Choose France : toujours plus d’argent, toujours si peu d’emplois

Derrière les 20 milliards d’euros d’investissement annoncés par Emmanuel Macron se cache une crise de l’industrie jamais abordée par le sommet Choose France. Le sommet est peu créateur d’emplois, alors que les plans sociaux se multiplient ces dernières années.

Paul Hetté  • 27 mai 2025 abonné·es
Choose France : toujours plus d’argent, toujours si peu d’emplois
Emmanuel Macron s'exprime lors du sommet « Choose France », 19 mai 2025.
© Gonzalo Fuentes / POOL / AFP

Lundi 19 mai, lors de son sommet Choose France, Emmanuel Macron a annoncé en grande pompe, sous les dorures du Château de Versailles, que 20 milliards d’euros allaient être investis en France par des entreprises – en plus des 17 milliards précédemment annoncés sur l’intelligence artificielle. Cette huitième édition de l’événement bat son propre record : l’année dernière, le montant annoncé était de 15 milliards d’euros.

Plus de 200 patrons d’entreprises étrangères, à l’image d’Ikea, BYD, Goldman Sachs ou Netflix, étaient présents à Versailles pour discuter business. L’occasion pour le président de vanter la première place de la France au classement des pays les plus attractifs, selon le baromètre EY. « En nombre d’emplois créés et en millions d’euros investis par les investissements étrangers, la France n’a jamais été réellement première », nuance Olivier Lluansi, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et ancien conseiller industrie et énergie de François Hollande.

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La question de l’impact de Choose France sur l’emploi est habilement reléguée au second plan par l’Élysée. Selon le même baromètre EY brandi par l’exécutif, le nombre d’emplois détruits par des projets d’entreprises étrangères a augmenté de 66 % entre 2023 et 2024, et le nombre d’emplois créés a, lui, chuté de 22 %. Le solde de création d’emplois reste cependant positif.

« Déni de la crise industrielle »

« Les IDE [investissements directs à l’étranger] en France concernent des secteurs peu pourvoyeurs d’emplois, explique Cyprien Batut, économiste du travail. Le secteur industriel est de plus en plus capitalistique et de moins en moins créateur d’emplois ». Chaque projet en France a créé en 2024 en moyenne 33 emplois, contre 180 en Espagne et 182 en Italie. « Ces domaines que le président considère comme l’avenir – la banque, l’IA, le tourisme ou l’énergie… – sont peu créateurs d’emplois », abonde Baptiste Talbot, membre de la commission exécutive de la CGT.

Selon lui, « l’idée de Macron est de pouvoir continuer de dire que la France est attractive en mettant en avant de gros volumes financiers », tout en ignorant la crise actuelle de l’industrie. « Il y a un peu plus de 3 millions d’emplois dans le secteur industriel. Dans les années 1970, on était à plus de 5 millions. Ce n’est pas Choose France qui va permettre d’inverser cette tendance et de rattraper le retard considérable qui a été pris », pointe-t-il.

Ces domaines que le président considère comme l’avenir – la banque, l’IA, le tourisme ou l’énergie… – sont peu créateurs d’emplois.

B. Talbot

Depuis 2024, « les principaux indicateurs macroéconomiques sont passés au rouge concernant l’industrie », observe Olivier Lluansi. « L’exécutif est dans une forme de déni de la crise industrielle » en se concentrant uniquement sur l’innovation, « oubliant d’accompagner le tissu industriel existant », déplore-t-il.

Peu d’emplois créés, beaucoup en sursis

Une analyse que partage Cyprien Batut : « La dynamique française ne correspond pas à une dynamique de réindustrialisation : sans Choose France, il y aurait probablement eu autant de création d’emplois industriels ». De quoi qualifier selon lui le sommet d’« opération de communication » et les milliards annoncés « d’effets d’annonce ».

13 000 emplois sont censés naître des investissements de cette année. « Au lieu de crier cocorico à Choose France, le gouvernement ferait mieux de sortir la calculette, parce que 37 milliards d’euros pour 13 000 emplois, cela revient à 2,85 millions d’euros par emploi », lance Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, pendant une conférence de presse tenue ce mardi 27 mai sur l’emploi et la vague de licenciements en cours.

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Sara Signorelli, économiste du travail, précise que les 13 000 emplois censés naître des investissements de cette année pourraient en fait s’avérer être des « déplacements » : « Ce sont des emplois qualifiés qui sont déjà en tension sur le territoire, avec une offre inférieure à la demande. » Les entreprises créeraient donc des emplois pendant que d’autres seront détruits ailleurs.

Une réindustrialisation en échec

Emmanuel Macron, lors de sa longue interview sur TF1 le 13 mai dernier, avançait que 150 000 emplois industriels ont été créés depuis 2017. « Un volume assez réduit par rapport à la crise que l’on vit et les suppressions d’emplois massives », commente Baptiste Talbot.

Au lieu de crier cocorico à Choose France, le gouvernement ferait mieux de sortir la calculette.

S. Binet

« Les destructions d’emplois que l’on connaît aujourd’hui sont liées à la politique de l’offre d’Emmanuel Macron », poursuit le syndicaliste. Lors de sa conférence de presse, la CGT a présenté la mise à jour de sa carte de France des emplois supprimés ou menacés par les plans sociaux.

« Ces licenciements concernent pour moitié l’industrie alors que la France est parmi les pays les plus désindustrialisés d’Europe », regrette Sophie Binet. Pour le syndicat, « ce sommet est un écran de fumée cachant une vaste opération de communication ».

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