JOP 2024 : « Une inégalité médiatique encore flagrante entre athlètes hommes et femmes »

Entretien avec Mélina Boetti, journaliste et autrice d’une enquête sur la médiatisation des femmes athlètes pendant les Jeux olympiques et paralympiques 2024. Selon elle, il reste du chemin pour sortir de la culture patriarcale, hétéronormée et validiste.

Élise Leclercq  • 12 novembre 2024 abonné·es
JOP 2024 : « Une inégalité médiatique encore flagrante entre athlètes hommes et femmes »
© Jacob Rice / Unsplash

Les Jeux olympiques et paralympiques (JO et JP) de Paris 2024 devaient être les plus paritaires de l’histoire, avec autant de femmes athlètes que d’hommes. Mais la médiatisation a-t-elle été aussi égalitaire ? Mélina Boetti, journaliste et réalisatrice sport, genre et société, a réalisé une étude journalistique sur la médiatisation des femmes durant cette période. L’ancienne footballeuse a ainsi comparé et analysé les journaux du Monde, du Parisien et de l’Équipe. Bilan : il y a encore du boulot.

Pour les JO, sur 21 jours relevés, L’Équipe a réalisé 12 unes avec des hommes, 8 mixtes et une seule avec une femme. Le Monde a quant à lui publié 17 unes durant les JO, mais une seule pendant les JOP, mettant en valeur un homme. Au global, les athlètes hommes, seuls, occupent 60 % des pages sports des Jeux (JO et JP confondus). Une inégalité qui se retrouve également au sein des articles : place dans les pages, paternalisme, infantilisation, validisme, racisme, etc. L’autrice fait l’état des lieux des différents pans du sexisme et d’autres discriminations.

Vous avez réalisé une étude sur la médiatisation des femmes et des minorités athlètes pendant les JO et les JOP, quelle était la démarche ?

Mélina Boetti : L’association Les Dégommeuses m’a sollicité en partenariat avec l’EuroCentralAsian Lesbian Community. Il fallait faire quelque chose qui serve l’intérêt général et qui permette une nouvelle réflexion sur les grilles de lecture qu’on utilise pour analyser le sport. Il y avait une excellente fenêtre d’observation pendant les JO et JP avec une période très resserrée et la présence de tous les sports. De plus, c’était une année où les jeux étaient censés être paritaires. L’enjeu de la médiatisation était énorme.

Le sport peut changer les états d’esprits et, à son échelle, ébranler le patriarcat.

En réalisant l’enquête, on s’est aperçu à quel point il y avait encore du travail, même en presse écrite. Finalement, cette étude est un outil pour les rédactions. Il n’est pas question de faire un podium, ni de juger le travail des journalistes, mais plutôt de mener une réflexion sur le travail journalistique et d’en tirer des enseignements.

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Les médias imprègnent la société et le sport est politique. Il y a donc un rôle évident à jouer, notamment dans le contexte actuel et le sexisme ambiant. Le sport est un levier puissant, vecteur d’émotion et d’universalité. Il peut changer les états d’esprits et, à son échelle, ébranler le patriarcat. Mais il n’y a pas que le sexisme dans cette enquête, il est aussi question de sensibiliser au validisme, dans une volonté d’intersectionnalité.

Qu’est-ce que votre étude a mis en lumière ?

Il y a une inégalité encore flagrante dans le traitement médiatique, que ce soit quantitativement, mais aussi qualitativement dans les propos tenus. Et surtout, une invisibilisation de nombreuses athlètes comme les femmes musulmanes voilées, avec la France qui a fait exception. Il y a eu des avancées, notamment au niveau quantitatif, ce qui est logique puisqu’il y a presque eu une parité au niveau homme et femme athlètes. Par exemple, dans les sports mixtes, toutes et tous vont être en photo, de manière équitable. Mais très vite, cette logique d’égalité se dérobe.

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Dans les interviews des pages spéciales « stars à domicile » de L’Équipe, il y en a neuf qui concernent les hommes, huit qui concernent les femmes. On se dit « chouette, on arrive quand même à quelque chose qui est représentatif du héros sportif et même de l’humanité ». En réalité, il y a dix-sept pages d’entretien pour les hommes, et il y en a onze pour les femmes.

Comment l’invisibilisation des femmes se retrouve-t-elle au sein même des articles ?

On voit bien qu’ils ont essayé de rendre une copie assez égale. Mais le sexisme intériorisé se retrouve dans la titraille, dans les chapeaux et dans le corps du texte. J’ai essayé de catégoriser les différents pans du sexisme : le paternalisme, l’infantilisation, l’hypersexualisation, l’hétéronormativité. La parole est aussi beaucoup donnée aux hommes même pour le portrait d’une femme. Le problème est systémique : il y a plus de dirigeants hommes, plus d’entraîneurs… et parmi les journalistes, il n’y avait que 30 % de femmes à couvrir les Jeux.

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Évidemment, quand le sport est fait par les hommes, quand la médiatisation est reléguée par des hommes, et que les lecteurs sont des hommes, ça crée une chape de plomb qui est difficile à ébranler. Cette médiatisation participe à une culture patriarcale, hétéronormée et au regard masculin. Quant aux Jeux paralympiques, la différence est très nette. La couverture médiatique était beaucoup plus faible et, souvent, tombait dans la hiérarchie des corps. Si on fait un raccourci, il y a les hommes valides d’abord, les femmes valides ensuite puis les hommes paralympiens et enfin les femmes paralympiennes.

Quel chemin reste-t-il à faire ?

À la fin du rapport j’ai donné l’idée de « l’article Bechdel” » en référence au test d’Alison Bechdel, une autrice de BD féministe, lesbienne, américaine. Après avoir vu de nombreux films, elle s’est rendue compte que peu d’entre eux laissaient la parole aux femmes. Donc elle a imaginé un test de trois conditions : avoir au moins deux femmes représentées, qu’elles discutent entre elles et qu’elles parlent d’autre chose que d’un homme. J’ai essayé d’imaginer ce test dans la presse écrite.

D’abord, il faudrait parler d’une athlète dans son sport et en action. C’est le point qui a le plus progressé. Ensuite, qu’elle puisse elle-même parler de son sport et de sa performance. Et puis, que ce soit une journaliste qui interviewe et qui écrive. Aucun article n’a réuni toutes ces conditions. Certains s’en sont approchés comme le papier de L’Équipe sur l’athlète paralympique Djélika Diallo ou celui sur l’athlète Zakia Khudadadi, médaillée d’or de taekwondo.

Il faut qu’on tende vers des articles qui passent le test Bechdel. L’idéal serait de pouvoir aller dans les rédactions pour expliquer les résultats de l’étude et faire en sorte qu’il y ait une prise de conscience collective. Le travail doit se faire en amont plutôt que dans le feu de l’action.

Société
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