Fascisme instagrammable

Les belles gueules entrées en politique prennent d’assaut les plateaux de télé et les réseaux sociaux. Leur simple apparition prend l’ascendant sur les esprits et anesthésie toute capacité critique.

Nacira Guénif  • 19 juin 2024
Partager :
Fascisme instagrammable
Rassemblement place de la République, à Paris, le 11 juin 2024, le soir de l'annonce d'une union de la gauche pour les législatives de juin et juillet.
© Maxime Sirvins

Samedi 1er juin, la jeunesse antifasciste défile, émaillant son cortège de drapeaux palestiniens et kanaks. Le lendemain, une péniche remonte la Seine, pavoisée de ces mêmes drapeaux, en soutien à Gaza sous les bombes et en protestation contre les morts que n’a pas voulu éviter l’État colonial en Kanaky. La réponse n’a pas tardé : score historique de l’extrême droite en France aux élections européennes et dissolution de l’Assemblée nationale. Les principes démocratiques les plus élémentaires sombrent face au fascisme instagrammable.

Ce qui se joue derrière cette scène égotique n’a pas fini de nous hanter.

Les belles gueules entrées en politique prennent d’assaut les plateaux de télé et les réseaux sociaux. Leur simple apparition prend l’ascendant sur les esprits et anesthésie toute capacité critique. Photos et selfies dictent une grammaire indigente de la mise en scène de soi. La persistance rétinienne fait le reste et l’instille dans nos têtes. Si d’aucuns croient que le fascisme peut résoudre l’impasse existentielle subie par la jeunesse française, il ne fait aucun doute que cela se fera au prix d’une reddition face à l’abject et au racisme, la haine en bandoulière.

Tout cela est obscène, au propre comme au figuré. Ce qui se joue derrière cette scène égotique n’a pas fini de nous hanter. Les périls après le 7 juillet sont certains. Car les non-dits de cette prise en otage des institutions révèlent une lâche diversion sur le mode du billard à trois bandes.

Ironiquement, le Festival de Cannes a pour partenaire TikTok, mais l’État l’interdit en Kanaky et y instaure l’état d’urgence, prétextant le risque de désordre et d’ingérence étrangère. Il se lave les mains du chaos qui vient alors qu’il l’a fomenté. Ruinant des décennies d’efforts et dissipant le peu d’impartialité qui faisait encore illusion, une loi sur le dégel du corps électoral est imposée aux indépendantistes, faisant fi de la décolonisation promise, ultime provocation offerte aux franges les plus fascistes de la société calédonienne blanche. Alors que l’insurrection n’est pas apaisée, que le deuil frappe l’archipel, que les milices loyalistes ont le champ libre, tout est dans les limbes.

Sur le même sujet : Front de la jeunesse populaire : « On n’est pas là simplement pour faire barrage »

Autre manœuvre, maintenir le deux poids deux mesures : action pour l’Ukraine, inaction à l’égard de la Palestine. Refuser d’agir au regard des faits établis par la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice, de boycotter et sanctionner, et de reconnaître un État palestinien. Proférer de molles protestations à l’égard d’un État colonial en guerre contre un peuple qu’il occupe, spolie, humilie, déshumanise et décime. Voilà qui confirme qu’entre ces deux États coloniaux l’entente est cordiale, au point de reporter sine die les décisions courageuses qui sauvent des vies et œuvrent à la justice et à la paix. 

Sur le même sujet : Emmanuel Macron, entre autodissolution et annonces bidon

Abîmé par le capitalisme racial et l’extractivisme colonial, notre monde appelle une conscience aiguë des conséquences de nos actes, une leçon que ce pouvoir refuse d’entendre et qu’il faudra lui infliger une fois aux urnes. Contre le fascisme instagrammable, la jeunesse a pris date dans la rue le 1er juin en scandant qu’elle emmerde le R-haine. Sera-t-elle entendue ?

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Art de la subversion, bêtise du pouvoir
Idées 21 octobre 2024 abonné·es

Art de la subversion, bêtise du pouvoir

Dans un livre construit comme un dictionnaire, le plasticien et réalisateur Martin Le Chevallier répertorie les nombreuses tentatives de résistants et d’artistes pour glisser un grain de sable dans la mécanique des pouvoirs.
Par Benjamin Tainturier
Véronique, mère de Rémi Fraisse : « L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de mon fils »
Rémi Fraisse 16 octobre 2024 abonné·es

Véronique, mère de Rémi Fraisse : « L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de mon fils »

Quasiment dix ans de silence, de batailles face aux mensonges de l’État et à l’impunité des forces de l’ordre après le drame de Sivens. Véronique témoigne aujourd’hui avec franchise et pudeur pour rétablir les faits et ouvrir les yeux sur la répression qui frappe les luttes écologistes.
Par Vanina Delmas
Le marxisme opère-t-il encore face aux Gafam ?
Essai 16 octobre 2024 abonné·es

Le marxisme opère-t-il encore face aux Gafam ?

Dans notre société de « capitalisme tardif », l’organisation collective des travailleurs est court-circuitée par une individualisation de plus en plus accrue. Stéphanie Roza, spécialiste en philosophie politique, interroge la capacité des travailleurs à résister à cette transformation profonde.
Par Olivier Doubre
Quelle riposte unitaire trans et intersexe ?
Intersections 16 octobre 2024

Quelle riposte unitaire trans et intersexe ?

Quelques jours après la tenue d’ExisTransInter, Mimi Aum Neko, militante transféministe, décoloniale et réfugiée politique thaïlandaise, revient sur le rôle des syndicats dans la lutte pour les droits des personnes trans.
Par Mimi Aum Neko