Marie Toussaint tente d’exister face au « vent mauvais du national populisme »

En difficulté dans les sondages, la tête de liste verte appelle à la remobilisation des électeurs écologistes. Sans toutefois jouer le jeu de la guerre des gauches.

Lucas Sarafian  • 3 juin 2024 abonné·es
Marie Toussaint tente d’exister face au « vent mauvais du national populisme »
"Ce qui se joue ici, ce n'est pas une simple affaire électorale : ce qui se joue, c'est la possibilité du basculement de l'Europe vers le pire avenir écologique possible." À Aubervilliers, ce 2 juin, Marie Toussaint a sonné la mobilisation générale, à l'heure où les sondages ne sont pas optimistes pour Les Écologistes.
© Maxime Sirvins

Rendez-vous de la dernière chance. Aux docks d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ce dimanche 2 juin dans l’après-midi, les Écologistes doivent se sauver. Les enquêtes sondagières sont plus qu’alarmantes. Peut-être que la liste verte menée par l’eurodéputée Marie Toussaint pourrait ne pas obtenir les 5 % des voix nécessaires pour faire accéder des élus à Bruxelles. À une semaine du 9 juin, Les Écologistes lancent donc l’opération remobilisation.

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Devant 1 600 personnes – loin d’un grand raout de campagne -, Mélanie Vogel, sénatrice écolo et présidente du parti vert européen, ouvre le bal : « Le sujet de cette élection, ce n’est pas l’élection présidentielle, ou le croisement des courbes. C’est l’avenir du continent. » Après avoir fait un état des lieux de la progression de l’extrême droite dans toute l’Europe, elle pose l’enjeu : « En 2019, ceux qui ont voté pour l’écologie ont fait changer le monde. En 2024, vous pourrez enrayer la peste brune. » Sandrine Rousseau, députée de Paris, continue sur le même ton : « Il y a ceux qui pensent que le problème ce sont les normes environnementales et les migrants, les étrangers. Nous sommes les empêcheurs de penser à ce système. »

Sandrine Rousseau, députée de Paris, est montée à la tribune, devant quelque 1 600 personnes rassemblées à Aubervilliers. (Photos : Maxime Sirvins.)

« Il y a cinq ans, tout le monde était écolo »

Après les prises de parole de la présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain, du maire de Grenoble, Éric Piolle, et de la diffusion d’un clip de José Bové, c’est le sénateur, ex-tête de liste des européennes en 2019 (13,48 %), et ancien candidat à la présidentielle en 2022 (4,63 %), Yannick Jadot, qui enchaîne. Et il prend un accent plus dramatique. « Vous savez qu’il y a des rendez-vous historiques qu’on ne peut rater. Qui peut croire qu’on vivra mieux dans le chaos climatique ? », demande-t-il avant de mettre en garde contre le « trumpisme » qui gangrène le Vieux continent.

« Il ne faut pas laisser mourir le projet européen sous les coups de boutoir de l’internationale fasciste » a martelé Yannick Jadot. (Photo : Maxime Sirvins.)

« Il y a cinq ans, tout le monde était écolo. Aujourd’hui, nous sommes les seuls à vouloir relever les défis et à regarder l’avenir en face, observe-t-il. Il ne faut pas laisser mourir le projet européen sous les coups de boutoir de l’internationale fasciste. » Avant de conclure, il tente de réveiller les « 3,5 millions d’électeurs » qui se sont mobilisés en 2019 et qui ont créé la surprise à gauche : « Grâce à eux, l’agenda écologiste est devenu l’agenda européen. »

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Au tour de Marine Tondelier, la secrétaire nationale du parti, d’appeler à la remobilisation. Elle liste les luttes écolos emblématiques comme le Larzac, Notre-Dames-des-Landes, Bure ou Sainte-Soline et convoque les grandes figures de l’imaginaire vert comme Rachel Carson, Vital Michalon ou René Dumont. Mais surtout, elle tente de déconstruire le discours médiatique sur l’existence d’un « vote utile » dans cette campagne.

« Les sondages nous ont toujours sous-évalués et particulièrement au moment des européennes » a voulu se rassurer Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. (Photo : Maxime Sirvins.)

« Personnellement, c’est une notion qui m’a toujours grandement interrogée. Mais pas de problème, parlons-en… Quoi de plus utile que de faire en sorte que notre planète reste habitable ? Quoi de plus utile que de réussir collectivement à atterrir et à réencastrer nos sociétés dans les limites planétaires ? Quoi de plus utile que de défendre la justice environnementale et donc la justice sociale ? » Mais elle n’oublie pas que la campagne des verts patine. Marine Tondelier répond donc à ces sondages. « Pendant qu’on commente l’élection par les sondages, on ne parle ni des bilans, ni des programmes. Et vous savez quoi ? Les sondages nous ont toujours sous-évalués et particulièrement au moment des européennes », assure-t-elle.

« Ce qui se joue ici, ce n’est pas une simple affaire électorale : ce qui se joue, c’est la possibilité du basculement de l’Europe vers le pire avenir écologique possible. » (Photos : Maxime Sirvins.)

