Européennes : la Nupes sous tension

Si les insoumis et, plus timidement, les socialistes croient encore au rassemblement en 2024, les écologistes et les communistes ont clos le débat. Face à l’extrême droite et au bloc libéral, la coalition des gauches est en phase de dislocation.

Lucas Sarafian  • 13 septembre 2023 abonné·es
Européennes : la Nupes sous tension
La France insoumise ne cesse de plaider l’union. Mais elle est bien seule. Et l’ultimatum posé par Jean-Luc Mélenchon n’a pas fait bouger les lignes.
© Ludovic MARIN / Samuel Boivin / NurPhoto / Thomas SAMSON / Amaury Cornu / Hans Lucas /Alain JOCARD / AFP

En pleine canicule estivale, le député Génération·s Benjamin Lucas ne redoute qu’une seule chose : « l’hiver de la Nupes », ce moment où la coalition des gauches partirait en lambeaux ou exploserait d’un coup. Peut-être même dès le 9 juin 2024, au soir du premier tour des européennes. Pour cet élu des Yvelines, c’est le scénario qui attend la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) si elle n’arrive pas à présenter de liste commune pour ce scrutin : « Ensemble, on fera un meilleur score que séparés, parce qu’on pourra créer une dynamique. Les électeurs seront attirés par un bulletin efficace. Aller voter en sachant qu’on va perdre, c’est moins motivant. »

Son discours est loin de faire l’unanimité. Car en ce moment, au sein de l’alliance signée pour les législatives de 2022, deux croyances s’affrontent. D’un côté, les « unionistes » qui estiment qu’une campagne menée en commun serait la seule solution pour élargir l’électorat de gauche. De l’autre, ceux qui brandissent les sondages en expliquant que présenter quatre listes distinctes permettrait de faire élire quelques eurodéputés de plus. Ces deux gauches-là semblent irréconciliables.

ZOOM : Ensemble, mais séparés

Ensemble, mais séparés. L’équation est impossible. Socialistes, écologistes, communistes : tous, à l’exception de La France insoumise et de Génération·s, veulent faire un break avec la Nupes et présenter des listes autonomes aux élections européennes. « Rendez-vous en septembre 2024 », jure Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’EELV. Même son de cloche du côté d’Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui renvoie à l’après-européennes et appelle d’ores et déjà à « un projet commun et un candidat commun pour 2027 ». Côté communiste, on assure que le PCF présentera une liste.

Son secrétaire national, Fabien Roussel, se veut en revanche moins ambitieux sur l’avenir de la Nupes et se prépare en solo : « D’ici 2027, je vais continuer à me déplacer dans toute la France, à parler aux Français, à faire part de mon projet pour le pays et je souhaite qu’ils puissent s’exprimer dessus », lâche-t-il au micro de RTL. On peut entendre les arguments des uns et des autres sur la stratégie autonomiste. Calcul arithmétique pour les uns, les écologistes voulant croire que les eurodéputés de gauche entreront plus nombreux au Parlement européen avec des listes autonomes plutôt qu’avec une liste d’union. Calcul politique pour les autres, à l’instar des communistes, qui souhaitent que les Français puissent faire leur choix entre les différents projets de gauche.

Mais quel est le véritable enjeu des européennes ? Que la gauche sorte victorieuse et réoriente les politiques de l’Union ? Avec 21 pays, sur 27 que compte l’Union européenne, dirigés par des gouvernements libéraux, conservateurs et/ou d’extrême droite, difficile d’y croire. L’enjeu n’est donc pas de savoir si on est d’accord à gauche pour construire une Europe fédérale, comme le plaident les écologistes contre la plupart de leurs alliés. L’enjeu n’est pas non plus de savoir s’il faut « désobéir aux traités », comme le souhaitent les insoumis ou y « déroger de manière transitoire », selon la formule des écologistes. L’enjeu des européennes est ailleurs.

Il est dans la capacité de la gauche et des écologistes à être la surprise du scrutin : envoyer un maximum de parlementaires de gauche au Parlement européen et être la première force politique pour préparer la suite en France. Pas de manière superficielle ou tacticienne : tous les partenaires de la Nupes s’étaient mis d’accord sur un programme sur l’Union européenne aux législatives de juin 2022. En cohérence donc. Même si certains croient encore au sursaut de l’union, elle paraît de plus en plus improbable. Le comble de l’histoire, c’est que les deux principaux adversaires de la gauche, le RN et le parti présidentiel, seront à n’en pas douter les grands gagnants de la soirée électorale. Et en ordre dispersé, la gauche et les écologistes y auront grandement contribué.

Pierre Jacquemain

Au sein des « pro-union », surtout composés d’insoumis et d’une partie des socialistes, on affirme que le calcul du camp opposé est contre-productif. Le député PS Philippe Brun imagine la situation : « Il y aura une liste du Rassemblement national qui sera très forte, une liste de la majorité présidentielle et quatre ou cinq listes de gauche. Le soir du scrutin, on pourra tous pleurer d’avoir fait 5 ou 6 % parce qu’on aura passé la campagne à se taper dessus et à chasser le même électorat. »

Le soir du scrutin, on pourra tous pleurer d’avoir fait 5 ou 6 %.

Philippe Brun, PS.

