Élections au Brésil : comment la favela la Maré a barré la route au covid

En mobilisant sa population, et avec l’appui de la fondation Fiocruz, la plus vaste favela de Rio de Janeiro est parvenue à réduire fortement l’impact de la pandémie.

Patrick Piro  • 21 septembre 2022 abonné·es
Élections au Brésil : comment la favela la Maré a barré la route au covid
© Des repas sont livrés par le collectif Redes da Maré aux personnes malades devant rester confinées. (Photo : Carl de Souza / AFP.)

C’était angoissant, ces longues files d’attente pour le test du covid. Parce que la demande débordait nos capacités et que le besoin de ces personnes va bien au-delà – soins médicaux, alimentation, emploi, anxiété face au covid… évoque Éverton da Silva, coordinateur de la campagne “connexion santé” de la Maré (1). Mais savoir que cette mobilisation a été décisive pour contenir la pandémie sur notre territoire, ça me remplit de fierté. »

Les premiers mois, l’indice de mortalité à la Maré est deux fois supérieur à la moyenne de Rio de Janeiro. Ce complexe de favelas, le plus important de la ville, compte 140 000 habitant·es sur 5 km2 à peine. Promiscuité, logements peu ventilés, pauvreté, problèmes d’assainissement, insécurité urbaine : les conditions d’une catastrophe sanitaire sont réunies, « alors que les gens ne pouvaient plus travailler, que les revenus, déjà bien faibles, avaient chuté, et que la faim explosait, relate Lidiane Malanquini, coordinatrice de la mobilisation. Les pouvoirs publics n’ont bougé qu’avec retard, quand ils n’ont pas simplement disparu ». Alors la Maré, maillée par un fort tissu communautaire, se prend en main.

Réseau de couturières

Même constat de déficit de l’action publique à Recife, où le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) mobilise massivement les quartiers (lire notre article sur le sujet). Il organise un réseau de 300 couturières pour fabriquer des masques et lance une opération de formation d’agent·es populaires de santé, avec l’appui, entre autres, de l’université fédérale du Pernambouc et de la fondation Fiocruz, spécialisée en santé publique.

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Du pur sanitaire (gestes barrières, hygiène, vaccination) en même temps que de la conscientisation politique : « Si nos droits sont bafoués, impossible de rester confinés ! », « La santé est un droit pour tous et un devoir de l’État », « Pour être en bonne santé, il faut une alimentation décente »« Car la nouvelle pandémie, c’est la faim ! » traduit Lívia Mello, qui a coordonné ce déploiement. En deux ans, cette formation a été dispensée dans 130 quartiers urbains et, au total, à près de 3 000 personnes dans le Pernambouc et au-delà, y compris auprès de personnes analphabètes. Une ramification qui a permis d’établir un cadastre des besoins de la population.

À la Maré, les habitant·es s’organisent dans l’urgence – distribution de paniers repas, de masques et de gel hydro-alcoolique, désinfection des rues. Mais c’est vite insuffisant face à la pandémie. Dès juin 2020, le collectif Redes da Maré fait appel à la Fiocruz pour monter une organisation sanitaire, dans une articulation originale tirant le meilleur de l’efficacité des collectifs d’habitant·es et des technologies médicales – applications mobiles, consultations médicales à distance, suivi en temps réel de la pandémie, etc.

La solidarité entre les gens, malgré leurs faibles moyens, a dépassé l’entendement.

Une campagne de dépistage de masse est lancée, améliorant le recensement des cas de covid. Les personnes malades sont incluses dans un dispositif d’isolement à domicile – formation des proches à l’hygiène quotidienne, suivi médical, livraison de repas trois fois par jour. « Le degré de solidarité entre les gens, malgré leurs faibles moyens, a dépassé l’entendement », s’émeut Danielle Cardoso, coordinatrice de cette opération (2).

Alors que le président de la République est le principal diffuseur de fake news négationnistes sur le covid (3), la Maré déploie un contre-feu en multipliant les vagues d’information dans un langage adapté à la culture des habitant·es. Une préparation essentielle pour donner du crédit à une campagne de vaccination exceptionnelle, lancée en juillet 2021. En quelques semaines, 96 % de la population adulte reçoit sa première dose.

Vaccination supérieure à celle de pays riches

Depuis juin 2020, les taux de létalité et de mortalité ont chuté de manière spectaculaire – de 89 % pour la létalité (mortalité des personnes infectées) et de 62 % pour la mortalité pour 100 000 habitants (contre 27 % dans d’autres favelas de la ville). Par son caractère massif et systématique, ce déploiement livre même des informations uniques à la Fiocruz quant à l’efficacité de la vaccination sur une population importante, et permettra de suivre l’évolution d’autres maladies grâce à la participation de 3 000 volontaires des favelas.

Une expérience fondatrice, estime Fernando Bozza, chercheur à la Fiocruz. Il met en avant le processus de décision collégial – institutions et organisations de la Maré à égalité – et la performance d’une ingénierie sociale « qui a permis, malgré les difficultés de ce territoire, une couverture vaccinale supérieure à celle de pays riches disposant de doses en abondance. Il y a là des outils amenés à servir dans d’autres contextes. »

Le chercheur salue aussi un retour d’expérience partagé avec les habitant·es, qui disposent d’une image sanitaire de leur territoire. « Et donc d’arguments pour faire pression sur les pouvoirs publics. De quoi interpeller notre science, invitée à sortir de son cadre institutionnel pour être du côté des mouvements sociaux, au service d’une transformation de la société. »


(1) Dans le bulletin qui en fait un bilan (mars 2022).

(2) Ibid.

(3) Une commission parlementaire, dont les suites judiciaires sont en cours, a identifié en octobre 2021 neuf chefs d’accusation potentiels contre Bolsonaro, pouvant lui valoir jusqu’à trente ans de prison.

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