« Emmanuel Macron manque de sens politique »

Le président a écarté l’hypothèse Lucie Castets à Matignon et cherche désormais un nom qui pourrait fracturer le Nouveau Front populaire. Une tâche très compliquée, selon le politologue Rémi Lefebvre.

Pierre Jequier-Zalc  • 3 septembre 2024 libéré
« Emmanuel Macron manque de sens politique »
Emmanuel Macron, lors du Forum sur la jeunesse et l'intelligence artificielle, à Novi Sad, le 30 août 2024,
© OLIVER BUNIC / AFP

Le titre du livre du professeur de science politique à l’université de Lille, Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 2 022), résonne particulièrement ces dernières semaines alors que, depuis leur victoire relative aux élections législatives, les différents partis du Nouveau Front populaire (NFP) s’écharpent régulièrement. Rémi Lefebvre analyse une situation politique inédite où Emmanuel Macron tente le tout pour le tout pour fracturer l’alliance qui l’a battu lors du dernier scrutin.

Vous étiez présent à plusieurs universités d’été des partis de gauche ces derniers jours. Comment analysez-vous la séquence actuelle pour la gauche ?

Rémi Lefebvre : Pour commencer, cette alliance n’a pas du tout été faite pour gouverner. C’est une alliance défensive, nouée pour sauver des circonscriptions, pour maintenir le financement des partis, pour conserver des groupes parlementaires. C’est d’ailleurs une énorme erreur d’Emmanuel Macron de ne pas l’avoir anticipé. En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale, il a manqué de sens politique car il ne comprend pas la gauche. Quand il faut sauver les partis, leurs leaders sont prêts à dépasser leurs divergences idéologiques qui, en plus de cela, sont largement surjouées.

« Comment alors imaginer un gouvernement avec des ministres LFI prônant la conflictualisation pendant que d’autres, du Parti socialiste (PS), seraient, à l’inverse, dans une forme de modération ? » (Photo : DR.)

Mais les dirigeants de gauche n’avaient absolument pas anticipé le scénario actuel. On l’a d’ailleurs observé dans l’entre-deux-tours des législatives : les dirigeants du NFP n’ont pas voulu désigner de candidat pour Matignon, sachant le sujet clivant et le pensant, alors, inutile. Puis, au soir du second tour, La France insoumise (LFI), par la voix de Jean-Luc Mélenchon, a donné le ton en revendiquant la victoire et en disant « le programme, tout le programme ».

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La gauche a donc été entraînée dans cette voie, malgré le fait que la « victoire » n’est pas si nette. Et vouloir Matignon sans en avoir les moyens a compliqué les relations au sein de l’alliance. En effet, si, sur le fond, les divergences ne sont pas profondes, elles le sont sur la forme comme sur la stratégie. Comment alors imaginer un gouvernement avec des ministres LFI prônant la conflictualisation pendant que d’autres, du Parti socialiste (PS), seraient, à l’inverse, dans une forme de modération ?

Justement, on a l’impression qu’Emmanuel Macron, dans sa recherche d’un premier ministre, cherche à tout prix à fracturer cette alliance. Que vous inspire, par exemple, le nom de Bernard Cazeneuve, régulièrement cité ces derniers jours ?

Ces dernières semaines, la gauche s’est fortement engagée autour de Lucie Castets. Pour fracturer le NFP, et espérer enrôler derrière un gouvernement une partie du PS et offrir ainsi une trahison des socialistes à Mélenchon, il faut qu’Emmanuel Macron accorde d’importantes concessions sur le fond, que ce soit sur la réforme des retraites ou sur la hausse du Smic. Tout le discours de l’aile droite du PS repose sur deux arguments : celui de la responsabilité et celui d’être « utile » aux gens. Et pour ça, il faut quand même des garanties sur le fond.

Or Emmanuel Macron ne semble pas vouloir en donner, d’autant que la droite doit les accepter pour que l’attelage soit viable. Donc, aujourd’hui, je ne vois pas comment cette équation pourrait être résolue. Ainsi, même l’hypothèse Bernard Cazeneuve paraît compliquée car il ne sera soutenu ni par LFI, ni par les Verts, ni par le PCF, ni même par une partie du PS.

La faiblesse d’Olivier Faure pour ses opposants, c’est LFI.

