Contre les saccages routiers, la lutte partout s’organise

Artificialisation des sols, destruction de la biodiversité, manque d’investissement dans les transports en commun… Partout en France, la construction de nouvelles routes pose les mêmes questions. De la Normandie à l’Occitanie, focus sur trois luttes contre ces projets en cours.

Vanina Delmas  et  Rose-Amélie Bécel  • 4 mai 2023
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Contre les saccages routiers, la lutte partout s’organise
Partout, l'opposition aux projets routiers s'intensifie. Le collectif "Non à l'A133-A134" organise avec les Soulèvements de la Terre un festival-action du 5 au 8 mai à Léry, dans l'Eure.
© Collectif Non à l’A133-A134

Selon une enquête du média en ligne Reporterre, il existe aujourd’hui 55 projets routiers contestés en France. Cette politique du tout-routier pourrait entraîner l’artificialisation de près de 4 500 hectares d’espaces naturels. Partout dans le pays, des voix s’élèvent contre ces projets (voir nos trois autres articles dans le dossier ci-contre), qui mettent en péril la biodiversité ou encore la ressource en eau, et sont souvent imposés en dépit d’une étude sérieuse des alternatives. Zoom sur trois luttes particulières, emblématiques de la situation à l’échelle nationale.

À Rouen, deux autoroutes mettent en péril la ressource en eau

En Seine-Maritime, deux nouvelles autoroutes payantes – l’A133 et l’A134 – doivent sortir de terre à l’horizon 2030 pour contourner Rouen, la capitale normande, par l’est. Le projet est tentaculaire : 41,5 kilomètres de goudron, huit viaducs, 500 hectares de terres artificialisées, le tout pour un peu plus d’un milliard d’euros, dont plus de la moitié financée par l’État et les collectivités territoriales. 

La déclaration d’utilité publique (DUP), qui autorise cette opération d’aménagement, a été validée en novembre 2017, en dépit des nombreuses contestations que suscite le projet. Depuis 2015, le collectif Non à l’A133-A134 réunit des associations de protection de l’environnement, des collectifs de riverains, des syndicats, des partis politiques et des communes pour organiser la mobilisation. 

L’A133 et l’A134 font peser un risque de pollution de la ressource en eau dans un contexte où les nappes sont déjà en danger d’épuisement.

Parmi les nombreux points d’alerte soulevés par les opposants, la question de la ressource en eau est primordiale. Le tracé des futures routes passe à proximité d’aires de captage d’eau potable, dans des espaces où les eaux souterraines sont vulnérables à la pollution. « 60 % de l’eau consommée par les habitants de la métropole est alimentée par des nappes situées à l’est de Rouen, où le projet doit se faire. L’A133 et l’A134 font peser un risque de pollution de la ressource en eau dans un contexte où les nappes sont déjà en danger d’épuisement », constate Guillaume Grima, président de l’association Effet de serre toi-même, membre du collectif d’opposants aux deux autoroutes.

Sur le même sujet : Près de Castres, une lutte festive contre « l’autoroute du désespoir »

En 2022, l’État a lancé un appel d’offres pour recruter le futur concessionnaire des deux autoroutes, en vue de signer un contrat d’ici à trois ans. Tant que cet accord n’a pas été trouvé, le projet peut être interrompu sans pénalités financières et – surtout – sans dommages causés à la nature par des travaux préalables à la construction de la route. Du 5 au 8 mai, le collectif d’opposants rouennais organise avec les Soulèvements de la Terre le festival-action « Des bâtons dans les routes », à Léry dans l’Eure.

Le contournement nord de Montpellier, syndrome de la métropolisation galopante

Depuis les années 1980, un projet de liaison intercantonale d’évitement nord (LIEN) vise à désengorger Montpellier. Deux premières sections ont été mises en service entre 1990 et 2008, mais le dernier tronçon de 8 kilomètres, reliant Saint-Gély à Bel-Air n’est pas encore terminé, car des citoyens, écologistes et élus de villages impactés par le projet routier s’y opposent. Parmi eux, le collectif SOS Oulala. Leur mot d’ordre est radical et global : « Aucune route sur ces terres ! ».

Même si le Conseil d’État a autorisé la poursuite des travaux en juillet 2022, les opposants continuent de batailler contre le dernier tronçon qui fera la jonction avec les autoroutes. « Cette route servira essentiellement aux camions puisqu’elle rejoint deux autoroutes majeures : l’A750 (de Clermont-Ferrand à Barcelone) et l’A9 (de Lyon à Marseille). Plus globalement, c’est un projet à regarder dans sa dimension régionale car on constate les mêmes processus à Nîmes, Arles et Avignon. C’est une accélération nette de fluidité du transit de poids lourds », explique Anna, membre du collectif SOS Oulala.

