Profs au rabais

Face aux problèmes de recrutement des enseignants, le ministère et les rectorats déploient aménagements et bricolages sur mesure.

Malika Butzbach  • 31 août 2022 abonné·es
Profs au rabais
Lors de la manifestation du 20 janvier 2022, à Bordeaux.
© Photo : Philippe LOPEZ / AFP.

Chaque année, au début de l’été, la crainte est la même Rue de Grenelle : y aura-t-il assez d’enseignants devant les élèves pour la rentrée scolaire ? Cette inquiétude est renforcée par la publication des résultats des concours de recrutement de l’Éducation nationale. La diminution du nombre de candidats au Capes, passant de 50 000 en 2008 à 30 000 en 2020 (– 30 %) est symptomatique de la crise d’attractivité que subit le métier d’enseignant. Cette tendance de fond touche cependant différemment les académies pour le premier degré, et les disciplines pour le second degré.

Les résultats du concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE), tombés fin juillet, sont éloquents : dans l’école primaire, 1 poste sur 5 n’est pas pourvu. Il manque 11 admis dans l’académie de Grenoble, 14 dans celle de Nancy-Metz, 62 à Paris, mais surtout 660 à Créteil et 1 006 à Versailles. Concernant les concours du second degré (Capes), 25 % des postes offerts pour la session 2022 ne sont pas pourvus (1 305 sur 5 225). Neuf disciplines sur 29 sont déficitaires, notamment les mathématiques (478 postes non pourvus), la ­physique-chimie (216), les lettres modernes (157) et l’allemand (155).

Baisse mécanique des candidats

Cette année noire du recrutement tient notamment à la réforme des concours, qui, depuis la session 2022, se déroulent à la fin du master 2, contre la fin du master 1 auparavant. Un changement qui, pour cette année de transition, implique une baisse mécanique du vivier des candidats. Toutefois, c’est bien une tendance de fond qui s’exprime : celle de la crise d’attractivité du métier d’enseignant. D’ailleurs, dans le même temps, si les concours peinent à faire le plein, les démissions se multiplient. Face à ce problème à la fois structurel et conjoncturel, Pap Ndiaye, nouveau ministre de l’Éducation nationale, a promis « un prof devant chaque classe à la rentrée ». Au ministère comme dans les rectorats, des cellules spécifiques ont été mises en place pour trouver des solutions.

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C’est une véritable opération de communication qu’a lancée l’académie de Versailles la semaine du 30 mai au 3 juin. Quatre journées de « job dating » dans les départements de l’académie, durant lesquelles se sont tenus 2 000 entretiens. Il faut dire que l’objectif était de taille : recruter 700 professeurs des écoles et 600 enseignants du secondaire, mais aussi des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), des infirmiers et des psychologues de l’Éducation nationale.

«  Je pensais qu’il fallait un concours pour enseigner !  »

Au total, 2 000 postes de contractuels étaient à pourvoir, soit 2 % des effectifs du rectorat. Organisé en partenariat avec l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) et Pôle emploi, ce genre d’événement n’est pas nouveau, d’autres académies l’ayant mis en place auparavant. Mais c’est la première fois que l’objectif de recrutement est si important. Après Toulouse et Amiens, une session de recrutement similaire a ainsi été organisée à Paris les 14 et 15 juin à la Sorbonne. Viviane, 38 ans, a passé un premier entretien de trente minutes pour devenir professeure des écoles.

« Je pensais qu’il fallait un concours pour enseigner ! » s’étonne-t-elle en attendant son rendez-vous. Si elle est prise, cette Parisienne aura un deuxième entretien, la procédure habituelle de l’Éducation nationale pour recruter des contractuels. Travaillant dans l’animation, Viviane a l’habitude des enfants, « mais moins des contrats qui durent toute une année », sourit cette maman de deux enfants. Pour elle, ce travail, bien que précaire, offre une forme de stabilité. Mais elle craint d’être lâchée seule, face à une classe, sans formation ni accompagnement.

Du côté des syndicats, ces sessions de recrutement sont l’objet de nombreuses critiques. Dans un communiqué, le Snesup-FSU, syndicat de l’enseignement supérieur, juge que l’événement « affiche clairement qu’il n’y a pas besoin de master ni d’une véritable formation universitaire, fût-elle professionnalisante, pour enseigner ». Pour le Snuipp-FSU 75, il s’apparente à un mode de recrutement « injurieux pour la profession et les élèves »« Cela laisse penser qu’un·e enseignant·e peut être recruté·e en quelques minutes ! Enseigner n’est pas un job, c’est un métier, un métier qui s’apprend ! »

Le risque d’une école à deux vitesses

« Au concours Lépine de l’idée la plus étrange, notre rectorat arrive en bonne position », blague Bruno Henry, secrétaire général du Snes-FSU dans l’académie de Nancy-Metz. Pour la rentrée prochaine, le rectorat a présenté son dispositif de « brigade numérique de remplacement ».

