Grand contournement ouest de Strasbourg : et maintenant ?

Inauguré en décembre 2021, le grand contournement ouest de Strasbourg, le GCO, est le symbole des grands projets inutiles. Le cœur en berne après des années de lutte, les militants gardent l’espoir qu’elles n’auront pas été vaines.

Zoé Neboit  • 3 mai 2023 abonné·es
Grand contournement ouest de Strasbourg : et maintenant ?
Si le trafic sur la M35 n’est pas plus fluide, la pollution au NO2 a quant à elle augmenté dans les villages jouxtant le GCO.
© PATRICK HERTZOG / AFP.

« Tout ça, pour ça » revient en boucle comme un mantra infernal dans la bouche de celles et ceux qui se sont farouchement opposés pendant deux décennies à la construction du grand contournement ouest de Strasbourg, le GCO. Un an et demi après la mise en circulation de cette autoroute à péage de 24 kilomètres pour un coût de 560 millions d’euros, le bilan laisse en effet songeur.

Le GCO fait partie de ces projets d’infrastructures dont les prémices sont aussi anciennes que le premier choc pétrolier. C’est en 1973 qu’il est inscrit pour la première fois dans un projet d’aménagement de l’agglomération. Oublié, puis dépoussiéré au tournant des années 2000, il a connu pendant vingt ans des allers-retours judiciaires, politiques et de vives contestations dans le débat public.

Non sans rappeler le long cheminement de l’ex-projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le GCO, lui, a bien vu le jour. Autre point commun : c’est le promoteur Vinci qu’on retrouve à la tête de ces deux projets. « On dit souvent qu’on est le lot de consolation de Vinci », rit jaune Bruno Dalpra, membre de longue date du collectif GCO non merci.

Malgré sept avis défavorables émis après différentes enquêtes publiques, dont un émanant du Conseil national de la protection de la nature, le gouvernement est passé outre et a donné son feu vert le 23 janvier 2018, soit cinq jours seulement après l’abandon du chantier de Notre-Dame-des-Landes. Le contournement était présenté comme le moyen de désengorger l’A35 menant à Strasbourg, renommée depuis M35, l’une des autoroutes les plus empruntées de France.

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En bonus, moins de nuisances sonores et atmosphériques dans l’agglomération alsacienne. Un « maillon essentiel à la transformation des mobilités autour de Strasbourg » offrant « un meilleur cadre de vie pour les habitants de la métropole », vantait Vinci Autoroutes au moment d’inaugurer la rutilante deux fois deux voies.

Sauf qu’aucune baisse significative de dioxyde d’azote (NO2) n’a été mesurée depuis son inauguration à Strasbourg, où la concentration de ce composé chimique dépasse régulièrement 40 µg/m3 d’air, limite fixée par la réglementation européenne. Plus préoccupant encore, la pollution au NO2 a, à l’inverse, significativement augmenté dans les villages jouxtant le GCO, comme l’atteste une étude diligentée par quatre de ces communes, à leurs frais.

ZOOM : Le bitume, une bombe sanitaire ignorée

Le bitume est un mélange d’hydrocarbures utilisé comme liant pour la fabrication de nombreux revêtements (routes, parkings, trottoirs…). Une fois chauffé, il émet des fumées pouvant contenir des substances dangereuses pour la santé. Le Centre international de recherche sur le cancer a classé l’exposition professionnelle aux fumées de bitume comme « peut-être cancérogène », et l’Anses parle de « potentiel cancérogène ». Des études ont pointé des risques d’asthme, de bronchite chronique, d’irritations oculaires et respiratoires. En 2010, la justice a, pour la première fois en France, fait le lien entre le cancer de la peau d’un ouvrier spécialisé dans l’épandage du bitume, décédé en 2008 d’un cancer de la peau, et les fumées toxiques du bitume. 

Même la promesse phare de fluidifier le trafic de la M35 vers Strasbourg tient, un an et demi après, difficilement la route. « Entre juin 2019 et juin 2022, on a observé à un point de comptage une baisse de 162 000 à 159 000 véhicules légers. Autrement dit, peanuts », rapporte Alain Jund, vice-président écologiste de l’Eurométropole et opposant de longue date du projet. En 2018, avec l’équipe écologiste, il avait démissionné de l’exécutif de la collectivité, dénonçant le rôle de la présidence, « fer de lance d’un projet inutile et dépassé ».

