Ces pièges que soulève l’entrée de l’IVG dans la Constitution

L’inscription de la « liberté garantie » de l’IVG  dans la Constitution est un geste symbolique qui parle certes au monde mais laisse intacts les défis qui subsistent pour toutes les femmes et personnes subissant le rejet parce qu’inappropriées.

Nacira Guénif  • 6 mars 2024
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Ces pièges que soulève l’entrée de l’IVG dans la Constitution
Une femme tenant un drapeau de la Fondation des Femmes, place du Trocadéro à Paris, le 4 mars 2024, lors de la diffusion de la convocation des deux chambres du Parlement pour ancrer la droit à l'avortement dans la constitution du pays.
© Dimitar DILKOFF / AFP

La première et la dernière fois qu’un employeur m’a gratifiée d’un jour de congé pour le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, c’était à Alger, en 1984. Cela m’avait inspiré la plus grande méfiance. En effet, la ficelle était grosse : pendant que les femmes chômaient cette journée, l’État algérien campait sur ses positions patriarcales et reconduisit cette même année un code de la famille qui les maintenait dans un statut de mineures à vie, sous la tutelle d’un homme, père, frère, mari, fils. Il faudra attendre presque un demi-siècle pour entrevoir un frémissement timoré de changement.

Les États-nations, qu’ils soient le fruit de révolutions et/ou de décolonisations, encore inachevées, sont tous inscrits dans le patriarcat et en tirent des avantages indus réservés aux hommes, ou à quiconque y est assimilé. Tant qu’ils ne sont pas contraints d’agir pour en finir avec les injustices ainsi générées, ils continuent de s’y vautrer et d’y prospérer.

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Du sexisme à l’antigenre et à la transphobie, de la xénophobie à l’islamophobie et à tous les racismes, du mépris de classe à l’âgisme et à l’antiwokisme, les ressorts pour perpétuer cet ordre inégalitaire ne manquent pas et sont souvent combinés pour retarder le moment fatidique où il faudra vraiment sonner la fin de l’ordre patriarcal. Vraiment. Pas en enfumant avec des effets d’annonce qui ne changent pas radicalement les abus de pouvoir virils, les humiliations et les prédations sexuelles ordinaires. Pas en se drapant dans une fallacieuse générosité par une inscription dans la Constitution pompeusement scénographiée qui, en étant trop spécifique, laisse le champ libre aux prochains dénis de droit.

Les exemples d’oppression des femmes pullulent, ils nous assaillent de toutes parts.

Car ceux-ci sont déjà à l’œuvre. Ils contraignent les corps soumis à des normes de genre et de race réifiantes, resserrent l’étau sur les vies qui veulent prendre le large face aux injonctions à procréer, ou à ne pas procréer, à vivre et à mourir selon ce qu’édicte une autorité inflexible, au risque de finir au fond de la Méditerranée ou à la rue, et ignorent les oppressions que le patriarcat couplé au capitalisme racial encourage et exacerbe.

Si l’on prend acte de l’inscription dans la Constitution de la « liberté garantie » du recours à l’IVG, on ne peut pas s’en satisfaire. Ce geste symbolique parle certes au monde et à sa fureur, mais il laisse intacts les défis qui subsistent pour toutes les femmes et personnes subissant le rejet parce qu’inappropriées. Les exemples d’oppression des femmes pullulent, ils nous assaillent de toutes parts. Je n’en citerai qu’un qui s’impose alors que nous tentons de détourner le regard. Car, si nous le regardons en face, alors il faudra agir.

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Les féminicides sont légion de par le monde. Lorsque le mot a fini par entrer dans le langage en France, il a immédiatement été confiné à la sphère privée, celle du couple, pour en finir avec la qualification hypocrite de crime passionnel. Cependant, en lui ôtant toute dimension politique et systémique, il dispense d’admettre que le féminicide en cours contre les Palestiniennes, et leurs enfants, in utero ou nés et déjà affamés, participe d’un génocide qu’on tarde à nommer, pour ainsi mettre un coup d’arrêt à la disparition d’un peuple de sa terre.

Les Palestiniennes ne sont-elles pas des femmes ?

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