L’exigence d’une révolution démocratique face à la violence politique illégitime

[TRIBUNE] Nos gouvernants, Emmanuel Macron en tête, mésestiment l’intensité de leur remise en cause et la fragilité de la légitimité démocratique dont ils se prévalent, sous couvert de « mandat électoral ».

Vincent Brengarth  • 14 février 2023 abonné·es
L’exigence d’une révolution démocratique face à la violence politique illégitime
Un gilet jaune, en décembre 2018.
© ev / Unsplash

Interpellé par un « gilet jaune » le 24 janvier 2019, Emmanuel Macron répondait : « J’ai été élu par le peuple (…) et si vous n’avez pas été voter, moi je suis désolé, je ne peux pas accepter de dire une démocratie, c’est un système où les gens sont fiers de ne pas aller voter et puis, quand ils ne sont pas d’accord, ils bloquent les ronds-points. Ce n’est pas la démocratie ».

Le chef de l’État se perçoit ainsi comme l’incarnation de la souveraineté populaire, dont le vote serait l’expression, et dont on ne saurait plus contester la légitimité par la suite. La caution qu’il tire du processus électif constituerait une forme de blanc-seing proscrivant toute remise en cause des décisions et institutions étatiques.

Plus grave encore, et il est important d’en prendre conscience, une telle conception du mandat finirait par reposer sur l’emploi d’une forme de « contrainte juridique », reposant notamment sur le recours récurrent à l’article 49.3 de la Constitution.

Cette justification connaît son expression paroxystique dans la volonté d’imposer la réforme des retraites, en dépit d’une contestation grandissante et dans un contexte très tendu pour les ménages français (hausse importante des taux d’inflation et de crédits, grèves à répétition, incertitudes grandissantes face à l’avenir…).

Le seuil de tolérance face à la violence politique, qui se présente sous les apparences trompeuses de la légitimité, pourrait rapidement céder

Nos gouvernants mésestiment l’intensité de leur remise en cause et la fragilité de la légitimité démocratique dont ils se prévalent, sous couvert de « mandat électoral ». Déjà artisans de l’enracinement de l’extrême droite, ils pourraient l’être, demain, d’une véritable révolution démocratique. Nous n’en avons jamais été aussi proches.

Le seuil de tolérance face à la violence politique, qui se présente sous les apparences trompeuses de la légitimité, pourrait rapidement céder. Si, pour l’heure, la désobéissance se manifeste par des réactions pacifiques, et que la répression jugule aisément la contestation, rien ne promet une quelconque durabilité en la matière.

Sur le même sujet : « On a une situation propice à l’émergence de la désobéissance civile »

D’un point de vue constitutionnel, il n’est bien sûr pas totalement erroné de se prévaloir du bénéfice de la souveraineté nationale. Une telle vision ne prend cependant pas en considération les graves défaillances affectant le fonctionnement même de cette Ve République, reliquat d’une conception du pouvoir surannée.

En 2022, Emmanuel Macron a obtenu 18 768 639 voix, mais sur un total de 48 752 339 électeurs inscrits (soit 38,5 % de la population), ce qui relativise logiquement l’idée d’une quelconque adhésion forte du « peuple ». Cette victoire précaire a également pour particularité de trouver son explication, non pas dans la supériorité des idées, mais dans le système ayant permis de les imposer.

Cette faiblesse démocratique, d’ordre particulier car inhérente au candidat et au faible nombre de concurrents crédibles, vient se superposer à tous les écueils de notre régime, comme la rationalisation du pouvoir parlementaire. Au cours de ces dernières années, la relégation des parlementaires aura rarement été aussi forte, en réduisant notamment leur capacité d’opposition aux textes les plus décisifs à l’usage répétitif des amendements.

Il y a donc nécessairement une responsabilité dans le fait d’envisager l’exercice de la fonction présidentielle comme tolérant l’usage d’une force politique, qui pourrait finalement être assimilée à une forme de « totalitarisme à l’occidentale », et constituant ainsi l’apanage de la puissance exécutive – dans des conditions déjà démocratiquement dégradées.

Cette fragilité du pouvoir étatique tient probablement, et peut-être principalement, à la pauvreté idéologique objective de la classe qui nous gouverne, et à son absence d’une vraie stratégie politique. Le blanc-seing démocratique, dont se prévaut le chef de l’Etat français, ne repose de toute évidence sur aucun programme clair et déterminé, même s’il se prévaut d’une politique échappant au clivage traditionnel.

La fragilité du pouvoir étatique tient principalement à la pauvreté idéologique objective de la classe qui nous gouverne.

À force de vouloir échapper à l’inscription dans un courant de gauche ou de droite, le risque est de sombrer dans l’indétermination. La logique partisane, qui n’était certes pas exempte de tout reproche lorsqu’elle servait uniquement à l’alternance et à la survie des castes politiques, avait au moins pour mérite de produire des idées. Désormais, le moyen se confond avec la finalité.

La supposée efficacité administrative, le prétendu courage de réformes de désendettement, pensés à chaque fois de manière isolée, sont devenus l’alpha et l’oméga de la pensée politique. D’aucuns vont même jusqu’à considérer que la force d’Élisabeth Borne serait précisément de ne pas donner le sentiment de faire de la politique et d’entretenir une approche neutre vis-à-vis du fait politique.

Il est pourtant parfaitement chimérique de concevoir l’existence d’une quelconque neutralité en la matière, mais en donner l’illusion constitue la vraie force du gouvernement, car des intérêts sont toujours servis.

Le scandale des cabinets de conseil, qui ne fait que débuter, révélera le niveau d’ingérence de ces structures dans la vie politique, et l’effacement des idées au profit d’orientations de simple pilotage administratif et budgétaire, sous-tendu par une idéologie faisant l’éloge d’une certaine forme de méritocratie et de ploutocratie.

La situation pourrait éventuellement être supportable si cette hybridation de la vie politique, au profit d’une soi-disant rationalité, servait autre chose que le libéralisme économique mais, plus encore, qu’elle ne donnait pas le sentiment de profiter à une part infime de la population, dans une logique purement endogamique.

De ce point de vue, la multiplication des « affaires », l’absence de volonté véritable d’exemplarité, sont autant de marqueurs d’une élite tournée vers elle-même et, fait plus grave, qui ne semble pas prendre la mesure de ce à quoi elle concourt.

Les scandales de corruption vont jusqu’à frapper le Parlement européen, sans que notre classe politique ne trouve véritablement à redire à la colère compréhensible d’une partie de la population. Curieusement, le système tient, ce qui en soi révèle la force des réseaux qui le soutiennent, mais jusqu’à quand ?

Le Président « emmerde les non-vaccinés » ; les cassandres de la probité ou de l’écologie sont quasiment taxées de complotistes… par ce même régime qui refuse de se confronter à son propre reflet. Rarement nous aurons eu autant le sentiment d’un pouvoir accaparé par des personnes qui ne se donnent même plus la peine d’habiller leur soif de pouvoir par des idées, rarement cette élite n’aura semblé à la fois aussi fragile et inébranlable.

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