Le tout-voiture, une déroute écologique

Face aux dizaines de projets routiers qui bétonnent des terres naturelles et encouragent les déplacements automobiles, des mobilisations citoyennes s’organisent un peu partout en France pour faire avancer des alternatives.

Vanina Delmas  • 3 mai 2023 abonné·es
Le tout-voiture, une déroute écologique
© Nicolas Guyonnet / Hans Lucas /AFP.

« Non à l’A69. Macadam massacre : bifurquons sur les chemins de traverse. » Ce message éloquent a accompagné tou·tes les opposant·es qui ont manifesté les 22 et 23 avril contre le projet d’autoroute entre Castres et Toulouse.

Ces « chemins de traverse » peinent à émerger dans les politiques publiques, encore obnubilées par le « tout-voiture », un logiciel de pensée hérité des années 1970 qui influence encore fortement l’aménagement du territoire. Autoroutes, nouveaux tronçons, échangeurs, viaducs ou contournements d’agglomérations, ces projets émergent dans tout l’Hexagone, que ce soit à Rouen, Maubeuge, Montpellier, Auxerre, Briouze, Avignon, Le Pertuis, Céret, Arles ou encore Thonon-les-Bains.

Selon le média en ligne Reporterre, plus de 55 projets routiers contestés ont été identifiés pour une artificialisation totale estimée à environ 4 488 hectares et un coût de « 17,981 milliards d’euros, dont 12,322 proviennent de fonds publics ». Face à ces kilomètres de goudron qui menacent souvent des terres agricoles et naturelles, la contestation citoyenne s’amplifie. En mai 2022, une coalition unissant tous ces collectifs citoyens s’est créée : la Déroute des routes.

« Au fil des discussions, nous avons remarqué que nous étions tous confrontés aux mêmes problèmes dans nos dossiers, aux mêmes arguments des pro-routes. Nous ne voulons pas faire de hiérarchie entre les projets, mais plutôt faire des propositions collectives afin de parler de l’enjeu national de tous ces projets locaux, et parler des alternatives possibles », raconte Enora Chopard, l’une des porte-parole de la coalition, également opposante au projet de contournement est de Rouen, vieux serpent de mer normand depuis plus de cinquante ans.

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Des projets de bitume parfois archaïques, mais réactivés sous le gouvernement de Jean Castex, friand des inaugurations de routes comme celle du grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg ou du contournement de Gimont dans le Gers, lors de laquelle il a déclaré sans sourciller : « Je m’emploie à faire débloquer des dossiers routiers qui étaient dans le corner depuis parfois trente ou quarante ans, au grand dam des populations. »

Le gouvernement d’Élisabeth Borne semble plus flexible. La Première ministre a annoncé un plan de 100 milliards d’euros d’ici à 2040 pour le secteur ferroviaire, et Clément Beaune, ministre des Transports, a récemment affirmé qu’« on doit évidemment revoir un certain nombre de projets routiers […], il est hors de question de faire comme avant ».

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En 2021, le gouvernement gallois, dirigé par les travaillistes, a pris une décision radicale mais essentielle pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : geler les nouveaux projets de construction de routes. « Nous devons cesser de dépenser de l’argent pour des projets qui encouragent plus de gens à conduire, et dépenser plus d’argent pour entretenir nos routes et investir dans de véritables alternatives qui donnent aux gens un choix significatif », a déclaré Lee Waters, le vice-ministre chargé du changement climatique. Une annonce explosive, juste avant la COP 26 qui se tenait à Glasgow, en Écosse. Deux ans plus tard, un panel d’experts sur les transports a examiné 55 projets routiers : seuls quinze seront réalisés conformément à leur projet initial.

Pour Valentin Desfontaines, responsable mobilités durables au Réseau action climat (RAC), « nous sommes à un moment charnière » sur les transports car le gouvernement doit prochainement préciser sa vision sur les investissements dédiés à ces infrastructures pour le reste du quinquennat.

