VSS : au procès, ne pas être victime une seconde fois

Les audiences judiciaires sont une épreuve pour les plaignantes. Des avocats et des associations les accompagnent pour les préparer et les protéger.

Maxime Sirvins  • 15 mai 2024 abonné·es
VSS : au procès, ne pas être victime une seconde fois
Quand l’accusé comparaît libre, le risque est grand pour sa victime de se retrouver face à lui au palais de justice.
© Jeff PACHOUD / AFP

« Ni la sécurité physique ni la sécurité psychique des victimes ne sont assurées dans les procès si l’on n’y veille pas. » C’est pourquoi le Collectif féministe contre le viol (CFCV), présidé par Emmanuelle Piet, travaille sans relâche pour préparer, soutenir et accompagner les victimes de viol ou de violences sexuelles aux audiences judiciaires. La médecin de protection maternelle et infantile, et gynécologue, décrit les défis auxquels celles-ci sont confrontées au cours des procédures, ainsi que les efforts déployés pour les aider. « En plus de devoir revivre le traumatisme de l’agression en présence du présumé innocent, elles sont fréquemment isolées et exposées », explique Emmanuelle Piet.

Durant les pauses, l’accusé peut être là, à attendre ou à regarder étrangement.

I. Steyer

Lors de certaines comparutions, l’accusé arrive librement. La victime peut alors « se retrouver à l’entrée du tribunal, dans la file d’attente, avec le prévenu » et sera en « confrontation permanente avec lui dans le palais de justice ». Isabelle Steyer, avocate de renom qui défend depuis trente ans les femmes battues, harcelées et violées, ne laisse jamais sa cliente seule. Avant de pénétrer dans le tribunal, elle retrouve la plaignante au café du coin pour entrer avec elle, et l’accompagne ensuite dans tous ses déplacements. « Même pour aller aux toilettes, car, durant les pauses, l’accusé peut être là, à attendre ou à regarder étrangement. C’est vraiment inquiétant. »

Présence et bienveillance

Mais le danger peut aller plus loin, à tel point que le CFCV fait parfois appel à des services de sécurité privés. « Les victimes peuvent être menacées ou intimidées. » Emmanuelle Piet prend l’exemple d’un triple procès pour viol en réunion. « Dans la salle, il n’y avait que des copains des trois accusés, la fille était complètement isolée, nous n’étions que trois. » Elle raconte que les forces de l’ordre elles-mêmes ont invité les membres du collectif et la plaignante à partir avant la fin du délibéré pour limiter les risques. « Pendant les pauses, on était même hébergées par l’association SOS Victimes, qui a des locaux dans le tribunal, pour ne pas nous trouver dans les parties publiques. »

ZOOM : « Je veux passer au tribunal pour pouvoir dire tout ce qu’on a enduré »

Avec ma sœur jumelle, on a été placées en famille d’accueil. De 6 à 9 ans, les deux frères de cette famille nous ont violées plusieurs fois par semaine.

L’organisme de placement est venu nous voir une fois puis plus jamais. Ils nous ont laissées en danger. J’ai parlé pour la première fois quand j’avais 21 ans. En 1990, j’ai été convoquée par les flics quand on a porté plainte avec ma sœur. Mais je ne suis jamais passée au tribunal. Je voulais qu’on m’entende, pour pouvoir dire tout ce qu’on a enduré dans cette famille d’accueil. Mais je n’ai pas pu à cause d’un avocat qui s’est débarrassé de moi et de mon dossier. On est victimes d’être pauvres et de ne pas pouvoir se défendre. Cet avocat m’a fait rater la confrontation en me disant que les agresseurs ne s’étaient pas présentés au tribunal pour les faits de viol alors qu’ils étaient venus.

L’avocat a fait des actes sans me consulter. Il a demandé une réparation pour sévices sexuels alors qu’il a lui-même dit que j’avais subi des viols. J’ai eu 5 000 francs de dommages et intérêts de la famille d’accueil. Il a osé me dire : « C’est une jolie somme. » Les 5 000 francs, à leurs yeux, c’est comme s’il y avait eu justice. Moi, je ne voulais pas d’argent. Je voulais faire entendre la souffrance que j’ai en moi. Et que toute la famille soit punie.

Ça fait trente-quatre ans que je me bats. J’avais 6 ans, j’en ai 55 et je pleure toujours autant. Je suis sous anxiolytiques, j’ai des angoisses et une dépression. J’ai écrit à Belloubet, à Darmanin, à Attal, à tout le monde. Aujourd’hui, il y a prescription, mais on avait des droits et je les réclame.

Dès l’entrée dans la salle, Me Steyer recommande à sa cliente « de ne jamais regarder le prévenu pour ne pas se sentir sous emprise et revivre la domination ». Et quand celle-ci témoigne, elle n’hésite pas à lui tenir la main ou à poser la sienne sur son épaule. « Je me mets à son côté avec la grande robe d’avocat, le prévenu dans le dos, comme pour lui barrer la route. » Un rempart de ­bienveillance.

