Ciblés par la droite, les écolos cherchent un chemin sécuritaire

Sans cesse accusés par la droite et l’extrême droite de laxisme, les Verts ont quelques divergences sur le sujet de la sécurité. Mais ils tentent néanmoins de sortir le débat public de la pensée uniquement répressive.

Lucas Sarafian  • 9 avril 2025 abonné·es
Ciblés par la droite, les écolos cherchent un chemin sécuritaire
Des agents de la BST de la police patrouillent dans le quartier des HLM Mistral à Grenoble, le 4 septembre 2020. La ville est dirigée depuis 2014 par un maire écologiste, Éric Piolle.
© JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Un tabou chez les Verts, vraiment ? Certes, les questions régaliennes ne sont pas vraiment le point fort de la gauche. La droite et l’extrême droite en profitent allègrement, ne ratant pas une seule occasion pour pointer du doigt cette gauche qui ne voudrait pas prendre sérieusement en main le sujet de l’insécurité. Accusés d’angélisme ou de naïveté, les Écologistes sont aujourd’hui systématiquement ciblés. Car les Verts, à la tête de près d’un cinquième des villes de plus de 80 000 habitants, sont désormais de sérieux concurrents pour la droite, en perte de vitesse partout dans le pays, et pour l’extrême droite, qui rêve de provoquer une vague brune en France lors des prochaines municipales.

« On sait qu’on est ciblés, assure Olivier Bertrand, adjoint au maire de Grenoble, Éric Piolle, et chargé des élections pour le parti. Mais on est d’abord ciblés par le groupe Bolloré et les médias de droite et d’extrême droite et c’est ensuite utilisé par les élus locaux partout. Cette offensive est basée sur une manipulation grossière des chiffres sur la délinquance. » Pour d’autres écolos, ces offensives politiques, sans fondement, seraient la preuve qu’un écologisme municipal s’installerait durablement dans le pays.

Sur le même sujet : Pour les municipales, les Écologistes en mission

Interrogés, Les Écologistes ne veulent pas tomber dans le piège de la droite qui ne cesse de peindre le tableau d’une « France Orange mécanique », sombrant dans la violence et le narcotrafic grandissant dans le pays. Les Verts préfèrent parler de prévention, insister sur toute la chaîne qui créerait de la violence, en se préoccupant de l’éducation, de la formation et de l’intégration sociale… S’ils revendiquent être dans une approche globale de la question sécuritaire, ils plaident pour mettre sur la table d’autres insécurités, comme l’insécurité sanitaire ou alimentaire. Manière de marquer un clivage face à la droite enfermée dans le logiciel tout répressif.

On parle de toutes les sécurités, y compris de celles auxquelles chacun a droit quand il mange, quand il respire, quand il boit…

M. Tondelier

« Chez les Écologistes, on ne parle pas que d’un type de sécurité. On parle de toutes les sécurités, y compris de celles auxquelles chacun a droit quand il mange, quand il respire, quand il boit… Car en réalité, vous avez plus de risques de mourir de ce que vous mangez, de ce que vous buvez, de ce que vous respirez, bien plus que d’être assassiné au coin d’une rue en sortant de chez vous. Et pourtant, on nous parle que de ce risque, et le groupe Bolloré joue sur cette peur au service de l’extrême droite », développe Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes.

« Ce n’est pas moi qui ai changé, ce sont les réalités de terrain »

Toutefois, des édiles marquent leurs différences. À Lyon comme à Bordeaux, les maires verts bousculent la doctrine initiale de leur parti. À Bordeaux, Pierre Hurmic a annoncé son intention d’armer la police municipale à l’été 2025, en s’inspirant du modèle anglais. À Lyon, Grégory Doucet défend le choix de Gérard Collomb d’avoir armé la police municipale. Dans ces deux métropoles, le parc de caméras de vidéosurveillance a été élargi.

Dans La Tribune dimanche début février, Pierre Hurmic se défend : « La pratique du pouvoir, fort heureusement, nous fait évoluer. C’est une épreuve de vérité. Nous sommes tous confrontés en permanence au conflit entre ce que Max Weber appelait l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Ce n’est pas moi qui ai changé, ce sont les réalités de terrain. »

Il est facile pour nos opposants de nous qualifier de Bisounours.

