« OAS » : Neuf ans ferme

Le 12 octobre, six jeunes d’ultradroite ont été condamnés pour association de malfaiteurs terroriste. Ce procès inédit soulève un dilemme : faut-il juger ces activistes comme les jihadistes ?

Nadia Sweeny  • 12 octobre 2021
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« OAS » : Neuf ans ferme
© Philippe LOPEZ / AFP

Au terme de dix jours d’un procès inédit, la 16e chambre correctionnelle de Paris, spécialisée dans les affaires de terrorisme, a donc condamné à neuf ans de prison ferme Logan N., chef de l’Organisation des armées sociales (OAS), un groupe de neuf jeunes hommes qui fomentaient des attaques terroristes. Thomas A., bras droit de N., écope de sept ans ferme avec mandat de dépôt : il retourne en prison. Les autres sont condamnés à cinq ans de prison avec plus ou moins de sursis en fonction de leur profil et des aménagements de peine : port du bracelet électronique. Au final, Logan N. reste en détention, trois autres y retournent – Thomas A. tout de suite après le procès, Romain P. et Anthony B. dans le mois suivant. Deux l’évitent de peu. «  le tribunal veut rappeler la gravité extreme des faits reprochés, a déclaré le magistrat. tous les éléments attestent d’une imminence du passage à l’acte. Ils ont tous et collectivement participé et représenté l’OAS. » a-t-il affirmé avant de rendre son délibéré.

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«Votre décision aura une portée significative», avait prévenu la procureure antiterroriste, mardi 5 octobre, lors de son réquisitoire. L’affaire « OAS » est en effet le premier dossier de terrorisme d’ultradroite jugé depuis les attentats jihadistes. Premier d’une vague de projets meurtriers stoppés in extremis par les services de police. Sept affaires et 48 personnes mises en examen. «Avec cette affaire, vous voulez faire jurisprudence», soupçonnait Me Michaël Bendavid, conseil de Thomas A., lors de sa plaidoirie. « Prenez garde : une justice pour l’exemple n’est plus la justice », renchérit Me Gabriel Duménil, défenseur de Romain P., condamné à 5 ans ferme. « Ne cédez pas à la pression médiatique ni à celle de l’opinion publique ! » a imploré Me Mourad Battikh, pour Antony B.

Mais la justice peut-elle vivre en dehors de son temps ? Pour la procureure, il semble évident que non. « La montée en puissance exceptionnelle de la menace terroriste d’ultradroite est une réalité concrète et tangible qui s’impose à nous tous. C’est la première menace endogène aux États-Unis et en Allemagne », a-t-elle clamé lors de son réquisitoire, en assumant sans fard une « analogie évidente pour tout œil averti : le terrorisme d’ultradroite et le terrorisme islamiste sont des idéologies jumelles dans leur constitution et leur structure, enfants d’une pensée totalitaire. Deux faces opposées de la même pièce fanatique ».

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Pour défendre leurs clients, durement impactés par ce rapprochement éloquent avec le phénomène jihadiste, les avocats ont tenté de déconstruire ce parallèle « qui ne sert qu’à requérir des peines lourdes. Il est l’instrument de nos regrets. On s’en veut de ne pas avoir su prévoir les attentats islamistes et on se dit : punissons, sinon, on nous le reprochera dans dix ans !» s’étouffe Me Jean-FrançoisMorant, conseil de Louis M. Un parallèle qui servirait à « copier l’expérience », selon les mots de Me Duménil. Celle de l’extrême sévérité des magistrats. Car les avocats savent à quel point la justice est dure avec les islamistes. Ils savent aussi que son arme principale réside dans la définition même de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste (AMT), confuse et fourre-tout.

Un dossier similaire impliquant la mouvance jihadiste se serait retrouvé aux assises.

