« J’ai grandi dans une vaste prison… »

Osama Albaba, photoreporter palestinien, a quitté Gaza pour se réfugier en France, avant que la guerre n’éclate en octobre 2023.

• 2 octobre 2024
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« J’ai grandi dans une vaste prison… »
© Mohammed Ibrahim / Unsplash


Osama Albaba est un jeune photoreporter palestinien. Il a quitté Gaza pour se réfugier en France, avant que la guerre n’éclate en octobre 2023. Son existence, qui a débuté dans une prison à ciel ouvert, n’a d’avenir que dans l’exil. Tout comme pour ses aïeux. Mais ce jeune homme s’accroche à l’espoir de voir un jour son peuple vivre normalement.


Je m’appelle Osama Albaba, je suis né à Gaza City le 14 décembre 1996. Je travaillais pour l’agence de photojournalisme palestinienne indépendante APA Images, l’Agence France-Presse (AFP) et d’autres agences. J’ai quitté Gaza quelques mois avant la guerre en cours, en 2023. Je suis parti en quête d’une vie meilleure. J’étais confronté par ailleurs à des difficultés en lien avec mon athéisme, mon ouverture d’esprit.

J’ai obtenu un visa français qui m’a permis de me rendre en Égypte puis de gagner la France. Mon frère aîné est journaliste, il travaille pour National Public Radio [NPR, média indépendant états-unien, N.D.L.R.] et est toujours à Gaza. Les autres membres de ma famille, ma mère et mes autres frères, sont partis après le début de la guerre, avant la fermeture des frontières, et sont aujourd’hui demandeurs d’asile en Belgique. Mon père aussi a quitté Gaza, il est photographe pour l’AFP depuis vingt-cinq ans.

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Dans mon enfance, le drapeau jaune du Fatah était partout à Gaza. Puis, au fil des années, il a été supplanté par le drapeau vert du Hamas. L’occupation a fait de la religion une arme. Petit à petit, la religion a pénétré tous les aspects de la société gazaouie. Cela m’a toujours dérangé, et ma façon de résister a été de m’affirmer athée.

Être palestinien, c’est être suivi en permanence par le spectre de la mort, de la mort violente.

Je suis né et j’ai grandi comme un prisonnier dans une vaste prison, sans droit de m’envoler dans les airs ni de naviguer sur la mer. Sans volonté ni pouvoir de décision. Avec des frontières qui n’étaient qu’un jeu entre les mains des autres. Comme pour mon grand-père, puis mon père, depuis plus de soixante-quinze ans, il semblerait que le seul but de mon existence soit l’exil, le déplacement et les rêves abandonnés, ballotté d’une ville à l’autre, sans-abri d’une tente à l’autre.

Je me suis toujours senti frustré dans un espace dissonant. L’occupation fait ressentir l’injustice et la conspiration ouverte contre soi, son pays, son peuple. C’est ce que j’ai ressenti quand j’ai compris que les slogans humanistes n’étaient que des bulles de savon. Que les libertés, les droits humains, la justice et l’égalité étaient des principes à géométrie variable, d’abord soumis à des intérêts.

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Mais, depuis un an, je me sens brisé parce que personne n’a arrêté le génocide perpétré d’abord contre les enfants ; sans parler des femmes et des personnes âgées. Mon sang coule sur les routes de Palestine, mon corps est violé dans les rues et les ruelles de Gaza, comme si les Palestiniens n’avaient d’autre destin que la torture psychologique, les humiliations et la prison. Être palestinien, c’est être suivi en permanence par le spectre de la mort, de la mort violente.

J’ose espérer qu’un jour nous vivrons normalement.

La guerre ne déchire pas seulement les gens dans les rues, elle déchire les cœurs, brise les nerfs et nous réduit à l’errance, hagards. Cette dernière guerre a annihilé nos souhaits, tout comme elle a tué mes cousins, mes oncles, mes voisins, mes amis et leurs familles. Et les rares survivants sont déplacés. Aujourd’hui, j’ai encore le désir de respirer et pour cela je m’accrocherai à l’espoir et à l’amour jusqu’à mon dernier souffle. J’ose espérer qu’un jour nous vivrons normalement.

Et c’est cette lueur d’espoir qui me donne la force d’écrire et d’exprimer ce que je ressens aujourd’hui bien que mon être soit brisé. Nous devons survivre pour témoigner et garder la mémoire de notre humanité. Quoi qu’il arrive, nous vivrons, pour ceux qui ont survécu, pour ceux que nous aimons, parce qu’ils nous donnent la patience, la force et l’endurance pour panser le passé et penser l’avenir.


Vous pouvez découvrir le travail photographique d’Osama sur son site.


Publié dans
Carte blanche

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