G. Doucet

« En tant qu’écologiste, on a souvent l’apaisement, et donc la paix, comme priorité. Il est alors facile pour nos opposants de nous qualifier de Bisounours. La réalité est toute autre, considère Grégory Doucet. On peut tout à fait souhaiter la paix, vouloir renforcer le lien social sans pour autant tomber dans le manichéisme. Aujourd’hui, nous déployons dans nos villes l’écologie politique, qui s’ancre dans la réalité tout en visant une société plus apaisée. »

A contrario, Anne Vignot, maire de Besançon depuis 2020, et Éric Piolle, maire de Grenoble depuis 2014, s’ancrent plutôt dans le logiciel traditionnel des écolos. Anne Vignot estime être « pragmatique ». Elle ne développe pas les caméras de vidéosurveillance et ne veut pas rentrer dans l’escalade répressive. « La droite n’arrête pas de dire : ‘Il faut des caméras, il faut des armes.’ Ils parlent d’attributs, je préfère parler des compétences. La caméra n’est pas la solution absolue. Et renforcer l’image très armée de notre police, c’est se tromper. On a besoin d’une police présente et professionnelle pour intervenir et mener des enquêtes », explique calmement la maire.

Sur le même sujet : Éric Piolle : « Une ville modèle de la transition »

« La droite et l’extrême droite ont pour habitude d’attaquer pour faire diversion. Ils veulent créer de la polémique pour cacher l’échec de leur stratégie », estime Éric Piolle qui considère que l’armement de la police municipale, déjà dotée de pistolets à impulsion électrique, de bâtons télescopiques et de grenade lacrymogènes, est plutôt une « décision d’employeur » plus qu’une réelle politique publique. Concernant la vidéosurveillance, l’édile dit s’appuyer sur les études scientifiques qui, selon lui,  démontrent une efficacité dans les espaces privés et les lieux confinés comme les halls d’immeubles ou les transports en commun. Mais « ça ne fonctionne pas dans l’espace public », juge-t-il.

Diversité de styles

« Il y a une diversité de styles de pouvoir au sein des Écologistes, observe Florent Gougou, maître de conférences en science politique à Sciences Po Grenoble. Sur les mobilités, il existe une trajectoire homogène avec la réduction de la place de la voiture au profit des pistes cyclables et des voies protégées pour les transports en commun. Sur la sécurité, la doctrine écologiste n’est pas arrêtée. Certes, l’idée qu’il peut y avoir besoin de plus de policiers fait plutôt consensus. Mais l’idée du fonctionnement même de la police n’est pas univoque. »

« L’exercice du pouvoir, qui est une affaire compliquée, nous met face à des contradictions, admet une cadre du parti. On est confronté à des situations d’insécurité, des violences parfois très fortes. Ça force à réfléchir : comment être vraiment efficace sur ces sujets ? Ce sont des questions compliquées et je regrette que l’État en fasse des sujets partisans. » Éric Piolle tient à recadrer le débat : si les villes font partie du continuum de sécurité, c’est à l’État de s’occuper des missions régaliennes. Et selon lui, si l’État met la faute sur le dos des maires, c’est parce que les ministres de l’Intérieur successifs n’ont jamais su trouver de solutions efficaces.

Les ministres de l’Intérieur se servent de leur position, non pas pour essayer de régler les problèmes mais pour se faire un nom.

É. Piolle

« Les ministres de l’Intérieur se servent de leur position, non pas pour essayer de régler les problèmes mais pour se faire un nom. Ils s’achètent un temps de commerce politique et une notoriété grâce à des politiques velléitaires dans l’extrême fermeté du discours, grince le maire de Grenoble. Mais c’est un laxisme car ce discours n’est pas suivi de résultats et de moyens : il suffit de regarder les effectifs de police et de gendarmerie aujourd’hui par rapport à ce qu’ils étaient avant Sarkozy. » Pointant la suppression de la police de proximité et la réduction des effectifs année après année, Anne Vignot partage l’argumentaire de son homologue isérois : « Le laxisme premier, c’est celle de la droite et des gouvernements successifs. »

Sur le même sujet : Vidéosurveillance : comment Brest a dû capituler

Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris et membre au sein des Écologistes de la commission « Sécurité, prévention et tranquillité publique », se positionne sur le même créneau. « La sécurité est un service public. Donc on a besoin de moyens, d’évaluation, de voix de contrôle et de contre-pouvoir, assure l’élue de Paris. L’État a abandonné le sujet de la sécurité. Les gouvernements ont toujours refusé de faire la transparence sur les effectifs de police nationale qui se réduisent, ce qui a mis les territoires en concurrence, c’est un marchandage sur les contrats locaux de sécurité opéré par l’État sur les collectivités territoriales. »

Dans une lettre envoyée aux adhérents fin mars, Marine Tondelier l’affirme : « Les études récentes montrent que notre potentiel électoral est bien plus large que nos résultats actuels. Mais pour transformer ce potentiel en victoires (…), nous devons être capables de nous prononcer sur l’ensemble des sujets, y compris les questions régaliennes. C’est le travail qui est en cours au sein du pôle projet. » Manière de ne pas regarder depuis le banc de touche.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous