Oradour-sur-Glane : Poser les bons mots sur le mal

Des travaux historiques ont démontré que le massacre d’Oradour-sur-Glane faisait partie d’une stratégie planifiée de terreur. La remise en question de ces faits n’est rien d’autre que du négationnisme.

Laurence De Cock  et  Mathilde Larrère  • 2 septembre 2020
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Oradour-sur-Glane : Poser les bons mots sur le mal
Le 10 juin 1944, 642 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants, ont été massacrées par les SS.
© AFP

À l’entrée du Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, non loin des ruines du village, preuves à ciel ouvert du massacre perpétré le 10 juin 1944, les mots : « Village martyr ». Mais dans la nuit du 20 août 2020, ce mot de « martyr » a ostensiblement été rayé et remplacé par « menteur », avec les phrases suivantes ajoutées à la bombe blanche : « À quand la vérité ? » et « Reynouard a raison. » Un geste qui s’ajoute à une longue suite de profanations négationnistes de lieux mémoriels liés à la Seconde Guerre mondiale et au génocide des Juifs et des Tsiganes.

Luttes féministes

Quelle heureuse rentrée pour celles et ceux qui s’intéressent aux luttes féministes et à leur histoire ! Dans deux livres aux titres tirés de slogans, quatre historiennes se penchent sur cette histoire longue des combats, des idées, des répertoires d’actions, des débats internes, des angles morts du féminisme, ainsi que des alliances tissées ou rompues, des droits conquis mais toujours à défendre, et ce en embrassant la période de la Révolution française à nos jours. En ces temps de dynamisme du féminisme, mais aussi de backlash contre celles que, depuis 1789, on traite d’hystériques, il est important de faire cette généalogie.

Rage against the machisme adopte une démarche de vulgarisation scientifique et d’éducation populaire. Tiré du séminaire de l’EHESS « Genre, politique et sexualité », Ne nous libérez pas on s’en charge est une somme issue de la recherche la plus récente sur ces questions.

L.d.C.

Rage against the machisme Mathilde Larrère, Éditions du Détour, 223 pages, 18,90 euros.

Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours Bibia Pavard, Florence Rochefort, Michelle Zancarini-Fournel, La Découverte, 510 pages, 25 euros.

À Oradour, le 10 juin 1944 vers 14 h 30, les soldats de la division Waffen SS « Das Reich » ont rassemblé sur le champ de foire les habitants ainsi que de nombreux réfugiés qui se trouvaient alors dans ce village de Haute-Vienne proche de Limoges. Chacun espère un simple contrôle de routine. Mais voilà que les hommes sont dispersés en plusieurs lieux, les femmes et les enfants regroupés dans l’église. Le massacre commence, celui des hommes, mitraillés, mais aussi des femmes et des enfants, dans l’église incendiée et cible de tirs et de grenades. Le village est ensuite pillé, brûlé. À la tombée de la nuit, les Allemands lèvent le camp. Ils reviendront le lendemain pour rendre l’identification des cadavres impossible, reproduisant une pratique usuelle sur le front de l’Est.

Les faits sont rapportés par les rares survivants (une trentaine), puis reconnus par ceux qui passent en jugement par la suite (procès de Rochechouart et de Bordeaux). Six cent quarante-deux personnes ont péri à Oradour – dont 193 hommes et 240 femmes, 25 enfants de moins de 5 ans, 145 entre 5 et 14 ans. Il s’agit du plus grand massacre de civils commis en France par les armées allemandes, semblable à ceux de Marzabotto en Italie ou de Distomo en Grèce (lui aussi perpétré le 10 juin 1944).

Pourquoi ce massacre dans ce village paisible qui ne comptait pas de maquis ? Nous sommes en juin 1944, les Allemands sont défaits à l’Est, les Alliés viennent de débarquer en Normandie. Des divisions de l’armée de l’Est, coutumières des massacres de civils, ont été envoyées dans le sud de la France afin d’y réduire la résistance. Pour ce faire, elles ont l’ordre de terroriser. À Calviac et à Tulle, d’autres massacres précèdent celui d’Oradour. Un massacre planifié, préparé, ce qu’attestent les archives des réunions préparatoires. Une « mécanique du sadisme », une « pédagogie de la terreur », analyse l’historien Bruno Kartheuser ; une « violence méthodiquement appliquée et parfaitement contrôlée », selon Jean-Luc Leleu.

Un nouveau village sera édifié après guerre, et les ruines conservées pour mémoire. Quiconque est passé à Oradour sait le silence qui règne dans ce lieu encore hanté par le massacre. Et c’est exactement la fonction assignée à ces cicatrices laissées vives : se souvenir, à jamais.

Cette profanation a provoqué de justes réactions de colère et d’indignation. Certains n’ont pas hésité à instrumentaliser les faits, tel le ministre de l’Éducation se félicitant que l’enseignement de l’histoire permette de transmettre cette mémoire. Des enseignants ont alors rétorqué que « les mémoires de la Seconde Guerre mondiale » ont disparu des nouveaux programmes, et qu’à aucun moment de la scolarité il ne subsiste de temps à consacrer au massacre d’Oradour, surtout en voie professionnelle, où l’enseignement de l’histoire a été réduit à portion congrue.

D’autres – et ce fut le cas de nombreux journalistes – ont qualifié les faits de « révisionnistes ». Curieux comme il semble parfois difficile d’appeler un chat un chat. Il ne s’agit ici nullement de révisionnisme, mais bel et bien de négationnisme, comme en témoigne l’inscription « Reynouard a raison ». Vincent Reynouard est en effet l’auteur d’un livre qui affirme qu’Oradour n’est qu’une « mise en scène ». Il se réclame ouvertement du national-socialisme et a été à plusieurs reprises condamné pour cela. Il est important de continuer à qualifier le négationnisme pour ce qu’il est : non pas la « révision » d’une thèse historique, mais la négation des faits à des fins idéologiques. C’est aussi participer à la perpétuation d’une mémoire que de ne pas se tromper de mots.

Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.

Temps de lecture : 4 minutes
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