« Les négociations des contrats de plan État-région qui doivent avoir lieu cet été seront déterminantes pour le fléchage de l’argent public vers tel et tel projet routier. En l’absence d’un cap clair du gouvernement, le risque est qu’un tas de projets soient validés, ou reviennent par la fenêtre, dans des discussions où la société civile n’a pas toujours son mot à dire. »

Avons-nous besoin de maintenir la voiture comme le mode de déplacement principal des personnes et des marchandises ?

L’acceptabilité sociale de ce type de projet se réduit de plus en plus, notamment en raison de la prise de conscience écologique. Le secteur des transports est le principal émetteur de gaz à effet de serre en France. Le bilan de l’année 2022 du Citepa, association qui évalue l’impact des activités humaines sur le climat et la pollution atmosphérique, souligne que c’est le seul secteur dans lequel les émissions ont continué d’augmenter (+2 %), notamment à cause du transport routier.

Le gouvernement doit fixer un cap en tenant compte de ses objectifs climatiques et écologiques inscrits dans la stratégie nationale bas carbone et la loi climat et résilience, notamment l’engagement de « zéro artificialisation nette » (ZAN). « En théorie, le ZAN devrait freiner ces projets routiers mais des stratagèmes émergent pour le contourner afin que ceux-ci voient le jour, notamment parce qu’ils ont été pensés avant ce cadre législatif. Par exemple, les hectares artificialisés pour une autoroute ne seraient pas forcément décomptés du quota de la région, car c’est un grand projet d’utilité nationale », décrypte Valentin Desfontaines.

Pourtant, élus et acteurs locaux sont encore très attachés à leur bout de route ou d’autoroute et les porteurs de projet déroulent systématiquement les mêmes arguments : fluidifier le trafic, gain de temps, donc réduction de la pollution, désenclavement, et surtout attractivité du territoire.

Pour faire face à ces arguments, les membres de la Déroute des routes veulent poser les vraies questions : « Sur l’attractivité, c’est un vrai débat d’idées car, en effet, ces projets créent du PIB, mais quels sont les impacts à long terme et qui est-ce que ça enrichit ? Et avons-nous besoin d’investir autant d’argent public dans les routes et de maintenir la voiture comme le mode de déplacement principal des personnes et des marchandises ? » interroge Enora Chopard.

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Ainsi, la coalition porte l’idée d’un moratoire pour mettre les projets en cours sur pause, « faire les comptes » et orienter le débat public vers une approche plus globale afin de montrer que les opposants ne sont pas animés par le syndrome Nimby (1). « Une route n’est jamais un objet indépendant, il faut donc analyser ces projets d’un point de vue systémique. Une route, c’est le début de l’urbanisation car cela engendre souvent la construction de zones d’activité ou commerciales, de zones logistiques, de zones d’habitation. Sans oublier tous les enjeux de métropolisation, car c’est fait pour créer du flux et du développement économique. »

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En anglais « Not in my backyard » (« Pas dans mon jardin »).

De son côté, le RAC a publié en décembre 2022 un rapport intitulé « Le vrai plan d’investissement dans les infrastructures de transport pour réussir la transition écologique », dont le fil rouge est la réduction drastique des déplacements en voiture et donc le fléchage des investissements vers d’autres modes de transport.

« Selon nos estimations, les investissements dans le ferroviaire devraient être augmentés de 3 milliards d’euros par an afin d’entretenir le réseau existant, mais aussi les petites lignes, que ce soit pour le fret ou le transport de voyageurs, précise Valentin Desfontaines. Il est indispensable de réfléchir davantage au périurbain pour mieux desservir les communes proches des grandes villes par des transports en commun comme les cars express. Mais aussi par le vélo, qui n’est pas seulement un sujet de centre-ville. Il faut investir dans des pistes cyclables sécurisées entre les agglomérations et les zones rurales. »

Il est indispensable de réfléchir davantage au périurbain.

La spirale infernale du tout-voiture n’est pas encore à l’arrêt, ce qui donne du carburant aux mobilisations citoyennes et écologistes. La prochaine aura lieu à Léry, près de Rouen, sur le tracé de la future autoroute A133-A134, du 5 au 8 mai. Un festival militant et « familial, festif, naturaliste, instructif et déterminé », avec comme mot d’ordre : mettre « des bâtons dans les routes ! »

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Écologie
Publié dans le dossier
La folie des grandes routes
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