Bétharram : les outrances de François Bayrou et les risques du mensonge
Devant la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires, le premier ministre n’a pas clarifié ses ambiguïtés sur son action en tant que ministre de l’Éducation nationale. Une audition offensive mais peu convaincante.

© Maxime Sirvins
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Aux Invalides, un rassemblement contre « la banalisation des violences sur mineurs » Bayrou, l’indignité politique au service du déni Bétharram : la prescription en débatSavait-il ce qui se passait à Notre-Dame-de-Bétharram ? Qu’a-t-il fait pour empêcher les violences sexuelles, physiques et psychologiques dans cet établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques, visé par plus de 200 plaintes pour des violences perpétrées pendant des décennies ? Auditionné, mercredi 14 mai, à 17 heures, François Bayrou a dû s’expliquer devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires.
Depuis plusieurs semaines, le premier ministre s’enlise dans des explications contradictoires et des affirmations confuses. Sa ligne de défense est simple : il ne savait rien. En tant que parent d’élève, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques (1992-2001), député (1986-1993, 1997-1999, 2001-2012) et ministre de l’Éducation nationale (1993-1997), le centriste n’aurait jamais été au courant de cette histoire.
16 h 47. Une soixantaine de journalistes trépignent. François Bayrou ne va pas tarder à entrer dans la grande salle Lamartine du 101, rue de l’Université, à deux pas de l’Assemblée nationale. « S’il ne répond pas aux questions ou s’il commet encore des mensonges, je crois qu’on arrivera, non seulement à la fin de sa carrière politique, mais surtout à la fin de sa crédibilité », anticipe Léa Balage El Mariky, porte-parole du groupe Écologiste et Social. Au sein du gouvernement, on affirme ne pas trembler. « On lui fait un mauvais procès, assure une ministre. Les insoumis attendent que l’audition se passe mal pour instrumentaliser ce moment. Mais cette audition se passera bien. »
Bayrou et La Meute
17 h. Le premier ministre, costume sombre, arrive dans la salle et serre la main aux deux corapporteurs de la commission d’enquête, Violette Spillebout (Ensemble pour la République, EPR) et Paul Vannier (La France insoumise, LFI). Le septuagénaire semble calme, on lui amène dans une chemise cartonnée bleue ses piles de fiches accompagnées de deux livres, Le Silence de Bétharram (Michel Lafon) d’Alain Esquerre, le fondateur du collectif des victimes de l’institut catholique, et La Meute (Flammarion), l’enquête sur LFI menée par les journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde).
Les insoumis attendent que l’audition se passe mal pour instrumentaliser ce moment.
Une ministre
La présidente socialiste de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, Fatiha Keloua Hachi, lance les hostilités : François Bayrou a-t-il été membre d’un « organe de gouvernance ou de consultation » de l’institut Notre-Dame-de-Bétharram ? Le premier ministre ne répond pas, se permet de dire un propos liminaire, ce qui lui est formellement interdit : il s’émeut de ce « continent caché » que sont les violences dans le cadre scolaire et accuse les « milliers de tweets » qui polluent son action depuis quatre mois. Enfin, il en vient à sa réponse : « Je n’ai jamais siégé, à mon souvenir au conseil d’administration de Bétharram », affirme Bayrou. Le cadre du débat est posé pour la suite : il n’est, selon lui, responsable de rien.
Paul Vannier pris pour cible
Pendant plus de cinq heures et demi, le premier ministre, plutôt méprisant, digresse, accuse sa mémoire, perd souvent son calme, s’en prend à Mediapart, attaque le ton supposé irrespectueux de Fatiha Keloua Hachi, exprime son doute sur l’objectivité de cette commission d’enquête. Avec une cible quasi systématique : l’insoumis Paul Vannier. « Vous ne cherchez pas la vérité ! Vous la déformez tout le temps ! », lance-t-il plusieurs fois à l’adresse du corapporteur. Entre deux suspensions de séance, la députée Modem Perrine Goulet soutient son patron : « Je suis convaincu que cette commission se transforme en procès politique. Quand avons-nous parlé des victimes ? »
D’un calme olympien, les corapporteurs s’obstinent à questionner le premier ministre sur le fond de l’affaire, à commencer par ce 11 février 2025, ce jour où, interrogé à l’Assemblée nationale par Paul Vannier, François Bayrou déclare : « Je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit, de violences ou de violences a fortiori sexuelles. Jamais. » Depuis, les enquêtes journalistiques, les archives retrouvées et les témoignages démontrent le contraire. « Maintenez-vous aujourd’hui cette déclaration ? », demande l’insoumis. « Je maintiens l’affirmation qui est la mienne : je n’ai pas eu d‘autre information comme ministre de l’Éducation nationale que par la presse et je n’ai bénéficié d’aucune information privilégiée », rétorque François Bayrou.
J’affirme que cette dame a affabulé devant la commission.