Le principe est simple : lorsque, au collège ou au lycée, un enseignant absent ne peut être remplacé, un remplaçant dédié fera cours hors de l’établissement, en visioconférence, à une classe surveillée par un assistant d’éducation (AED). « Les personnes qui pensent à ce genre de dispositif ne connaissent rien de notre métier, pointe le syndicaliste. Le confinement nous a montré l’intérêt du numérique pour les cours, mais surtout ses limites. À distance, les enseignants ont davantage de mal à mobiliser les élèves les plus faibles, qui sont aussi les plus éloignés de l’école. »

Bruno Henry craint que ce dispositif numérique n’accentue les inégalités au sein d’une même classe, mais aussi du territoire. « Certains établissements auront droit à de vrais remplacements en présentiel, et d’autres à des remplacements au rabais en visio. C’est là encore le risque d’une école à deux vitesses. »

Au total, 7 postes de « visio-remplaçants » ont été ouverts pour la rentrée (en mathématiques, allemand, lettres, et maths-sciences en lycée professionnel). Après discussion avec les syndicats, le rectorat a promis que ces remplacements ne dépasseraient pas une période de sept semaines et que ce dispositif serait expérimenté sur deux ans, avant d’être évalué. Mais, selon le militant, cela ne règle pas le problème de fond. « Durant le quinquennat Blanquer, 495 postes ont été supprimés dans notre académie ; parmi eux, il y a des postes de titulaires en zone de remplacement. Que l’on vienne après nous expliquer qu’il y a des difficultés pour remplacer et que l’on va gérer ça par visio, cela génère de l’incrédulité et de la colère. Comment ne pas y voir du mépris pour notre métier ? »

Sur le papier, le dispositif de préprofessionnalisation, prévu dans la loi « pour une école de la confiance » (2019), a tout pour séduire. À partir de la licence 2, les étudiants qui le souhaitent peuvent avoir un contrat de trois ans en tant qu’AED avec un établissement scolaire pour se familiariser avec le métier d’enseignant, tout en touchant un salaire. Jean-Michel Blanquer est allé jusqu’à le qualifier de « dispositif social », et ce malgré des rémunérations mensuelles entre 700 et 981 euros. Le texte initial précise que ces étudiants « peuvent se voir confier progressivement des fonctions de soutien, d’accompagnement, d’éducation et d’enseignement », pour un volume horaire de huit heures par semaine.

« Missions d’enseignement », un terme vague

Les syndicats craignent que ces étudiants, sans formation spécifique, soient mis en responsabilité devant les élèves. La circulaire précisant ce dispositif indique que « l’exercice de missions d’enseignement en complète responsabilité n’intervient qu’au cours de la troisième année du contrat », ce qui permettrait de confier un cours sur toute une année à un étudiant en M1. Mais ce terme « missions d’enseignement » est assez vague pour pouvoir désigner tout et son contraire, par exemple des séquences précises du programme, craignent les syndicats.

« C’est très pratique d’utiliser les étudiants comme moyen de remplacement des enseignants. »

« C’est très pratique d’utiliser les étudiants comme moyen de remplacement des enseignants, grince une syndicaliste qui a suivi le dossier durant plusieurs années. Cela se fait au détriment des élèves, mais aussi des étudiants, qui doivent être devant une classe huit heures par semaine, sans compter le travail de préparation des cours, en plus de leurs études ! »

Une crainte que partagent des enseignants du supérieur. « Ce n’est pas donné à tous les étudiants d’être capables d’enseigner en deuxième ou troisième année de licence. Il faut déjà avoir un sacré niveau de connaissances disciplinaires, ce qui n’est pas le cas de tous », pointe une professeure de langue d’une université francilienne. Cette année, elle a refusé d’évoquer le dispositif auprès de ses L1, après avoir constaté les échecs des années précédentes. « J’avais l’impression d’envoyer mes étudiants seuls au casse-pipe de l’Éducation nationale. Une de mes bonnes élèves, qui voulait absolument enseigner, a travaillé ainsi durant deux ans, mais ça l’a surtout dégoûtée du métier. »