Au bonheur de Vinci 

Côté GCO, en faisant quelques calculs, il apparaît que la prophétie des opposants qui faisait du projet un « couloir à camions » pour le transit européen de marchandises semble s’être réalisée. Si les 16 000 à 17 000 camions qui circulaient jadis quotidiennement sur l’A35 se sont largement déportés sur le GCO, ils ne sont pas les seuls.

Ce sont désormais 21 000 camions, M35 et GCO confondus, qui traversent tous les jours la plaine d’Alsace. Payant, le GCO reste toujours un trajet plus avantageux pour les poids lourds que l’axe parallèle allemand A5 où ils sont soumis à l’écotaxe « LKW Maut ». En 2022, Vinci a engrangé un bénéfice net de 4,26 milliards d’euros, soit une hausse de 64 %, dont la moitié réalisée grâce à ses autoroutes.

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« Les camions les uns derrière les autres, je les vois tous les jours depuis ma fenêtre », soupire, las, Dany Karcher, ancien maire de Kolbsheim et figure centrale de la lutte anti-GCO. « Ce truc-là », comme il le nomme parfois, s’est imposé dans un paysage de champs et de maisons à colombages, à quelques centaines de mètres de son domicile. « Pour l’intensité, ça dépend de la météo, du vent », estime l’ancien élu, avant de préciser : « Mais il n’y a pas un jour ou une nuit sans que je l’entende. »

Sa commune de 920 habitants était devenue l’épicentre des mobilisations anti-GCO en accueillant l’installation d’une zone à défendre, une ZAD, de 2017 à 2018, dans la forêt voisine, aujourd’hui rasée. « Ça a été pour moi une école de vie extraordinaire, où j’ai appris à connaître des gens mus par de puissantes valeurs », se souvient avec émotion l’ancien maire.

Les camions les uns derrière les autres, je les vois tous les jours depuis ma fenêtre.

Vent debout contre le projet, Caroline Ingrand-Hoffet, la pasteure de l’église de Kolbsheim, a elle aussi contribué à orchestrer la vie entre les habitants de ce petit village alsacien et les zadistes. « Ma position a d’abord étonné les deux bords, mais je crois avoir servi de liant entre les gens », raconte celle qui est aussi surnommée « la pasteure de la ZAD ». C’est grâce à l’appel des cloches de son église que plus d’une fois, au petit matin, les habitants alertés se sont retrouvés à défendre la forêt face aux engins de démolition.

Aujourd’hui, Caroline Ingrand-Hoffet perpétue le combat. Depuis quatre ans, elle organise dans le village un festival local culturel, « 10 jours vert le futur », avec des artistes rencontrés durant la lutte. Les dates du 10 au 20 septembre n’ont pas été choisies au hasard. Elles marquent l’épisode en 2017 durant lequel les engins ont été repoussés – « où on avait fait gagner un an à la forêt » – et en 2018 l’évacuation de la ZAD. « L’humain a besoin de rituel, de dates », note-t-elle.

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« Pour moi, le discours d’inauguration du GCO de Jean Castex a été un tournant. En plus d’afficher son mépris total pour notre lutte, il a confirmé son intention de relancer tous les autres projets routiers. Ça a réveillé mon instinct de veille politique. » La pasteure multiplie depuis les interventions et actions au sein des milieux écologistes, notamment interreligieux via le collectif Greenfaith contre le projet Eacop de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie.

 Si notre exemple peut aider d’autres luttes, ça sera notre lot de consolation

« La bagarre n’est pas terminée », martèle Luc Huber, ancien maire de Pfettisheim, commune voisine de Kolbsheim. « C’est insupportable que des entreprises comme Vinci puissent imposer leur loi dans notre pays. Quand on est citoyen, il faut simplement se battre contre. » Comme Dany Karcher, l’ancien édile se dit « essoré » par ces années de lutte. Mais tous deux se félicitent de la participation du collectif GCO non merci à la coalition nationale la Déroute des routes.

« Si notre exemple peut aider d’autres luttes, ça sera notre lot de consolation », déclare Bruno Dalpra, mobilisé contre l’A69 Toulouse-Castres ou encore le contournement de Rouen. « Dans nos luttes locales, on est souvent isolés et notre force de frappe ne nous permet pas d’atteindre les institutions. Le fait de s’unir permet de peser véritablement, c’est là que réside notre espoir. » ·

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Écologie
Publié dans le dossier
La folie des grandes routes
Temps de lecture : 6 minutes