F. Bayrou
Et qu’a fait le premier ministre après les alertes de Françoise Gullung ? Cette professeure de mathématiques au milieu des années 1990, certifie avoir alerté François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, par courrier en janvier 1995 et oralement deux mois plus tard. « Sous serment, je dis que Madame Gullung ne m’a informé de rien », balaye le centriste. « J’affirme que cette dame a affabulé devant la commission », répète-t-il, allant jusqu’à mettre en doute la santé mentale de cette ancienne professeure, nonagénaire aujourd’hui.
Est-ce qu’une inspection académique était suffisante ? En avril 1996, François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, commande cette inspection après, affirme-t-il, avoir eu connaissance par voie de presse d’une plainte déposée par un parent d’élève dont le fils a eu le tympan perforé. L’inspection sur place n’a duré qu’une seule journée et le rapport a été rendu trois jours plus tard. « Il a entendu 20 personnes, 19 peut-être, entre 9 h 30 et 18 h à Bétharram, explique Bayrou, plus calmement. Si on considère que c’est traiter par-dessus la jambe… Je trouve, moi, que c’est une vraie vérification. »
L’inspection a-t-elle été superficielle ? Le premier ministre se fie sans cesse aux conclusions « très favorables à Bétharram » de ce rapport d’inspection. Avant de se reprendre : « Est-ce que j’ai lu le rapport aussi attentivement qu’il aurait fallu ? Sûrement pas. » Le rapport, de trois pages, contient notamment la description de sévices physiques.
Naufrage
19 h 40. L’audition prend un tournant lorsque les corapporteurs abordent la question du magistrat Christian Mirande. L’ex-juge d’instruction chargé du dossier du père Carricart dit avoir échangé en 1998 avec François Bayrou pour évoquer l’affaire, en dehors de tout cadre légal, pendant « au moins deux heures ». La fille de Bayrou, Hélène Perlant, a raconté à Mediapart avoir vu son père « le soir où il rentre de chez le juge Mirande » et se souvient de lui : « Ne le répète surtout pas, j’ai juré d’être dans le secret de l’instruction. » François Bayrou a contesté les affirmations de l’ex-juge Mirande, notamment dans un article du Monde. Le Béarnais évoque une rencontre « fortuite » avec le magistrat, qui était l’un de ses voisins. Et d’ajouter : « Je nie absolument que Christian Mirande m’ait informé du viol. Le viol, il est dans le journal l’avant veille ! »
Je ne suis jamais intervenu dans une affaire de justice.
F. Bayrou
Le gendarme Hontangs, chargé de l’enquête dans le dossier du père Carricart, prétend que François Bayrou est intervenu personnellement dans cette affaire. Le 25 mai 1998, le gendarme défère le père Carricart devant le bureau du juge Mirande, qui lui aurait dit : « Monsieur Hontangs, la présentation est retardée. Le procureur général demande le dossier. Il y a eu une intervention de Monsieur Bayrou. » Réponse de François Bayrou : « Je ne suis jamais intervenu dans une affaire de justice. »
21 h 50. La députée socialiste Colette Capdevielle glisse, entre deux séries de questions : « Le premier ministre a une attitude extraordinairement inquiétante. Il refuse de voir la réalité, il passe une demi-heure à essayer de démonter le témoignage de la lanceuse d’alerte, prétend que les hauts gradés sont des menteurs. Il met en cause la commission, les rapporteurs, et se victimise. C’est un naufrage. »
Aucune conséquence
22 h 36. Fin de l’audition. Quelle sera la suite ? Politiquement, cette audition ne semble avoir aucune conséquence à court terme. François Bayrou veut simplement inscrire le sujet de la lutte contre les violences dans les missions de Sarah El Haïry, nommée en mars Haute-commissaire à l’Enfance, et souhaite la mise en place d’un conseil scientifique adossé à un comité d’écoute pour les victimes au sein d’une autorité à inventer dans le secteur de la culture, de l’école et dans le sport.
La commission d’enquête peut signaler au parquet tout fait susceptible de constituer une infraction. Une fausse déclaration sous serment en est une. Les députés de la commission restent ouverts devant cette possibilité. « À chaud, je ne peux pas répondre sur la suite, évacue Fatiha Keloua Hachi. Mais on va réécouter les bandes-sons et nous prendrons les décisions que nous devrons prendre. » La commission d’enquête a jusqu’à la remise du rapport, en juin, pour trancher.
« L’objectif de la commission d’enquête n’est pas de faire le procès de François Bayrou mais de chercher des responsabilités politiques et générales qui nous permettront d’amener des propositions dans un rapport de commission d’enquête et peut-être une proposition de loi », tempère Violette Spillebout, ce 15 mai au matin.
« Cette audition permet de confirmer que le premier ministre, à plusieurs reprises, à l’Assemblée nationale et à Pau devant les victimes de Bétharram, a menti. Et il le reconnaît devant la commission d’enquête en faisant varier très profondément sa version de toute une série de faits, se prononce Paul Vannier. A-t-il menti hier soir sous serment ? Il est trop tôt pour le dire. » L’« affaire Bayrou » ne risque pas de s’essouffler.
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