Pourtant, à l’université d’été du PS, à Blois, l’aile droite du parti a reproché au premier secrétaire, Olivier Faure, d’être inféodé à LFI. Peut-on imaginer qu’elle réussisse à faire sortir le PS du NFP ?

Il faut rappeler que nous sommes dans une période de précongrès [celui-ci se tiendra début 2025, N.D.L.R.]. C’est habituel, au PS, que dans cette période il y ait volontairement l’activation de clivages. Une chose m’a frappé lors de ma venue à Blois. L’obsession du PS pour LFI. Cela s’explique par un dilemme posé au parti à la rose. D’un côté, très clairement, le PS a remonté la pente grâce à l’alliance avec LFI. Rappelons-nous où ils étaient après la présidentielle de 2022.

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Sans LFI, le PS était mort. De l’autre, LFI domine l’alliance. Ainsi, le PS doit beaucoup à une force qu’il déteste et, en même temps, on ne voit pas comment il pourrait s’en désolidariser. En effet, l’union lui a permis de retrouver des couleurs et même de grignoter l’hégémonie de LFI, comme l’ont illustré les dernières législatives. Donc le bilan d’Olivier Faure est plutôt bon. Le PS pèse de nouveau et il progresse dans le rapport de force au sein de l’union des gauches.

Pourquoi, alors, une telle fronde existe-t-elle contre le premier secrétaire au sein du PS ?

La faiblesse d’Olivier Faure pour ses opposants, c’est LFI. Pour autant, on ne voit pas du tout ce que propose la droite du parti, si ce n’est rien. Une solution pourrait être que le PS se recompose au centre gauche en se désolidarisant de Jean-Luc Mélenchon. Mais avec qui ? La gauche de la Macronie est aux abonnés absents. Il n’y a pas de stratégie d’alliance de revers. En plus de cela, je pense que le prochain congrès sera moins tendu qu’en 2022, où Olivier Faure avait presque été mis en minorité.

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Déjà parce que, comme je l’ai expliqué, le bilan de Faure est bon, et qu’il a obtenu 100 candidatures de plus aux législatives de 2024 en comparaison de 2022. Donc les militants sont bien moins frustrés. Et aussi parce que les municipales arrivent rapidement, début 2026, et que les militants seront sans doute plus légitimistes. Avant une élection qui est très importante pour ce parti, beaucoup ne voudront sans doute pas mettre le bazar.

Un autre nom a circulé récemment, celui de l’actuel président du Comité économique, social et environnemental, Thierry Beaudet. Un profil technique. Une telle personne a-t-elle plus de chances de mettre le NFP en difficulté ?

Non, je ne pense pas. Pour qu’un gouvernement fracture la gauche, il faut que le premier ministre soit vraiment quelqu’un de gauche. Pas un profil technique. Si Emmanuel Macron choisissait Thierry Beaudet, cela démontrerait sa faiblesse. On penserait que le gouvernement technique constitue sa dernière cartouche. Le faire avant même d’avoir essayé quoi que ce soit montrerait qu’il a très peu de cartes dans son jeu.

Le risque de nouvelles législatives dans un an est très fort. Même si le NFP explose, il se reconstituera.

Si le NFP se fracture comme la Nupes avant lui, cela ruinera-t-il totalement l’espoir d’une union des gauches durable ?

Je ne pense pas. Le risque de nouvelles législatives dans un an est très fort. Donc je suis convaincu que, même si l’alliance explose, elle se reconstituera. Il faut se souvenir du niveau de conflictualité interne à la gauche durant la campagne des dernières européennes. C’était sanglant ! Et pourtant cela n’a pas empêché le NFP de se former, pour une raison très simple : pour survivre, les partis n’ont pas d’autre choix. Et ce sera encore le cas si de nouvelles législatives ont lieu.

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La question qui se pose actuellement est celle des futures échéances du NFP. Le sujet va vite être celui d’une éventuelle candidature commune à la présidentielle. Et, si c’est le cas, celui d’une méthode de désignation. Pour moi, même si c’est très compliqué, cela passe par une primaire. Sinon on aura Jean-Luc Mélenchon et, au mieux, un candidat unique PS-EELV-PCF. Et ce serait certainement une catastrophe électorale.

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