Ces pirates qui mènent le monde

Tout pronostic sur l’avenir de la situation ukrainienne est rendu impossible par Poutine, dont on ne sait jusqu’où il peut aller, et Trump, dont le retour éventuel fait craindre le pire. Au Moyen-Orient, un autre pirate, Netanyahou, semble prêt, lui, à provoquer un embrasement général.

Denis Sieffert  • 3 avril 2024
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Ces pirates qui mènent le monde
Une poupée gigogne russe traditionnelle en bois, à Moscou, le 3 novembre 2020.
© Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

L’Ukraine est une équation à deux inconnues. On l’écrira au féminin, comme pour une formule algébrique. En vérité, ce sont deux inconnus très masculins, ultra virilistes, violents et disruptifs, qui mettent en échec la raison et rendent aléatoires les pronostics. Poutine, parce qu’on ne sait pas jusqu’où il peut aller – nucléaire compris –, Trump, parce qu’il pratique la stratégie du fou, et prétend pouvoir arrêter la guerre en 24 heures. Avec cette différence que le premier est déjà à la manœuvre, alors que l’autre n’est que dans l’antichambre de la Maison Blanche, d’où il pèse en bloquant l’aide américaine à Kyiv. Ces incertitudes de taille, où se mêlent deux narcissismes, rendent dérisoires nos polémiques entre « munichois » et « va-t’en guerre ». Un avenir, dont on ne sait rien, les départagera.

Accorder des gains territoriaux à Poutine, cela s’appelle une reddition.

La stigmatisation est d’autant plus simpliste qu’elle recouvre, de chaque côté, des réalités différentes. Il y a chez les « munichois », ou supposés tels, des amis de Poutine qui avancent à peine masqués. Le RN principalement. Et il y a, à LFI, ceux qui ne croient pas possible une victoire de l’Ukraine, et suggèrent de négocier tout de suite une fin qu’ils jugent inéluctable. Disons que le moment est mal venu, alors que Poutine est militairement en position de force. L’échéance de la présidentielle américaine du 5 novembre constitue un horizon plus pertinent. Si l’ami de Poutine l’emporte, les choses seront bien compromises. Mais au moins faudra-t-il appeler un chat un chat. Et une reddition une reddition. Négocier les frontières aujourd’hui, fût-ce dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), serait accorder des gains territoriaux à Poutine. Et cela s’appelle une reddition.

Sur le même sujet : Poutine : le risque de la fuite en avant

Au passage, disons qu’invoquer les mânes de Jaurès, comme l’a fait Mélenchon lors de son récent discours de Villepinte, est spécieux. Le père du socialisme français était un homme de paix, pas un pacifiste au sens philosophique du terme. Il a toujours souligné qu’il « n’excluait pas des guerres de défense des territoires nationaux légitimement reconnus » (1). Or nous sommes dans ce cas de figure, aujourd’hui. À propos de légitimité, rappelons, de surcroît, que le référendum de 1991 avait recueilli en Ukraine plus de 92 pour cent en faveur de l’indépendance, même parmi les russophones du Donbass. Là est le droit international, reconnu à l’époque par Moscou.

1

La Paix, la guerre et Jean Jaurès, Jean-Pierre Fourré, éditions Matignon, 2014

Jaurès savait que la paix sans le droit n’est pas la paix. En septembre 1938, Daladier, qui avait abandonné une partie de la Tchécoslovaquie (les Sudètes) à Hitler, croyait ramener la paix de la capitale bavaroise. Mais c’était la paix sans le droit. La foule, qui pensait comme lui, l’acclamait. Et toute la classe politique, à l’exception des communistes, aussi (2). Même Blum avouait « un lâche soulagement ». Les « munichois » de 1938 ne sont devenus des capitulards qu’un an plus tard. L’histoire ne délivre pas toujours sa vérité dans l’instant. User du qualificatif « munichois », n’est-ce pas prétendre connaître la suite ?

2

Le PCF a fait pire en août 1939, en soutenant le pacte germano-soviétique.

Quant à l’invective « va-t’en guerre », elle recouvre aussi des réalités différentes. Qui est le « va-t’en guerre » ? Est-ce celui qui demande que l’on fournisse à l’Ukraine de quoi se défendre ? Et cela, sans mégoter sur les chars et les armes antiaériennes. S’il s’agit de cela, me voilà « va-t’en guerre » ! S’il s’agit de brandir la menace d’une surenchère, voire d’une intervention directe des pays occidentaux, qui fait plus peur à nos concitoyens et à l’Allemagne qu’à Poutine, je n’en suis pas. Pas plus qu’avec ceux qui lancent des défis bravaches promettant d’écraser ou d’humilier Poutine, surtout quand on est loin d’en avoir les moyens. Gardons-nous donc d’invoquer les grandes références qui procèdent d’une vision répétitive de l’histoire.

Gardons-nous donc d’invoquer les grandes références qui procèdent d’une vision répétitive de l’histoire.

La paix, la guerre, le droit : on ne peut écrire ces mots sans évoquer ce qui se passe au Moyen-Orient. Un autre pirate est à l’œuvre. Non content de massacrer la population de Gaza, Netanyahou bombarde à présent une ambassade. Quelle que soit la détestation que l’on peut éprouver pour le régime des mollahs, l’attaque israélienne contre le consulat iranien à Damas est un acte de guerre. Dans sa terrifiante fuite en avant, le gouvernement Netanyahou veut provoquer l’embrasement généralisé. Seule une guerre totale lui permettrait, croit-il, de parachever la guerre de 1948, en s’appropriant toutes les terres palestiniennes. Paradoxalement, le seul espoir vient de la société israélienne, où la mobilisation pour faire tomber ce gouvernement fasciste s’étend.

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