Le département de l’Hérault, porteur du projet routier, promet que le LIEN servira à réduire drastiquement les embouteillages. Pour les opposants, c’est un faux argument qui cache surtout l’émergence de l’urbanisation d’un territoire encore préservé du tout-béton. « Nous nous sommes aperçus que de nombreux projets industriels et commerciaux seront installés le long du LIEN, et qui affirment eux-même qu’ils ont besoin de cette route pour faire venir les camions, détaille Anna. Deux zones commerciales sont donc prévues, ainsi que la réouverture d’une carrière Lafarge. »

Qui voudra venir vivre ici dans 50 ans, quand il n’y aura plus d’eau, plus de nature et du béton partout ?

Le plateau de Bel-Air est un trésor de biodiversité, avec des terres agricoles, des zones humides et 136 espèces menacées, répertoriées par SOS Oulala, dont la loutre d’Europe ou la pie grièche méridionale. Mais c’est aussi une lutte pour préserver les petits villages vivants, face à la métropolisation qui se répand toujours plus loin et plus vite, comme si « l’expansion de la ville était à l’infini ».

« Ce n’est pas un territoire vide à remplir ! Malheureusement, des villages périphériques le long du LIEN se transforment petit à petit en banlieues-dortoirs, s’insurge Anna. Cela bouleverse les paysages mais aussi les manières de vivre ! Qui voudra venir vivre ici dans 50 ans, quand il n’y aura plus d’eau, plus de nature et du béton partout ? »

Une voie rapide au détriment du bocage ornais

Depuis un an, des habitants de l’Orne s’opposent à la construction du dernier tronçon de l’axe routier entre Flers et Argentan. Dix-neuf kilomètres de la RD 924, transformés en une 2×2 voies, reliant les communes de Briouze et Sevrai, pour un budget estimé à 80 millions d’euros. Depuis une quinzaine d’années, les projets routiers se multiplient dans ce département, jusqu’alors pauvre en routes rapides.

D’abord l’A88, autoroute payante entre Rouen et Tours, puis l’A88 reliant Caen à cette première. « Tous ces projets routiers sont censés apporter joie, prospérité et argent  aux habitants des villes moyennes comme Alençon, ou Flers. Or, on constate plutôt la diminution du nombre d’habitants et d’emplois », commente Loïc, du Collectif 924, opposé au projet routier.

Ça fait mal au cœur de voir cette biodiversité détruite.

Le collectif citoyen dénonce notamment l’artificialisation de 125 hectares de terres naturelle et des études environnementales « bâclées » par le Département, précisant que plusieurs organismes environnementaux ont émis des avis négatifs sur le projet, comme la DREAL, le Groupe Mammalogique Normand, l’association Environnement et vie en pays de Briouze« Ce dernier tronçon traversera des zones Natura 2000, détruira un bocage ancien préservé depuis des décennies. », glisse Loïc.

Routes luttes Orne
« Tous ces projets routiers sont censés apporter joie, prospérité et argent  aux habitants des villes moyennes comme Alençon, ou Flers. Or, on constate plutôt la diminution du nombre d’habitants et d’emplois » selon le Collectif 924. (Photos : Collectif 924.)

Des naturalistes du collectif ont relevé la présence de plusieurs espèces animales menacées, dont le muscardin et le scarabée pique-prune, protégé par la convention de Berne. « Ce coléoptère ne vit que dans de vieux arbres creux mais pas morts. Sa présence révèle la richesse écologique de notre bocage, donc il est vital de préserver son habitat et cet écosystème », précise Loïc. En 1998, cet insecte précieux avait bloqué pendant six ans le chantier de l’A28 entre Le Mans et Tours.

Malgré de nombreux avis défavorables lors de l’enquête publique, le commissaire-enquêteur a rendu un avis favorable en mai 2022, et la préfecture a signé la déclaration d’utilité publique du projet routier le 10 mars 2023. Les travaux étant prévus pour 2026-2027, le collectif veut continuer à se mobiliser en organisant des balades naturalistes sur le tracé, et des conférences-débats pour parler d’alternatives et de mobilités douces, même en milieu rural.

« Il serait judicieux de réfléchir à des pistes cyclables le long des routes du réseau secondaire mais bien sécurisées, car il y a beaucoup de virages dangereux dans le bocage, détaille Loïc. De même, la ligne de train Granville-Paris – qui suit le tracé de la fameuse route – se meurt et mériterait d’être rénovée. »

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