Bétharram : ras-le-bol du « boys club » au pouvoir

Après avoir réussi à faire passer budget de l’État et de la Sécurité sociale par 49.3, François Bayrou est en train de trébucher sur un mensonge devant l’Assemblée nationale.

Catherine Tricot  • 17 février 2025
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Bétharram : ras-le-bol du « boys club » au pouvoir
François Bayrou et Emmanuel Macron lors des commémorations des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hypercacher, à Paris, le 7 janvier 2025.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

La semaine dernière, le premier ministre affirmait en réponse à une question du député LFI Paul Vannier ne rien savoir des violences et des sévices sexuels exercés contre des enfants et des adolescents dans un lycée privé catholique sous contrat de sa ville.

Comme quoi :

1. Il ne faut pas faire le malin quand on est aussi faible politiquement. Il vaut mieux préparer ses réponses aux questions attendues des députés et ne pas crânement venir les mains dans les poches. La modestie était chère à Saint François… ;

2. La société française s’intéresse aux affaires économiques. Mais pas seulement.

Bien sûr, il savait que nous savions qu’il en savait. Alors pourquoi cette désinvolture ?

Le retentissement de ce que l’on appelle « l’affaire Notre-Dame de Bétharram » tient à ce qui apparaît bel et bien comme un mensonge devant la représentation nationale. Comment François Bayrou pouvait-il ne pas savoir, quand des jugements, des articles de presse, des suicides étaient intervenus ? Quand plus de 110 plaintes pour agressions sexuelles ont été déposées ? Quand ses enfants étaient scolarisés dans l’établissement et que sa femme, qui enseignait le catéchisme, assistait à l’enterrement d’un prêtre suicidé après ces accusations de viols ? Quand – étranges mœurs – le juge dit l’avoir informé de soupçons d’agressions sexuelles…

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Bref tout ceci, révélé et documenté par Mediapart, donne à penser que, bien sûr, il en savait… Et que, bien sûr, il savait que nous savions qu’il en savait. Alors pourquoi cette désinvolture ? Ce n’est certes pas la première fois que des ministres mentent – au moins par omission – même devant l’Assemblée nationale.

Le fond est peut-être ailleurs.

Pour le premier ministre, ce n’était pas une grande affaire. On se souvient que François Bayrou a connu son heure de gloire en giflant un gamin devant les caméras lors de la campagne pour l’élection présidentielle où déjà il était candidat. Cela avait fait grand bruit, non parce qu’on ne gifle pas un enfant, à l’époque, mais parce que cela exprimait une certaine idée de l’autorité, de l’éducation, de la hiérarchie des normes. Et d’ailleurs, François Bayrou explique avoir scolarisé ses enfants dans ce lycée privé catholique pour la rudesse de la discipline. Déjà, cela laisse perplexe et semble à tout le moins suranné.

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Mais ce qui est accablant est de voir cet homme très pratiquant, engagé dans sa foi et dans la vie de l’Église, ne tirer aucun enseignement de l’admirable travail fait par la commission Sauvé. Obtenue de haute lutte, cette commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a été initiée en 2019. Dans son rapport rendu en 2021, elle établit les faits sur les abus sexuels sur mineurs et sur les personnes vulnérables dans l’Église catholique en France depuis les années 1950.

Savoir et comprendre

La commission estime qu’au moins 2,5 % des prêtres et religieux ont commis des agressions sexuelles ou des viols sur environ 216 000 victimes. En incluant les agresseurs laïcs, le nombre de victimes est évalué à plus de 330 000. Cette commission a montré le caractère de masse, systémique de ces faits. Est-il possible que François Bayrou n’a pas été alerté, troublé, angoissé en son for intérieur ?

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Pour sa défense, il se retranche derrière son action pendant son passage au ministère de l’Éducation nationale. La commission Sauvé n’a pas ces prudences et ces pudeurs. Elle ne s’en est pas tenue au calendrier et au cadre légal. Elle a enquêté en remontant au-delà des délais de prescriptions. Car ce que les victimes veulent, au-delà des délais de prescription légaux qui restent un fondement d’une justice humaine, c’est que les crimes, les agressions soient reconnues, nommées et les victimes dédommagées.

Les hommes qui dirigent ce pays – Macron et ses potes – doivent se convaincre d’un changement d’époque.

Les hommes qui dirigent ce pays – Macron et ses potes – doivent se convaincre d’un changement d’époque. En matière de violences sur mineurs, de violences sexuelles, il n’y a pas d’explications « d’homme à homme » qui vaillent. Il n’y a pas d’excuses de génie artistique. La présomption d’innocence qui prévaut ne doit pas conduire à l’excuse de principe. La prescription n’est pas un blanchiment.

François Bayrou n’est évidemment pas coupable des actes qui sont ici évoqués. Mais comme premier ministre, il doit en prendre la mesure, expliquer pourquoi il n’a pas su ou pu voir. Il ne peut être en dessous des attentes de la société. Savoir et comprendre pour que cela cesse.

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