D’autres estiment que le contexte politique impose la création d’une liste unique. Face aux forces macronistes et d’extrême droite, ils rêvent de construire un bloc social-­écologique, selon la classification de Julia Cagé et Thomas Piketty (Une histoire du conflit politique, Seuil). « Une liste Nupes pourrait arriver en tête au soir des européennes. On adresserait un message puissant au pays en pleine crise climatique et face au renforcement de l’extrême droite », espère encore le député insoumis Paul Vannier.

Plusieurs listes, plusieurs eurodéputés

La France insoumise ne cesse de plaider l’union. Mais elle est bien seule. Et l’ultimatum posé par Jean-Luc Mélenchon n’a pas fait bouger les lignes. « Ou bien il y aura une liste d’union. Ou bien il y aura une liste des unitaires », avait mis en garde l’ancien candidat à la présidentielle à l’université d’été de LFI. Hypothèse crédible ou coup de pression sur les partenaires ? « Il tente de refaire le coup de 2022. Il pense qu’en amenant un parti à la table des discussions, les autres vont venir, raconte un député de gauche. Il y a un an, Génération·s a été le premier à signer l’accord, les écolos se sont ensuite sentis obligés de venir, les communistes ne pouvaient pas rester à côté, et, à la fin, les socialistes… » Mais cette fois le PS n’a pas mordu à l’hameçon, même quand Ségolène Royal a proposé sa candidature fin août pour réconcilier tout le monde. Le bureau national du parti a adopté le 5 septembre au soir un texte d’orientation défendant une liste autonome.

Sur le même sujet : « Nous n’avons jamais dit que Ségolène Royal conduirait la liste LFI »

Dans le camp de ceux qui militent pour que la gauche soit séparée en 2024, les écologistes et les communistes. « Ce n’est pas parce qu’on additionne les partis qu’on additionne les voix. Selon les sondages, si on veut plus d’eurodéputés contre l’extrême droite et la Macronie, il faut qu’on présente plusieurs listes », avance Hélène Bidard, membre de l’exécutif du PCF, qui espère que son parti, absent au Parlement européen, réussira à faire élire quatre ou cinq communistes. Avec cet objectif en tête, le Parti communiste s’est préparé en choisissant, début juillet, son chef de file, Léon Deffontaines. Et les discussions sur la constitution de la liste sont en cours, notamment avec des associatifs et des euro­députés sortants comme Emmanuel Maurel, élu en 2019 avec l’étiquette LFI avant de rompre avec le mouvement.

Quel projet européen ?

Selon Hélène Bidard, les communistes sont trop éloignés des autres forces de gauche sur le sujet européen : « Aujourd’hui, les eurodéputés ne s’empêchent pas de négocier des politiques d’austérité avec l’UE et accusent Bruxelles lorsqu’ils reviennent en France. Arrêtons ce double jeu, les communistes sont les seuls à s’opposer au modèle économique de l’Europe. » Les écolos déclinent l’argumentaire à leur façon : les Verts sont fédéralistes et ne veulent pas parler de « désobéissance » quand il s’agit des traités européens. Conclusion ? Pas question de se rassembler pour 2024.

Sur le même sujet : Nupes : mais à quoi jouent les communistes ?

« On a toujours été très proeuropéens, c’est dans le nom du parti. Alors on ne va pas commencer à défendre le contraire », évacue Jérémie Iordanoff, député Europe ­Écologie-Les Verts et négociateur de la Nupes. Un discours qui agace l’insoumis Paul Vannier : « Notre programme signé en 2022, l’initiative des jeunes de la Nupes… Les démonstrations de notre convergence existent. Ces partis bunkérisés et coupés de la réalité politique doivent revenir à la raison. » Réponse de Iordanoff ? « Ne soyons pas surpris. Pendant les négos de la Nupes, la question d’une liste de rassemblement aux européennes n’était pas posée. Tout le monde savait qu’il y aurait une liste écolo. »

Au sein d’EELV, débattre avec les autres n’est donc plus envisageable. Début juillet, les adhérents du parti ont voté à 86 % pour une liste autonome. Avant de désigner leur tête de liste, Marie Toussaint. « Ça a réglé le débat. Chez nous, plus personne n’en parle, lâche Sandrine Rousseau, députée écolo et rare voix unioniste au sein de sa famille politique. C’est illusoire de penser encore à une liste commune. Au sein de la Nupes, il y a une revanche des partis qui préfèrent le rapport de force au collectif. »

C’est illusoire de penser encore à une liste commune.

Sandrine Rousseau, députée EELV

Le message est clair : il faut sauver la seule chose qui reste à sauver, c’est-à-dire la Nupes. « La clarification est faite, acceptons-le. Au lieu de parler de tactiques nationales, il faudrait que la gauche parle de son projet européen », tranche Aurore Lalucq, eurodéputée du petit parti Place publique. « Il faut arrêter de dramatiser. Nous disons tous que nous voulons un candidat unique en 2027, relativise Chloé Ridel, porte-parole du PS. Nous ne parlons qu’à nous-mêmes. Ce qui fera maintenant le succès de la gauche face aux libéraux et à l’extrême droite, ce sera le nombre de nos députés élus. Faisons campagne sans nous agresser. » Voilà donc la seule option qui reste à la gauche actuellement en phase de dislocation.

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