16 h 50. Montée à la tribune de la tête de liste, Marie Toussaint. D’emblée, la cofondatrice de Notre affaire à tous évoque les nombreuses difficultés qu’elle rencontre dans cette campagne. « Un feu brûle en nous qui ne s’éteindra pas, parce que notre cause est juste. Et le flambeau que vous m’avez confié, c’est avec fierté que je le porte. Même si sa flamme vacille face aux vents puissants du national populisme qui balayent notre continent. La flamme vacille mais ne s’éteint pas, comme le roseau plie mais ne rompt pas. »

Pacte vert ou Pacte brun ?

Marie Toussaint affirme qu’elle n’abandonnera pas « parce que la lutte pour le climat et la biodiversité est la grande question de notre temps. Alors pas question pour moi de reculer un seul instant face à la litanie de mensonges déversés par nos adversaires. Ni les moqueries des cyniques, ni l’arrogance des puissants, ni les fadaises sur l’écologie punitive, ne nous empêcheront de continuer notre chemin ».

Pas question pour moi de reculer un seul instant face à la litanie de mensonges déversés par nos adversaires.

M. Toussaint

Au passage, elle riposte face aux insoumis qui tentent de récupérer le vote écologiste. « D’autres amies qui nous veulent du bien vont même jusqu’à prétendre sauver les écologistes en vous priant… de ne pas voter pour les écologistes », dit-elle. Évitant de rentrer dans le jeu de la guerre des gauches, elle appelle à l’unité après ces européennes. « Demain, nous devrons impérativement nous retrouver. Pour cela, il ne suffira pas de dire unité en cherchant surtout à la rendre impossible. Pour réussir il faudra davantage de clarté et moins de brutalité. Il ne faudra pas creuser des fossés, ni dresser des murs, mais bâtir des ponts. Et je le dis par avance : qui recherche l’hégémonie prend le risque de creuser le sillon de la défaite. »

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Marie Toussaint cible ses principaux adversaires : la droite et l’extrême droite qui « ont fait de l’écologie l’ennemi public numéro un. Ils dirigent sur nous tous les affluents de la frustration et du ressentiment. Ils dépeignent l’écologie en passion des élites pour mieux duper le peuple ». Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national, est dépeint comme « le bain de jouvence du fascisme, le rajeunissement de l’extrême droite, le lifting des vielles idées qui ont mené l’Europe dans la barbarie nazie et ressurgissent parce que l’amnésie est la maladie de notre temps ». Huées dans la salle.

(Photo : Maxime Sirvins.)

La tête de liste affirme qu’elle ne cédera pas face au « vent mauvais du national populisme qui souffle sur le continent ». Mais elle refuse de nationaliser ce scrutin et tente de clarifier une nouvelle fois l’enjeu de cette élection : « Le 9 juin, ce sera le Pacte vert des écologistes pour une transition juste socialement, ou le Pacte brun, mélange de climatoscepticisme assumé et de fascisme revisité. » Dans la salle, on chante « Siamo tutti antifascisti ».

Mobilisation générale

Retour au discours écologiste classique. Marie Toussaint philosophe sur le Pacte vert, défend son droit de veto social, évoque la santé environnementale, assume vouloir un « saut fédéral », parle de pauvrophobie et tacle Gabriel Attal qui ferait « du harcèlement social une politique d’État ». « Le problème ce ne sont pas les allocataires du RSA, le problème c’est la concentration des richesses. Le problème c’est la politique fiscale d’un gouvernement qui exonère les plus favorisés de leurs responsabilités, et demande à tous les autres de porter le pays sur leurs épaules », développe-t-elle. Les militants, plutôt enthousiastes devant ce discours, crient « Taxez les riches ! », ce slogan associé à l’initiative citoyenne européenne pour une taxation européenne sur les ultrariches défendue notamment par l’eurodéputée Place publique Aurore Lalucq.

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Accordant une importance certaine aux questions internationales, la juriste de formation veut se placer dans le « camp de la paix », que les insoumis veulent préempter. « Pour nous, toutes les vies pèsent du même poids. Le réaffirmer dans le moment que nous vivons est primordial, car dans de nombreux pays la guerre est la triste grammaire du monde, qui fait pleuvoir les morts. En Ukraine, où notre devoir impérieux, est de tout faire pour que jamais Poutine ne triomphe, et au Moyen-Orient où la France et l’Europe doivent agir pour la paix. » Elle répète pour l’occasion la position des Écologistes sur le conflit israélo-palestinien : libération des otages, cessez-le-feu immédiat, reconnaissance immédiate de l’État palestinien.

« Empoignez cette élection et déjouez les pronostics » a répété Marie Toussaint à la tribune. (Photos : Maxime Sirvins.)

L’heure est à la mobilisation générale. Et l’initiatrice de l’Affaire du siècle s’y attelle franchement : « Ce qui se joue ici, ce n’est pas une simple affaire électorale : ce qui se joue, c’est la possibilité du basculement de l’Europe vers le pire avenir écologique possible. Le risque c’est la grande régression écologique. Le grand recul climatique. La démolition d’un pacte vert déjà si fragile. Les digues commencent déjà à céder. Ils reviennent déjà sur les textes écologiques pourtant si nécessaires. » Elle s’adresse à tous les écologistes de France : « Vous qui pensez que l’écologie est un sujet qui compte, vous qui savez que l’écologie est une vérité qui dérange, empoignez cette élection et déjouez les pronostics. » Ce discours saura-t-il convaincre ?

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