Lula et Gaza : génocide, le mot pour le dire

S’il a versé dans l’outrance en suggérant que Netanyahou agissait avec les Palestinien·nes comme Hitler avec le peuple juif, le président brésilien a surtout libéré la parole sur la nature du massacre de la population civile dans la bande de Gaza.

Patrick Piro  • 26 février 2024
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Lula et Gaza : génocide, le mot pour le dire
Lula, au Palais Planalto de Brasilia, le 27 septembre 2023.
© EVARISTO SA / AFP

Peut-on balancer à la figure des Israélien·nes que leur armée est en train de faire, dans la bande de Gaza, ce que Hitler a fait avec les juives et les juifs pendant la Seconde guerre mondiale ? Le président brésilien a osé la comparaison, le 18 février, à la tribune du 37ᵉ sommet des pays de l’Union africaine, à Addis-Abeba (Éthiopie). Tempête à Tel Aviv, Lula agoni d’invectives et déclaré persona non grata en Israël, convocation d’ambassadeurs, et le ton qui monte de chaque côté.

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Tempête médiatique au Brésil également. La droite et l’extrême droite tombent à bras raccourci sur Lula, dont le discours est qualifié de « crétin » par un des fils Bolsonaro. Le président est sommé de-ci, de-là de présenter des excuses. À gauche, on se livre à des exégèses équilibristes : Lula n’aurait pas formellement comparé Netanyahou à Hitler, mais il se référait à la pratique de « déshumanisation » des nazis sur leurs victimes, alors que le peuple palestinien subit un carnage hors du commun.

Il surnage le sentiment que Lula a exprimé tout haut ce que beaucoup de dirigeant·es pensent tout bas.

Sur les 30 000 morts décomptés dans la bande de Gaza depuis la guerre déclenchée par Israël en riposte au massacre commis par les terroristes du Hamas, le 7 octobre dernier, quelque 60 % sont des personnes civiles, et 18 % des enfants. Des ratios qui dépassent de loin ce qu’on l’on relève en général dans les conflits des dernières décennies. Certes, sur la gauche du président brésilien, réputé pour sa spontanéité, certains proches ont désavoué sa « maladresse ». Et certes, il aurait pu convoquer bien d’autres exemples historiques pour exprimer le fond de sa pensée : il n’empêche, c’est bel et bien un génocide qui est en cours à Gaza.

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Et finalement, plutôt que d’avoir atteint à ses dépens le « point Godwin » (1), il surnage le sentiment que Lula a exprimé tout haut ce que beaucoup de dirigeant·es pensent tout bas. En s’affranchissant de l’interdit absolu — accuser Israël de commettre à son tour un Holocauste —, il a libéré la parole. Là où un Macron, dans un premier temps zélé soutien de Tel Aviv, a récemment qualifié « d’intolérable » le massacre des Gazaoui·es, Gustavo Petro et Luis Arce, respectivement présidents bolivien et colombien, ont été plus loin, validant le recours au terme « génocide » du président brésilien, en toute solidarité avec lui.

1

Procédé consistant à disqualifier les arguments d’un contradicteur en les référant à Hitler, au nazisme ou à la Shoah.

Hasard de calendrier, il se trouvait que le secrétaire d’État étasunien Anthony Blinken avait prévu une visite au Brésil, jeudi 22 février, la première depuis qu’il a pris ses fonctions il y a trois ans. La droite brésilienne se délectait déjà d’une remontée de bretelles de la part du grand voisin. Elle a été déçue. Si Blinken a exprimé son « désaccord » concernant les propos de Lula, il n’en n’a pas fait un plat, plutôt enclin à saluer une « très très bonne réunion » avec un partenaire « très important ». Alors, peut-on attribuer à la sortie éléphantesque de Lula l’inflexion récente de la position de Joe Biden dans la crise à Gaza ? C’est probablement abusif, mais ça fait système.

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Si les États-Unis ont brandi pour la troisième fois leur veto, au Conseil de sécurité de l’ONU, à une nouvelle résolution appelant à un cessez-le-feu dans le territoire palestinien martyrisé, Washington a cru nécessaire d’assortir son blocage d’un contre-texte proposant l’arrêt des combats en échange de la libération de tous les otages. Biden se trouve aujourd’hui dans une situation de plus en plus inconfortable, coincé entre le dogme étasunien historique de la fidélité sans faille à Israël, et l’agitation de son aile gauche politique, qui ne supporte plus d’être associée, à ses dépens, au martyr de la population palestinienne.

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Parti pris

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