« Albatros », de Xavier Beauvois : C’est l’homme qui prend la mer…

Dans Albatros, Xavier Beauvois met en scène la vie d’un gendarme modèle qui bascule.

Christophe Kantcheff  • 2 novembre 2021 abonné·es
« Albatros », de Xavier Beauvois : C’est l’homme qui prend la mer…
© Guy Ferrandis

Un couple, sur une plage d’Étretat, est en pleine séance de photos de mariage, quand soudain, hors champ, un bruit sourd retentit. Les visages des jeunes mariés se tordent d’horreur : un homme vient de se jeter du haut de la falaise.

Le début d’Albatros ne fait pas mystère de l’état de la société dans laquelle s’inscrit son intrigue : elle est mal en point. Si le suicidé est un Parisien, le spectateur apprend qu’il n’y a pas une semaine sans que des personnes tombent ainsi. Voilà qui dessine l’arrière-plan du film : dans ce coin de Normandie, on se donne la mort.

Albatros, Xavier Beauvois, 1 h 41.
La gendarmerie a pour mission de protéger le corps social de toutes les agressions. C’est le premier axe d’Albatros, huitième long métrage de Xavier Beauvois. Laurent (Jérémie Renier), un commandant de brigade, en est la figure centrale. Son quotidien professionnel est fait de prévention plus que de répression. Celui-ci est éprouvant, parce que Laurent côtoie la mort, les blessés de la route, les déviances… Mais point d’opération violente ou de « commando ». Le travail des gendarmes penche davantage vers l’assistance sociale ou l’exercice de l’autorité parentale (cf. la scène un peu pénible où Laurent morigène un jeune).

C’est le choix de Xavier Beauvois de privilégier cette dimension. Une gendarmerie de proximité (aux méthodes traditionnelles, l’usage d’une technologie plus pointue déclenchant un drame), comme Albatros relève du cinéma de proximité. Le réalisateur a en effet tourné dans une région qu’il connaît par cœur pour y habiter, le pays de Caux et la Côte d’Albâtre entre Étretat et Fécamp – dont il filme avec délectation le port. Il a mis aussi ses proches devant la caméra. Marie-Julie Maille, son épouse, également scénariste et monteuse du film, joue Marie, la femme de Laurent. Tandis que la fille du couple est jouée par Madeleine Beauvois. Un véritable « paysan » cauchois, comme il se qualifie lui-même (1), Geoffroy Sery, interprète le rôle de Julien, un agriculteur au bord du gouffre financier…

Le film va basculer, et la tragédie surgir dans ces existences, dont celle de Laurent, qu’un œil rapide aurait pu croire provinciale et tranquille. Elle entraîne le gendarme modèle dans un désarroi existentiel. L’amour de sa femme et celui de sa fille sont impuissants à le retenir : il largue les amarres, au propre comme au figuré. Albatros se transforme dès lors en film marin, en traversée de l’Atlantique, le cinéaste jouissant des lumières sur la mer. Cet esthétisme non esthétisant est le cadre du tête-à-tête silencieux que Laurent mène avec lui-même, en butte à une aspiration à disparaître, à tirer un trait sur le mauvais rêve qu’est devenue sa vie.

Le plus grand moment d’émotion du film tient dans un coup de fil. Une femme au téléphone pleure. C’est le plus souvent banal, un appel. Il est le signal ici qu’un homme ne tombera pas de la falaise, ou dans les fonds marins. La vision de la société que Xavier Beauvois propose à partir d’un gendarme au-delà de tout soupçon peut se discuter. Non son appétit de couleurs et de ressacs émotionnels.

(1) Cf. le livre très original et illustré consacré au tournage d’Albatros : Un monde hors champ. Derrière la caméra de Xavier Beauvois, de Dominique Thiéry et Catel Muller, La Table ronde, 320 pages, 24 euros.

Cinéma
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