Au sein de la Nupes, les écologistes veulent changer de division

Ils ont décidé de partir en solo aux européennes, assument leurs ambitions aux sénatoriales et pensent déjà à 2027. Au milieu de la coalition des gauches, EELV recherche l’hégémonie sans le dire vraiment.

Lucas Sarafian  • 19 septembre 2023
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Au sein de la Nupes, les écologistes veulent changer de division
Marie Toussaint, députée EELV, lors des journées d'été du parti au Havre, le 24 août 2023. Elle a été désignée cheffe de file d'une liste autonome écologiste aux européennes en 2024.

Au bout du fil, la députée écolo Sandrine Rousseau prend conscience que son combat est perdu. Une liste commune aux européennes en 2024 ? « Il faut arrêter avec cet espoir », lâche-t-elle, dépitée.Au début du mois de juillet, les adhérents de son parti ont voté à 86 % pour une liste autonome. Juste avant de désigner leur cheffe de file, Marie Toussaint. Ce scénario, l’élue de Paris et « unioniste » convaincue y était opposée.

« Je ne pense pas que ce soit la bonne option, mais ma formation politique en a décidé autrement, analyse-t-elle. Ce choix dit quelque chose sur ce qui est en train de se passer dans la Nupes. En ce moment, il y a une revanche des partis qui n’ont pas trouvé dans le cadre de la coalition un espace suffisamment démocratique et ouvert pour prendre des décisions collégiales. Alors, c’est le rapport de force pour tout le monde. » Les écolos y compris.

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2024, un rapport de force ? La direction du parti botte en touche. « On est droits dans nos bottes. On ne changera pas soudainement d’avis, malgré les sollicitations plus ou moins fortes de nos partenaires. Peu importe ce qui se passe ailleurs, on est persuadés qu’on peut rassembler plus largement chacun dans son couloir de nage », répond Aminata Niakaté, porte-parole du parti.

Autre argument en vogue : la différenciation du scrutin européen des élections nationales. « Il n’y a aucun lien. Les enjeux sont différents et le scrutin n’est pas le même. Ça n’a pas de sens de se rassembler pour un vote à la proportionnelle, à moins de vouloir moins de députés de gauche », projette Gérôme Gulli, membre de l’exécutif et délégué au projet, à la prospective et à la riposte. En bref, circulez, il n’y a rien à voir.

On est persuadés qu’on peut rassembler plus largement chacun dans son couloir de nage.

Aminata Niakaté, porte-parole EELV.

Grisé par le score obtenu aux dernières européennes, le parti n’est donc pas près de bouger d’un iota. En 2019, la liste conduite par Yannick Jadot arrive en troisième position (13,48 %), derrière celle de Jordan Bardella (Rassemblement national, 23,34 %) et de Nathalie Loiseau (Renaissance, 22,42 %). Et surtout, les écolos font le double du score obtenu par la liste des socialistes et de Place publique, portée par Raphaël Glucksmann (6,19 %) et celle des insoumis derrière Manon Aubry (6,31 %). Donc, pas question de reléguer au second plan une élection qui pourrait être l’opportunité rêvée de placer le parti au centre des attentions dans un an.

Un plan tout tracé

Alors que les insoumis plaident l’union et que Glucksmann a récemment annoncé sa candidature en tendant la main aux socialistes dans l’Obs, les Verts avancent sur leur projet européen. Et comptent bien le défendre en solo. Contactée, la discrète eurodéputée de 36 ans et tête de liste désignée par les écolos, Marie Toussaint, détaille quelques-unes de ses propositions de campagne. Au menu ? Un nouveau traité environnemental « qui ferait de la préservation du vivant une règle d’or », ou la lutte contre les pesticides et la prolifération de produits toxiques.

Ses deux lignes directrices : une transformation « systémique de notre modèle économique qui doit impérativement être réencastré dans le respect des limites planétaires » et le combat contre la pauvreté jusqu’à ce qu’il devienne « la colonne vertébrale de la construction européenne ». « Nous avançons sous la double bannière du combat pour la justice et le vivant », synthétise celle qui est à l’origine de l’Affaire du siècle. Son discours semble impossible à amender. Le plan des Verts est tout tracé.

Face à l’insistance des « jeunes de la Nupes » qui poussent pour une liste unique, Marie Toussaint a cédé. La cheffe de file des écolos a accepté de discuter autour du programme des Jeunes socialistes, insoumis et écologistes avec les insoumis et les roses. Mais elle tient à prendre ses distances avec l’initiative : « Leur travail arrive tard : les têtes de liste du PCF et des écologistes sont déjà lancées. Mais tirons-en des leçons pour la suite. Au lendemain des élections européennes, je souhaite évidemment que l’alliance soit possible dans la durée, sous le signe Nupes ou sous un autre. » En parallèle, Place publique pourrait espérer rassembler au-delà des socialistes. Mais difficile là encore d’imaginer les Verts négocier.