Celle-ci est définie à l’article 421-2-1 du code pénal : « Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. » Créé en 1996 après les attentats du GIA algérien dans le RER parisien, l’AMT sanctionne ainsi la préparation avant tout passage à l’acte. Cette infraction dite « obstacle », à caractère préventif, pose des questions évidentes : comment évaluer la détermination et la dangerosité d’une personne avant toute action ? Où placer le curseur ? Ne risque-t-on pas de tomber dans l’arbitraire ? Les avocats de la défense s’insurgent : « On vous donne un pouvoir quasi discrétionnaire et c’est problématique, regrette Me Duménil auprès des magistrats. L’AMT devait rester quelque chose de subsidiaire et c’est devenu systématique. » Me Bendavid renchérit : « Depuis dix ans, on voit ce mouvement de sévérité. Ce qui vous conduisait en correctionnelle en 2013 vous emmène désormais en cour d’assises. »

Or c’est justement sur ce critère que ni la crainte d’un parallèle excessif ni même la volonté de ne faire aucune distinction avec le phénomène jihadiste ne passent le test de la réalité effective. Plusieurs conseils avouent eux-mêmes qu’un dossier d’un groupe similaire à celui de l’OAS mais dont les membres seraient issus de la mouvance jihadiste aurait été envoyé devant une cour d’assises. Jugé comme un crime et non comme un délit. « Rarement nous avons atteint une telle matérialité dans un dossier d’AMT, a même admis la procureure lors de son réquisitoire. Le choix de la correctionnelle n’a pas été évident. » Mais il a été fait. Cela marque un traitement différencié : en correctionnelle, les peines sont limitées à dix ans. En cour d’assises elles peuvent monter jusqu’à trente…

Là encore, la justice ne vit pas en dehors de sa société ni de son actualité. Et ces dernières décennies, le terrorisme d’extrême droite n’a pas massivement tué sur le territoire français. La société n’y réagit donc pas avec autant de véhémence. Quand des personnes se réclament de Daech, notamment depuis 2015, elles ne peuvent ignorer le caractère terroriste et criminel de l’organisation à laquelle elles adhèrent. Les juges sont donc alors d’autant plus sévères. Durant le procès de ces six prévenus d’extrême droite, leurs allégeances idéologiques ont été passées au crible. Que dire d’un groupe aux inclinations nazies qui voue un culte au terroriste d’extrême droite Anders Breivik, lequel a tué 77 personnes ? Que dire de ceux qui se revendiquent d’une filiation avec l’Organisation armée secrète, groupe paramilitaire aux milliers de victimes dans les années 1960, mais dont les survivants ont pignon sur rue au sein de l’Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française (Adimad) – à laquelle adhéraient deux des prévenus, dont Logan N. ? Que dire du discours de cette association pour qui la guerre d’Algérie ne s’est jamais arrêtée, pour qui cette guerre oppose désormais la France aux personnes d’origine maghrébine et aux musulmans ?

Que dire de notre responsabilité collective, quand les idées qui ont porté ces jeunes hommes à fomenter des attaques terroristes sont véhiculées tous les jours via tous les canaux possibles : théorie du « grand remplacement », invasion migratoire, guerre civile… « Ce discours n’est plus cantonné à l’extrême droite, plaide Me Duménil. Xavier Bertrand parle aussi de guerre civile. » Pourquoi ces jeunes n’y croiraient-ils pas ? Pourquoi ne s’y prépareraient-ils pas ? Pourquoi ne se défendraient-ils pas contre cette prétendue « épuration ethnique » dont parle désormais la droite pour évoquer l’évolution sociologique des quartiers populaires ? Aujourd’hui, la justice a puni sévèrement ces jeunes hommes au bord du passage à l’acte, mais il a sans aucun doute manqué bien des personnes sur le banc des accusés…

Lire aussi les portraits des membres du groupe :

> Logan N., le Régent

> Thomas A., le bras droit

> Romain P., commandant des actions discrètes

> Louis M., l’insaisissable

> Geoffrey H., le fidèle à la cause

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