« Le gouvernement fait le choix de criminaliser la contestation »

Samuel Hayat, politologue et historien, analyse l’état de notre démocratie, à l’heure où le gouvernement réprime violemment la contestation de sa politique.

Lily Chavance  • 7 avril 2023
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« Le gouvernement fait le choix de criminaliser la contestation »
Dans le cortège de la manifestation contre la réforme des retraites, à Paris, boulevard Auguste Blanqui, le 6 avril 2023.
© Lily Chavance

Dissolution annoncée des Soulèvements de la Terre, remise en cause des subventions publiques de la Ligue des droits de l’homme, enterrement à l’Assemblée de la pétition contre la Brav-M, criminalisation des mouvements sociaux, verrouillage du débat parlementaire : notre démocratie vit des heures sombres. Diagnostic du politologue et historien Samuel Hayat, chargé de recherche CNRS au CEVIPOF et auteur de plusieurs essais, dont Démocratie et Introduction à la socio-histoire des idées politiques, avec Julien Weisbein, en 2020.

Comment jugez-vous l’état de notre démocratie, à l’aune des dernières décisions ou menaces gouvernementales ?

Samuel Hayat
(Photo : Sciences Po.)

Samuel Hayat : Il y a deux temps. D’abord, l’utilisation du 49.3, puis les annonces récentes du gouvernement. Sur la question du 49.3 et plus généralement de toute cette séquence, cela marque une tension de plus en plus grande entre le gouvernement et l’esprit démocratique des institutions. Le gouvernement utilise tous les moyens d’une gestion autoritaire de la société et mettre en œuvre une réforme rejetée par une majorité.

Sur le deuxième point, la question est : que peut faire le gouvernement face à la contestation ? Le choix des derniers jours – lourd de conséquences – c’est la criminalisation de la contestation et la non-reconnaissance de sa légitimité, y compris quand elle passe par ses canaux les plus institutionnalisés comme la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Il n’y a pas de reconnaissance du rôle que jouent les associations et les mécanismes de contrôle démocratique du gouvernement. De ce point de vue, jour après jour, le gouvernement s’enfonce de plus en plus dans une gestion autoritaire, à la fois policière, judiciaire et politique. Il est très significatif que le gouvernement s’en prenne à une association aussi modérée que la LDH et peu suspecte d’appartenir à ce que le gouvernement appelle « l’ultragauche ».

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Il n’y a pas de reconnaissance du rôle que jouent les associations et les mécanismes de contrôle démocratique du gouvernement.

Le fait de s’attaquer aussi fortement à une association si reconnue et modérée est un moyen de terroriser l’ensemble de la population. C’est dire : « Si vous continuez à protester, vous êtes solidaires de l’ultragauche et vous ne faites pas partie du peuple légitime à s’exprimer ». Il y a donc une radicalisation aujourd’hui à l’œuvre au sein du gouvernement, qui dit en substance : tout ce qui n’est pas avec nous est contre nous, et tout ce qui est contre nous relève du terrorisme intellectuel.

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Vous l’avez dit, le gouvernement utilise la stratégie du « tout ce qui est contre nous relève du terrorisme intellectuel ». Comment la gauche, les syndicats et les associations doivent-ils, peuvent-ils réagir ?

Il y a deux manières d’approcher la chose. D’abord, on peut faire confiance à l’État de droit. Le gouvernement aboie, mais il n’a pas les moyens de sa politique autoritaire. Il n’a pas les moyens d’arrêter le travail de la LDH, de la Défenseure des droits, des députés de la France insoumise, de l’intersyndicale ni même des manifestants.

D’une certaine manière, en étant à ce point outrancier dans ses menaces, il révèle sa faiblesse plus qu’autre chose. La première stratégie serait donc de rester calme, serein et de continuer la mobilisation avec d’autant plus de force que l’on sent la fébrilité du côté du pouvoir.

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La deuxième attitude, qui coexiste avec la première, est de prendre le gouvernement au mot et de se dire que, puisqu’il a décidé de nous traiter comme des terroristes radicaux, il faut jouer le jeu de la radicalisation et alors, donner au gouvernement des raisons d’avoir peur.

Cela se traduirait en entamant ou poursuivant des formes de mobilisations plus directes face à un pouvoir qui ne reconnaît pas la validité démocratique des oppositions légales et institutionnelles. Quand le gouvernement se refuse à voir le peuple dans la protestation animée par l’intersyndicale, cela donne du grain à moudre à ceux qui veulent des actions plus directes et radicales.

Doit-on s’inquiéter de l’attitude du gouvernement ?

De toutes les manières, il faut réagir. Est-ce qu’il faut s’inquiéter ? Ça dépend de la façon dont chacun perçoit le mouvement. Le gouvernement utilise la stratégie de la peur. Il s’agit de faire peur aux militants. Tout l’enjeu pour les oppositions c’est de réagir, mais sans se laisser intimider.

Tout l’enjeu pour les oppositions c’est de réagir, mais sans se laisser intimider.

Que peut-on attendre de la décision du Conseil constitutionnel, prévue pour le 14 avril ?

Si le Conseil constitutionnel décidait de censurer l’ensemble du texte pour des raisons de procédure, ça serait une crise de régime. Car la Ve République, en l’absence de majorité parlementaire claire, donne à l’exécutif pour seul moyen d’action de recourir à ces artifices antiparlementaires que sont le 49.3 ou les procédures de vote bloqué. Si le Conseil constitutionnel devait décider qu’utiliser ces moyens ne permet pas la sincérité des débats, il signifierait la nécessité de changer les institutions ou de dissoudre l’Assemblée nationale pour faire émerger une majorité plus claire.

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