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Mais avant cette échéance, un scrutin bien moins commenté intéresse la famille écologiste : les sénatoriales, le 24 septembre. Et sur ce vote aussi, la formation ne tait pas ses ambitions. « Selon les estimations, nous aurons 4 ou 5 sénateurs supplémentaires, voire plus si les planètes s’alignent, pronostique l’élu lyonnais Benjamin Badouard, membre de l’exécutif du parti et délégué aux relations avec la société civile. Sauf catastrophe, nous allons nous renforcer. »

Avec un groupe actuellement composé de 12 parlementaires – 4 sont remis en jeu cette année -, EELV espère titiller les communistes (15 sièges) ou le groupe macroniste nommé Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (14 élus). Et ne pas voir arriver un nouveau concurrent à gauche qui aurait pu grappiller quelques sénateurs. Ce dernier point n’est pas crié trop fort.

En effet, les écologistes ont signé un accord juste avant l’été avec le Parti socialiste et le Parti communiste dans quinze départements. Sans la France insoumise qui dénonce une « volonté d’éradication ». Cette mise à l’écart forcée est-elle une façon d’imposer un bras de fer avec le mouvement de Jean-Luc Mélenchon ? « Ils ne sont pas dans l’accord parce qu’ils n’ont pas d’élus locaux, c’est tout. Les sénatoriales, c’est surtout l’ancrage territorial qui compte », rétorque Guillaume Gontard, président du groupe écologiste à la Chambre haute. Le message est passé : le Sénat est une chasse gardée.

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Pour la direction, le lancement officiel mi-octobre de leur nouveau mouvement, Les Écologistes, censé remplacer Europe Ecologie-Les Verts, pourrait aussi accompagner la dynamique. Avec de telles aspirations, difficile de ne pas entendre quelques critiques au sein de la Nupes. Certaines voix accusent les écolos de vouloir organiser un « congrès à ciel ouvert » pour tenter de rééquilibrer les forces dans l’alliance. Un député regrette « la logique présidentialiste qui s’est emparée des appareils » et la volonté d’EELV, au même titre que le PCF, de ne pas « jouer à fond le jeu de la Nupes ». Quatre ans avant 2027, une primaire sauvage serait donc engagée.

Double jeu

Pourtant, les Verts refusent la charge. « Il n’y a pas de débat sur la Nupes. Tout le monde est d’accord pour dire que l’union est nécessaire pour la présidentielle. On est pour une candidature unique en 2027 », lâche Gontard. Ils tiennent donc le discours officiel : partir en solo pour la présidentielle dans quatre ans n’est pas envisagé. Même quand il s’agit d’évoquer une éventuelle candidature écolo pour le poste suprême, les écologistes se la jouent collectif. « On travaillera sur un projet commun, assure la porte-parole Aminata Niakaté. Cependant, il faut aussi réfléchir à la méthode de désignation de notre candidat. En tout cas, notre parti s’est déjà effacé pour soutenir une autre candidature, et bien avant que la Nupes existe. Alors s’il faut le faire, on le refera. »

Tout le monde est d’accord pour dire que l’union est nécessaire pour la présidentielle.

Guillaume Gontard, sénateur écologiste

En creux, une sorte de double jeu s’installe : l’union doit tenir coûte que coûte, néanmoins les Verts ne se rétrograderont pas au second plan. « On n’est pas dans une course à l’échalote. Mais on n’a pas non plus l’intention de se dissoudre dans La France insoumise, ce n’est pas prévu. Nos adhérents restent souverains. Personne d’autre que nous n’a le pouvoir de dicter notre stratégie électorale », résume Niakaté. L’argumentaire est repris par Gérôme Gulli, membre de la direction : « On tient à faire une campagne commune pour soutenir une candidature unique. Évidemment, ça nous paraît plus fort si c’est un écologiste, toutefois ce n’est pas un préalable. »

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Sans revendiquer un statut hégémonique au sein de la Nupes, les écologistes veulent désormais conquérir une place plus centrale. « Ce n’est pas une question de boutiques, c’est un enjeu de civilisation. L’écologie doit être cardinale si on veut affronter toutes les crises que nous traversons, ambitionne Marie Toussaint. Mais le respect ne se donne pas, il se prend. À nous de démontrer que l’écologie politique est à la hauteur des alertes qu’elle a lancé en pionnière, quand la majeure partie des gauches barbotait encore dans l’illusion productiviste. »

L’écologie doit être cardinale si on veut affronter toutes les crises que nous traversons.

Marie Toussaint, députée écologiste

Si la domination de la France insoumise sur l’alliance était incontestable au moment de signer l’accord des législatives, les Verts souhaitent ouvrir un nouveau chapitre. Et rêvent de changer de division. Jusqu’à prendre le leadership de l’union des gauches ? Les écologistes n’utilisent pas ces mots pour le dire. Selon Guillaume Gontard, « l’écologie politique est au cœur des questionnements que traverse la gauche. C’est la pensée écologiste qui doit être le socle d’un projet pour répondre à 2027 ».

Benjamin Badouard se projette davantage : « Les écologistes doivent avoir une place plus importante, c’est évident. Mais ce n’est pas une course non plus. Ce qui doit être surtout central, c’est le sujet écologique. Et la vraie force politique qui n’arrête pas d’en parler depuis des années, c’est nous. On est à la tête de plusieurs métropoles depuis des années, on montre que l’écologie politique réussit quand elle est au pouvoir. L’étape suivante, c’est gouverner le pays. » Ce qui a au moins le mérite d’être clair.

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