De quoi la grève du sexe est-elle le non ?

La journaliste et autrice féministe Élise Thiébaut analyse le mouvement coréen 4B, appelant à la grève de toutes les injonctions imposées par le patriarcat, et qui suscite un écho important aux Etats-Unis depuis la réélection de Donald Trump.

Élise Thiébaut  • 25 novembre 2024
Partager :
De quoi la grève du sexe est-elle le non ?
© Markus Spiske / Unsplash

Depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis, des femmes appellent à rejoindre le « 4B movement » : pas de mariage, pas de sexe, pas de grossesse, pas de relations amoureuses hétérocis (1). Des millions de tweets et de vidéos ont alors déferlé sur les réseaux sociaux, faisant la joie des masculinistes qui ont remporté cette manche électorale, allant comme Nicolas Fuentes (2) jusqu’à clamer : « Ton corps, mon choix » en éclatant d’un rire sardonique.

1

Ces quatre items viennent du mouvement radical féministe et misandre 4B né en Corée du Sud en 2016 – chacun des mots, en coréen, commence par un B.

2

Militant masculiniste, suprémaciste blanc et commentateur politique américain d’extrême droite.

Dire que le masculinisme et le fascisme confisquent notre libido et notre désir de procréer est une évidence, mais est-ce une arme politique adéquate ? me suis-je demandé ? La grève du sexe est une affaire ancienne, déjà racontée en 411 avant J.-C. par Aristophane dans sa pièce Lysistrata, où il met en scène dans une comédie très leste le refus des femmes de Sparte et d’Athènes, alors en guerre, de toute gaudriole tant que les hommes n’auront pas rendu les armes.

Sur le même sujet : « La sexualité masculine est une logique impérialiste »

En 2015, Spike Lee en fera une extraordinaire adaptation au cinéma, entièrement en vers et en rap, dans les quartiers de Chicago dévastés par les guerres des gangs : Chi-raq. On y voit la grève des femmes essaimer dans le monde entier, comme cela se produit aujourd’hui. Avec une différence de taille : aujourd’hui, ce n’est pas la guerre « en soi » que dénoncent les femmes, mais la guerre contre elles, leur genre, leur sexe, leur corps.

La révolution sera plutôt d’en finir avec l’hétéronormativité, avec la violence et l’absence de consentement.

La journaliste Mona Eltahawy s’inscrit cependant en faux contre le « 4B movement » avec, notamment, cet argument : la grève du sexe revient à faire de cette activité une « rétribution » aux hommes, ce qui est exactement l’attendu patriarcal. Le mouvement 4B a par ailleurs pour effet de détourner le regard des femmes blanches qui ont largement contribué à la victoire de Trump, en proposant exactement ce que prônent les conservateurs : l’abstinence !

Sur le même sujet : Françoise d’Eaubonne, pionnière de l’écoféminisme

En février 1974, dans l’indifférence générale, la pionnière de l’écoféminisme Françoise d’Eaubonne lançait elle aussi dans Charlie Hebdo un appel à la grève des ventres, qui était plutôt une grève de la procréation, alors que la loi Veil sur l’accès à l’avortement venait à peine d’être adoptée, pour en finir avec ce qu’elle appelait « le lapinisme phallocratique ». Elle allait aussi écrire une saga, republiée récemment, mettant en scène un monde sans hommes, après une vraie guerre des sexes : Un Bonheur viril (éd. Des femmes-Antoinette Fouque).

Refuser du sexe, de la monogamie, de la romance et une descendance aux hommes cis est une réaction qu’on pourrait qualifier de normale par les temps qui courent. Mais la révolution sera plutôt d’en finir avec l’hétéronormativité, avec la violence et l’absence de consentement. Apprenons plutôt à dire oui à nos désirs multiples et divers, tout en tenant les piquets de grève contre toutes les violences racistes, sexuelles et sexistes, homophobes, écologiques et économiques !

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Idées Intersections
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Aurore Koechlin : « Le 10 septembre scelle le début d’un mouvement social »
Vidéo 11 septembre 2025

Aurore Koechlin : « Le 10 septembre scelle le début d’un mouvement social »

Aurore Koechlin est sociologue et militante féministe matérialiste. Pour Politis, elle revient sur l’élan social qui est né lors des manifestations et de la grève du 10 septembre.
Par Aurore Koechlin
« Rendre sa dignité à chaque invisible »
Entretien 11 septembre 2025 abonné·es

« Rendre sa dignité à chaque invisible »

Deux démarches similaires : retracer le parcours d’un aïeul broyé par l’histoire au XXe siècle, en se plongeant dans les archives. Sabrina Abda voulait savoir comment son grand-père et ses deux oncles sont morts à Guelma en 1945 ; Charles Duquesnoy entendait restituer le terrible périple de son arrière-grand-père, juif polonais naturalisé français, déporté à Auschwitz, qui a survécu. Entretien croisé.
Par Olivier Doubre
La révolution sera culturelle ou ne sera pas
Idées 10 septembre 2025 abonné·es

La révolution sera culturelle ou ne sera pas

Dans un essai dessiné, Blanche Sabbah analyse la progression des idées réactionnaires dans les médias. Loin de souscrire à la thèse de la fatalité, l’autrice invite la gauche à réinvestir le champ des idées.
Par Salomé Dionisi
Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »
Entretien 9 septembre 2025 abonné·es

Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »

François Bayrou vient de tomber. Fabien Roussel, le leader du Parti communiste français, lui, prépare déjà la suite, appelant Emmanuel Macron à nommer un premier ministre de gauche. Il rêve d’imposer un gouvernement de cohabitation pour changer drastiquement de politique.
Par Lucas Sarafian et Pierre Jequier-Zalc