Morts suite à un tir policier : des chiffres records en 2021 et 2022

Le média indépendant Basta! révèle ce jeudi que 44 personnes ont été abattues par la police en 2021 et 2022. Jamais, depuis 2010, de tels chiffres avaient été atteints, même durant le contexte terroriste de 2015-2016.

Pierre Jequier-Zalc  • 28 juin 2023
Partager :
Morts suite à un tir policier : des chiffres records en 2021 et 2022
Rassemblement en hommage à Alhoussein Camara, abattu lors d'un contrôle de police à Angoulême, le 17 juin 2023.
© THIBAUD MORITZ / AFP.

Ce sont des chiffres qui font l’effet d’une bombe. 48 heures après le décès de Nahel, un mineur de 17 ans, tué par un tir à bout portant d’un fonctionnaire de police, Basta! révèle des chiffres exclusifs sur les personnes décédées suite à une intervention policière. Depuis une dizaine d’années, le média indépendant en ligne recense, méthodiquement, toutes les personnes tuées lors d’une opération des forces de l’ordre. « Sans préjuger de la légitimité, de l’intentionnalité ou de la légalité de l’acte qui a mené à la mort d’une personne, ce recensement doit nous aider à comprendre dans quelles conditions l’action des forces de l’ordre conduit à une issue mortelle », écrivent Ludovic Simbille et Ivan du Roy, les auteurs de cette base de données. Jusqu’en 2018, celle-ci était d’ailleurs totalement inédite, seule référence de ce type en France. Depuis, l’Inspection générale de la police nationale et de la gendarmerie nationale (IGPN/IGGN) réalise aussi un décompte qui recoupe, à quelques exceptions près, celui réalisé par le média indépendant.

Les mensonges de Gérald Darmanin

Ce jeudi, Basta! publie une actualisation de son recensement. Et le constat est sans appel. Jamais, depuis 15 ans, autant de personnes ne sont mortes sous les balles des forces de l’ordre qu’en 2021 et 2022. Sur cette période-là, 44 individus sont décédés dans ce type de circonstances. C’est plus qu’entre 2010 et 2015 inclus, une année pourtant marquée par un très fort contexte terroriste, où 41 personnes avaient succombé à la suite d’un tir policier. Ces chiffres démontent clairement les propos du Gérald Darmanin ce mardi devant les parlementaires. En effet, lors des questions au gouvernement, celui assure qu’« il y a eu moins de tirs et moins de cas mortels depuis la loi de 2017 ». La loi évoquée ici par le ministre de l’Intérieur est la dernière sur la sécurité publique du quinquennat de François Hollande. Elle élargit notamment les droits des policiers à faire feu. De nombreux chercheurs spécialistes de la police – à l’instar de Fabien Jobard – ont montré que depuis sa promulgation, l’usage des armes à feu par les policiers a beaucoup augmenté.

Cette affirmation est corroborée par les chiffres publiés par Basta!. Entre 2010 et 2016 (inclus), 55 personnes ont été tuées par un tir d’un policier ou d’un gendarme. Entre 2017 et 2022 (inclus), ce nombre s’élève à… 86 ! En un an de moins, 31 personnes de plus sont mortes dans ces circonstances. Une conclusion qui renvoie au rang de mensonges éhontés les propos du ministre de l’Intérieur. Pis, le média indépendant va plus loin qu’une simple compilation de chiffres et s’attache à retracer de manière la plus factuelle possible (grâce aux rapports de l’IGPN, aux articles de presse…) les circonstances de ces opérations. Et les résultats sont effarants. « Le risque terroriste n’explique pas l’augmentation des décès par balle en 2021 et 2022. Un seul terroriste potentiel a été tué en 2021. Aucun terroriste parmi les 26 tués de 2022 », écrivent les auteurs de l’enquête.

Très rares poursuites

Sur ces 44 personnes abattues, « seulement » dix étaient armées d’une arme à feu. Moins d’une sur quatre donc. 16 étaient munies d’une arme blanche (couteau, cutter, barre de fer), dont « une dizaine aurait menacé ou attaqué les agents avant d’être tuées », selon Basta! qui raconte, par exemple l’histoire de David Sabot, tué par des gendarmes le 2 avril 2022. « Ses parents, inquiets de l’agressivité de leur fils, alcoolisé, alertent la gendarmerie de Vizille (Isère). Les gendarmes interviennent et tirent neuf balles sur David. Selon les gendarmes, il se serait jeté sur eux. Selon ses parents, il marchait les bras ballants au moment des tirs. « On n’a pas appelé les gendarmes pour tuer notre enfant », s’indignent-ils dans Le Dauphiné. »

Ce qui interroge le plus c’est le nombre restant. 18 personnes ont donc été abattues par la police sans être armées en 2021 et 2022. Soit 41 % du total. « C’est plus du triple que la moyenne de la décennie précédente », assure le média indépendant. Parmi ces morts, la plupart concernent des situations de refus d’obtempérer où les forces de l’ordre ouvrent le feu sur un véhicule. Depuis la loi de 2017, ce genre de situation a explosé. Plus de personnes (30) sont mortes dans ces circonstances depuis 2017 que sur les quinze années précédant 2017 (17). Parmi ces drames, jusqu’ici, très rares sont les poursuites judiciaires allant à leur terme. Encore plus rares sont les condamnations. Sans vidéo, la faute est régulièrement renvoyée sur la personne décédée. Le tragique exemple de Nahel vient mettre en lumière cette machine infernale du déni et, surtout, cette dangereuse augmentation de ce type de situation. Au vu des révélations de Basta!, il s’agirait désormais de le reconnaître, et donc, d’agir en conséquence.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Police / Justice
Publié dans le dossier
Mort de Nahel : la République en faute
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus
Justice 18 avril 2024 abonné·es

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus

Les 2 et 3 avril derniers, à Paris, Jean-Noël « Txetx » Etcheverry et Béatrice Molle-Haran répondaient de leur participation à l’opération de désarmement de l’organisation de lutte armée ETA en 2016, à Louhossoa, au Pays basque. Avec cette question : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ?
Par Patrick Piro
À Sainte-Soline et ailleurs, les traumatismes oubliés des journalistes
Témoignages 25 mars 2024

À Sainte-Soline et ailleurs, les traumatismes oubliés des journalistes

« Certaines images me hantent » : la phrase revient dans la bouche de nombreux journalistes. Face à la violence vue ou vécue sur le terrain, comme celle subie à Sainte-Soline, les traumatismes s’installent, comme pour les autres acteurs des luttes. S’y ajoute parfois la culpabilité. Une vingtaine de consoeurs et confrères témoignent.
Par Maxime Sirvins
Un policier condamné pour viols en cavale
Police 11 mars 2024

Un policier condamné pour viols en cavale

C’est une nouvelle qui fait grincer des dents à la préfecture de police de Paris : un policier, interpellé dans l’Essonne pour des faits de violences conjugales en fin de semaine dernière, aurait pris les voiles. Il avait déjà été condamné à 10 ans de réclusion.
Par Maxime Sirvins
Affaire Geneviève Legay : le commissaire écope de six mois de prison avec sursis
Justice 8 mars 2024

Affaire Geneviève Legay : le commissaire écope de six mois de prison avec sursis

Le tribunal correctionnel de Lyon a rendu son verdict ce vendredi 8 mars dans l’affaire de la charge policière ayant gravement blessé la retraitée et militante d’Attac, en 2019. Le commissaire Souchi, condamné, fait appel.
Par Oriane Mollaret