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Le CFCV offre un accompagnement aux victimes lors des procès des moments de réconfort avec « un chocolat chaud », une oreille attentive et une présence physique pour les aider à se sentir en sécurité. Leur préparation consiste en des conseils pratiques et des mises en situation pour les aider à anticiper ce qui les attend. Cela peut inclure d’assister à d’autres procès en amont pour se familiariser avec les procédures et les discours des avocats. Emmanuelle Piet encourage également les femmes à exprimer ce qu’elles redoutent d’entendre, afin de les préparer mentalement et émotionnellement. Le collectif peut aussi se constituer partie civile aux côtés des victimes, surtout lorsqu’elles sont isolées face à plusieurs avocats de la défense.

Pour Me Steyer, la préparation est cruciale. « On fait une sorte de jeu de rôle dans lequel je joue le magistrat. Je pose toutes les questions, appropriées ou non. On ne sait pas sur qui on tombe à l’audience. Il y a le président et les assesseurs, puis il y a le procureur et l’avocat adverse. Donc, même si on connaît le président, si vous avez un avocat en face qui vous pose les questions les plus provocatrices et déplacées, il faut être prêt. » Au même moment, le suivi psychologique est essentiel, selon elle, avec une intensification des rendez-vous avant et après le procès.

On fait une sorte de jeu de rôle dans lequel je joue le magistrat. Je pose toutes les questions, appropriées ou non.

I. Steyer

Julie, qui est allée en procès pour agression, a clairement vu la différence entre son premier avocat, non spécialisé, et la seconde, qui a l’habitude de ce type de dossiers. « Le premier ne m’avait absolument pas préparée », explique-t-elle. Avant l’audience, elle décide d’aller voir une juriste de l’association Maison des femmes, car son avocat ne lui avait pas transmis le dossier, ni ne l’avait « préparée aux questions, même pas aux siennes ». Pire, le jour de l’audience, il partira avant le délibéré, la laissant seule.

C’est avec une simple recherche « avocate droit des femmes » sur Internet que Julie a trouvé son conseil. Tout change. « Déjà, au premier rendez-vous, elle a vraiment pris le temps de m’écouter. Elle m’a demandé si j’avais des personnes-ressources autour de moi, si j’étais suivie psychologiquement. » La juriste prendra le temps de l’explication et de la préparation à la future audience. « Elle trouvait les mots. Ça fait du bien. »

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Malgré tout, face à la violence, au stress et à la peur, la victime peut perdre pied. Dans ces moments-là, Isabelle Steyer demande tout simplement une suspension de séance. Puis, lors des plaidoiries, c’est « souvent l’horreur », se désole Emmanuelle Piet. « On dit alors à la victime qu’elle peut sortir si elle le souhaite, et qu’on lui racontera. »

Former aussi les magistrats

Mais, pour Isabelle Steyer, trop peu d’avocats s’impliquent à ce point. « Cette entreprise de protection, je ne suis pas sûre qu’on soit beaucoup à l’assurer. Il faut connaître parfaitement ce type de dossiers pour y parvenir. » Emmanuelle Piet critique aussi le manque d’éthique de certains avocats et magistrats. « On peut défendre un agresseur autrement qu’en piétinant la victime. »

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Il y a enfin la question de la formation des magistrats. Les juges doivent pouvoir comprendre les dynamiques des violences sexuelles et des agressions pour être à même de traiter les affaires avec sensibilité et compétence. « Beaucoup sont sur une ligne très violente envers la victime », explique la présidente du CFCV. Elle souhaiterait que les magistrats qui traitent des violences faites aux femmes et aux enfants soient spécialisés et suivent des formations. « Aujourd’hui, c’est la loterie. » Même s’il y a bien des heures de cours sur le sujet à l’École nationale de la magistrature, il en faudrait moins de « théoriques », d’après Isabelle Steyer. L’avocate propose que les futurs magistrats puissent assister à des séances spécialisées ou effectuer des stages dans des associations. « Pour réaliser ce qu’il se passe, il faut que ce soit vécu. »

Le droit des victimes est encore en construction.

E. Piet

Le combat pour les droits des victimes dans les tribunaux est encore un travail au long cours. Depuis Robert Badinter, leur reconnaissance dans le système judiciaire a commencé à prendre forme, mais il reste beaucoup à faire, selon Emmanuelle Piet. « Le droit des victimes est encore en construction. » Pour Isabelle Steyer, « il n’y a pas grand-chose à faire, hormis militer ». Celle qui s’est battue pour que les lois progressent voit des changements, mais avec une pointe d’amertume : « Je fais ça depuis trente ans. Il y a de vraies améliorations, mais pas à la hauteur de trois décennies de militantisme. Ça avance, mais trop lentement. »

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