« Le féminisme est une pratique, pas une autoproclamation »
La chanteuse et militante féministe Mathilde ne mâche pas ses mots et a beaucoup de choses à dire : grossophobie, validisme, cyberharcèlement, violences sexistes et sexuelles, sororité, #MeToo. Sans oublier les stratégies militantes pour renverser le patriarcat.
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La première rencontre a eu lieu lors du meeting féministe contre la réforme des retraites organisé par Politis. Avec sa chanson « Libre » et son poing levé, Mathilde avait marqué les esprits. Connue comme chansonnière anarcho-féministe – et pour être passée dans l’émission « The Voice » –, Mathilde n’a pas peur des mots pour s’engager dans des combats vitaux pour elle, la société et la démocratie.
Biberonnée par un père anarchiste et une mère « élevée au bon grain du MLF, qui est avant tout une sœur de lutte », elle partait avec un beau bagage politique. Mais celui-ci s’est étoffé récemment, notamment grâce à #MeToo. Désormais, elle lutte sur scène, sur les réseaux sociaux et dans la rue.
La veille de l’entretien, elle participait à un blocage routier « avec les camarades » dans l’Indre, où elle vit, contre la réforme des retraites. Elle cite Audre Lorde – « Les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître » – et avoue qu’à l’approche des 40 ans elle sent qu’elle a encore beaucoup de choses à dire… bien plus radicales qu’aujourd’hui. Sa reine ? Brigitte Fontaine et sa chanson « Vendetta », qui crie : « Assez parlementé. Vive la lutte armée / Qu’on empale tous les mâles. » Le ton est donné.
Vous vous êtes mobilisée ces dernières semaines, que ce soit lors du 8 Mars ou contre la réforme des retraites. Comment vivez-vous le moment politique et militant actuel ?
Mathilde : Tous les 8 Mars, je suis face à une dichotomie : d’un côté, le dépit, car on se retrouve encore et toujours à lutter pour des droits qui devraient juste être la base de la société ; de l’autre côté, l’effervescence de la sororité. Je vis en partie à la campagne, au cœur de la diagonale du vide, donc les féministes enragées comme moi y sont très rares ! [Rires.] Plus globalement, les femmes sont très souvent isolées, et le système patriarcal joue là-dessus, comme le fait un pervers narcissique.
Je le vois même dans les commentaires haineux que je reçois sur les réseaux sociaux, car on me dit très souvent : « t’es seule », « personne ne t’aime », « personne n’écoute ta musique ». Se retrouver dans ces énormes manifestations, dans des cortèges où il n’y a quasiment que des meufs, c’est rassurant et ça donne de la force pour tenir jusqu’à l’année suivante ! C’est ça ou capituler, accepter d’être soumises et méprisées. Le choix est vite fait.
Votre militantisme passe aussi par vos chansons, alors que le monde de la musique n’est pas vraiment réputé pour être militant. Avez-vous subi des violences et discriminations ?
Après ma participation à l’émission « The Voice » en 2015, j’ai signé avec Naïve, le label de mes rêves. J’ai vite compris qu’ils avaient signé à l’aveugle, sans me connaître, alors que j’arrivais avec tout mon engagement politique et ma grande gueule. J’avais envie de dire et d’incarner beaucoup de choses, notamment de montrer le corps gros de manière belle et sensuelle. Le clip de ma chanson « Je les aime tous » ne leur a pas du tout plu. Une grosse sensuelle, c’était trop pour eux !
Le clip de ma chanson « Je les aime tous » ne leur a pas du tout plu. Une grosse sensuelle, c’était trop pour eux !
Et je n’étais pas d’accord avec les choix de photos : j’avais l’impression d’être déguisée pour vendre des yaourts ! J’ai réalisé les limites de ma liberté et pris conscience de l’injonction « On paye, alors on décide pour toi ». Comme dans un couple toxique. Ils ont également refusé ma première chanson militante, « Il était une fille », sur les violences conjugales que j’avais vécues. Je pensais faire l’unanimité sur ce thème, mais non. C’était un an avant #MeToo…
Dans le monde de la musique, mon corps et ma parole dérangeaient ! Il y a beaucoup de grossophobie, de misogynie, mais aussi de validisme. Quand j’ai proposé de rendre mon travail accessible aux personnes sourdes, avec un spectacle dans lequel on serait trois sur scène, sans hiérarchie, avec la traduction des paroles en langue des signes, j’ai perdu une grande partie de mon équipe. Aujourd’hui, je travaille avec une autre équipe pour mon deuxième album et il est évident pour tout le monde qu’on ne sépare pas la Mathilde artiste de la Mathilde militante !
Quel a été l’impact de #MeToo dans votre vie ?
Je pensais être très politisée, une féministe très radicale et déconstruite, mais MeToo m’a réveillée. À cette époque, j’avais donc perdu mon label à cause d’une chanson sur les violences conjugales, et mon équipe car je voulais sortir une autre chanson engagée le 8 Mars. Il ne me restait que mon éditeur, Gérard
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