de bonne, 9 m2 au septième étage sans ascenseur sous la toiture en zinc surchauffée d’un immeuble du XVIe arrondissement de Paris. À 58 ans, handicapé par plusieurs pathologies, il est au chômage depuis cinq ans après des contrats intermittents de technicien dans l’audiovisuel. Comme il est en « réadaptation cardiaque », il lui est recommandé de faire de l’exercice. Alors, pendant le confinement, Bernard ruse. Il sort quotidiennement pour de petites courses alimentaires, traîne dans la zone des produits réfrigérés, ressort un peu plus tard « en balade autorisée d’une heure dans un rayon d’un kilomètre », mais à -plusieurs reprises, à la recherche d’ombre (sa piaule chauffe parfois au-delà de 40 °C). Il change régulièrement d’endroit pour ne pas éveiller les soupçons. « Dans ce quartier, il y a de la vidéosurveillance… » Une débrouille qui confine à la survie, et sans perspective d’amélioration : il vit avec 400 euros par mois, une fois soustraits les 300 euros du loyer. -Bernard ne se plaint pas. Cela fait vingt-huit ans qu’il tient dans son cagibi.

Fany, pour sa part, a pris le premier billet disponible pour le Sud, où vit sa mère, dès l’annonce du confinement le 16 mars au soir. Premier salaire depuis peu, elle était à peine mieux lotie que Bernard dans le 13 m2 sous toit qu’elle partageait avec son compagnon, dans le quartier République, à Paris. « Des semaines confinée dans ces conditions, je ne m’y voyais pas… » De retour dans la capitale, le couple se réinstalle dans un 35 m2. « C’est allé très vite, il y avait un nombre tout à fait inhabituel d’annonces », relève Fany.

Début avril, environ 4 millions de personnes auraient fui leur résidence principale (1). Pour la plupart urbaines, parisiennes pour près d’un quart, et souvent cadres : c’est en Île-de-France que les logements sont les plus exigus, et les catégories sociales les plus aisées ont de la ressource pour échapper aux affres du confinement. L’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) a voulu quantifier le malaise du logement par une enquête publiée en juin (2). Son biais statistique (diffusion par réseaux sociaux et fichiers d’entreprise) n’invalide pas les tendances très nettes qui se dégagent des 8 000 réponses. Pièces trop étroites, sombres, logements privés de balcon ou de jardin… « Les gens, massivement, aspirent à plus d’espace, de lumière et d’accès à l’extérieur, résume Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Idheal. C’est édifiant de simplicité, on a l’impression d’enfoncer une porte ouverte – mais avec quelle force ! » Et si les catégories les plus aisées sont surreprésentées dans les réponses, « on peut supposer que les revendications auraient été encore plus accentuées avec un panel pondéré ». Les sociologues Anne Lambert et Fanny Bugeja rappellent que les ménages les mieux lotis (un couple de cadres) disposent en moyenne de 46 m2 par personne, contre 35 m2 pour un ouvrier en couple avec une employée par exemple (3).

La surmortalité au Covid-19 en Seine-Saint-Denis pourrait être liée aux conditions de logement.

Trop peu de mètres carrés, mais aussi un manque de pièces. En 2016, l’Insee évaluait à plus de 5 millions le nombre de personnes vivant dans un logement en situation de « suroccupation » (4), soit 8 % en moyenne sur l’ensemble de la France. La région parisienne détonne avec près de 14 % des personnes concernées, jusqu’à 25 % dans les quartiers dits « prioritaires » et notamment dans les familles monoparentales. Quant au mal-logement, la Fondation Abbé-Pierre estime que 4 millions d’individus vivent à la rue, sous abri de fortune, dans un foyer, un logement insalubre ou entassés dans un petit espace. Une précarité encore aggravée par le confinement, avec en outre une promiscuité favorable à la contamination par le virus. « La très forte surmortalité au Covid-19 constatée en Seine-Saint-Denis est liée à la convergence de facteurs sociaux défavorables, où les conditions de logement pourraient jouer un rôle majeur », commente Catherine Sabbah.

Les chercheuses Anne Lambert et Fanny Bugeja alertent également avec force : « Le temps d’exposition à des conditions de vie dégradées augmente drastiquement avec la crise, qui décuple les inégalités. » Y compris au regard de l’environnement. Les moins bien lotis sont « surexposés aux vues urbaines denses » ainsi qu’au bruit, et ne sont que 36 % à disposer d’un accès à l’extérieur (balcon, terrasse) en appartement, contre 71 % pour les ménages les plus aisés. « Ce qui signe plus profondément l’impossibilité de s’extraire du huis clos qu’est devenu le logement, trop petit, pour s’isoler, se défouler, s’évader, quand les espaces publics et les équipements collectifs abritent en temps normal la vie sociale. »

Les conditions d’habitation ont également révélé l’inadéquation de nombreux logements avec le télétravail imposé. Marginale avant la crise sanitaire (3 % des salarié·es), la modalité s’est généralisée dans le secteur du tertiaire pour quelque 8 millions de personnes pendant le confinement, selon le ministère de l’Emploi. Quel espace pour y nicher son ordinateur ? Et dans quelle pièce « tranquille » ?

Le marché immobilier post-déconfinement perçoit en écho l’impact de la crise. Les recherches de logement ont bondi, jusqu’à 50 % de plus qu’en 2019 à la même époque, avec une demande régulière de terrasse ou de jardin, et d’éloignement des centres urbains. Ces départs « réflexes » au vert sont majoritairement le fait de foyers qui peuvent pérenniser le télétravail. Pour les autres, l’amélioration de la situation devra notamment passer par une prise de conscience de l’État, dont la marotte normalisatrice a créé un carcan néfaste au logement, estime l’architecte -François Leclercq (5) : « Tel qu’il est construit, le logement est un lieu où l’on ne s’épanouit pas. »

Cependant, collectivités prescriptrices, maîtrise d’ouvrage, promoteurs et promotrices semblent aujourd’hui se soucier davantage de construire des logements dont la fonctionnalité ne dégraderait pas la qualité d’usage, note Catherine Sabbah. Plus de mètres carrés, modularité, orientation multiple pour la luminosité et la ventilation, grandes cuisines avec fenêtre, terrasses plantées, locaux communs dans les immeubles, etc. : « On constatait un petit bouillonnement chez les professionnels avant la crise, on espère qu’il va catalyser. » L’arrivée de maires écologistes à la tête de grandes villes pourrait y contribuer. À Bordeaux, Pierre Hurmic a annoncé le passage au crible environnemental de tous les programmes de construction en cours.

(1) Sondage Odoxa pour France Bleu.

(2) « Aux confins du logement », idheal.fr

(3) « Logement : comment la crise sanitaire amplifie les inégalités », theconversation.com

(4) Seuil atteint quand le logement comporte moins d’une pièce par occupant·e.

(5) Télérama, 24 juin 2020.

Société
Publié dans le dossier
Les luttes essentielles déconfinées
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