TINA, toujours TINA…
« There is no alternative » – ou TINA -, était la formule préférée de Margaret Thatcher. C’est aussi le credo d’Emmanuel Macron, qui, en nommant Michel Barnier à Matignon, fait du RN le nouveau « Maître des horloges ».
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Économie : les 3 grandes arnaques macronistes La fiscalité s’invite enfin dans le débat budgétaire Impôts : malgré l’échec du ruissellement, les macronistes figés dans la pensée unique L’épouvantail de la dette publique (suite)Cela sonne comme un joli prénom, mais c’est en politique un acronyme détestable, et un poison pour la démocratie. « There is no alternative », TINA donc, était la formule préférée de Margaret Thatcher. Et c’est aussi le credo d’Emmanuel Macron, et l’explication du sort qu’il a réservé au résultat des législatives des 30 juin et 7 juillet, et de l’extrême embarras qui s’ensuivit. Si on replace ce long épisode dans une perspective historique, au-delà de l’écume politique, on comprend mieux son issue, toute provisoire. Nous sommes bien depuis quarante ans sous l’imperium de TINA, énoncé jadis par la première ministre britannique – « la vieille sorcière » comme l’avait surnommée le journaliste Daniel Mermet.
On pourrait remonter au traité de Maastricht qui a fixé en 1992 un cadre économique qui ne laissait guère de place à la question sociale. Souvenons-nous surtout du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. Rejeté par une majorité de Français, il avait finalement été adopté de façon à peine édulcorée en 2009, par la magie d’un tour de passe-passe parlementaire avec l’abstention complice des socialistes. Il ne fallait pas, déjà, que le vote populaire ait le dernier mot. Plus près de nous, le dogme TINA est aussi l’explication de la réforme des retraites. Neuf Français sur dix pouvaient bien être contre, et des centaines de milliers pouvaient bien manifester, l’exécutif l’a imposée.
Le choix s’est porté sur Michel Barnier parce qu’il garantit la réforme qui symbolise toutes les politiques libérales.
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si cette réforme est au centre des débats politiques. Le choix s’est porté sur Michel Barnier parce qu’il garantit la réforme qui symbolise toutes les politiques libérales et l’interdit qui frappe toute autre option. Le même débat, ou la même absence de débat, s’annonce autour du budget. La dette, dont on découvre qu’elle est encore plus importante que prévu – probablement plus de 5,6 % du PIB en 2024, loin des 3 % exigés par le traité de Maastricht – ne peut être résorbée, selon cette logique, qu’aux dépens des salaires, des services publics et des collectivités territoriales. On visera donc le cœur de la vie sociale. Pas question de chercher de nouvelles recettes en imposant les plus riches et les grandes entreprises.
Barnier a comme feuille de route de trouver 30 milliards sans toucher à la répartition des richesses. Les économistes sont pourtant nombreux, et venant de différentes écoles, à affirmer que des outils existent. Un super-impôt sur la fortune par exemple (1), comme le suggère un collectif. Même l’ancien conseiller de Macron, Jean Pisani-Ferry, estime que Barnier devra « rompre pour durer ». « Barnier, écrit-il, devra lever le tabou sur la hausse des prélèvements, et en particulier […] des plus fortunés (2). » Le conseil est socialement juste ; il est politiquement hasardeux. Car les hommes sont sélectionnés « pour durer » en vertu de leur engagement à servir TINA. Et moins il y a de rupture, et mieux la pérennité du système est assurée. Ainsi, le directeur de cabinet de Michel Barnier n’est autre que le directeur de cabinet de Bruno Le Maire. Tout est dit. Si l’on pouvait se passer d’élections !
Le Monde des 8 et 9 septembre.
Idem
Mais la politique est contrariante. Dans sa tentative de conquête de l’électorat populaire, le Rassemblement national dit aussi vouloir l’abrogation de la réforme des retraites. Non sans souvent se contredire tant il apparaît qu’il s’agit plus d’une stratégie électorale que d’un credo social. Il faudra donc que Michel Barnier fasse beaucoup de concessions sur l’immigration et sur la politique sécuritaire pour obtenir le silence du RN sur les retraites et le budget. Mais la réalité, là comme toujours, sera têtue. Car les Français ont voté pour un autre partage des richesses. Ils l’ont fait à l’évidence en votant pour le Nouveau Front populaire ; ils l’ont fait aussi, hélas pour certains d’entre eux, en votant RN, même si la xénophobie est la principale motivation du vote pour le parti de Marine Le Pen.
C’est une opposition systémique. La gauche aurait d’ailleurs pu mettre un peu plus encore en difficulté Macron en ne fermant pas l’hypothèse Cazeneuve, puisque celui-ci avait indiqué qu’il remettrait en cause tout ou partie de la réforme des retraites. Mais voilà, le « Maître des horloges » est désormais le RN. Ce que les immigrés et tous les racisés risquent de payer d’un lourd tribut. On achètera sur leur dos le silence momentané du RN. Momentané, car TINA remontera très vite à la surface… C’est toute la différence avec les crises de la IVe République, celle-ci est systémique. On est dans l’os du capitalisme financier.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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