Contre Trump, des villes et des États entrent en résistance
Pour limiter les conséquences des politiques menées par le président américain, certains élus tentent non sans mal de jouer de leur pouvoir, comme le prévoit le système fédéral.

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Extrême droite : comment le patronat se prépare à collaborer Face à la résistible ascension de l’extrême droite, une force vivante Pour contrer le RN, la gauche redouble de modes d’actionDevant plusieurs gouverneurs réunis à la Maison Blanche, Donald Trump fait ce qu’il sait si bien faire : se vanter. Cette fois-ci, c’est au sujet de l’interdiction récente pour les athlètes transgenres de participer à des compétitions féminines. Il interroge l’assistance, ce 21 février : « Est-ce que [l’État] du Maine est ici ? La gouverneure du Maine ? » Une association éducative et sportive de l’État avait en effet annoncé son intention de laisser les athlètes transgenres prendre part aux compétitions.
Le président tourne alors la tête vers Janet Mills, la gouverneure démocrate. « Est-ce que vous allez vous y conformer ? » « Je me conforme aux lois de l’État et fédérales », lui répond-elle. « Nous sommes la loi fédérale, tranche le président. Vous avez intérêt à le faire, sinon vous n’allez recevoir aucun financement fédéral. » L’élue lui répond : « Nous nous verrons au tribunal. »
L’échange est à l’image des batailles auxquelles se sont livrés ces dernières semaines plusieurs États dirigés par des Démocrates, pour tenter de contrecarrer les politiques du président ou d’en limiter les conséquences. « Les États et les villes sont en première ligne pour lutter contre les efforts du second gouvernement Trump pour réduire nos droits », peut-on lire sur le site de l’organisation progressiste pour les libertés individuelles Aclu, qui explique avoir travaillé « depuis plus d’un an » à élaborer « un guide pour bloquer et perturber l’agenda radical de Trump », et ainsi offrir des « outils pour protéger les droits reproductifs, les droits des immigrés, la liberté d’expression et plus encore ».
Les Démocrates sont en minorité à la Chambre des représentants et au Sénat, ce qui leur laisse des marges de manœuvre réduites pour s’opposer aux législations républicaines. Mais le système fédéral américain leur offre la possibilité de mener leurs propres politiques dans certains domaines, voire de refuser de coopérer avec les politiques fédérales (au niveau national).
Une de ces politiques concerne l’expulsion des personnes sans titre de séjour. Les autorités nationales de l’immigration (ICE) peuvent procéder à des arrestations avec leurs agents, dont le nombre est toutefois bien inférieur à celui des forces de l’ordre locales dans le pays. Les premières disposent de près de 20 000 agents, tandis que les secondes en rassemblaient quelque 473 000 en 2022. Pour mettre en œuvre sa promesse d’expulser les 13 millions de personnes sans titre de séjour, selon les estimations, Donald Trump a donc besoin de la coopération des autorités locales.
Mais treize États (dont la Californie, le Colorado et New York) et des centaines de villes et comtés étaient considérés comme des « sanctuaires », d’après des données récoltées début mars par le Center for Immigration Studies (think tank indépendant en faveur d’une forte diminution du nombre d’immigrants). « Un État est parfaitement libre de refuser d’aider le gouvernement fédéral à faire quelque chose », explique Jeff Schmitt, professeur de droit à l’université de Dayton.
Les formalités varient en fonction des lieux, mais il est possible d’adopter des mesures pouvant réduire l’efficacité des autorités nationales de l’immigration, sans toutefois les empêcher totalement d’agir. Elles peuvent en effet effectuer des arrestations avec leurs ressources, et de nombreux cas d’arrestations dans ces lieux opposés à la politique fédérale ont été recensés.
Protéger le climat et les personnes LGBTQ+
La protection des personnes sans titre de séjour n’est pas le seul champ de bataille des États. Ils peuvent choisir d’élargir certains droits dans les législations locales, pour lutter contre le changement climatique par exemple.
« Depuis des années, de nombreux gouvernements d’État ont montré un leadership puissant sur cette question, explique le Center for American Progress sur son site. Cependant, avec les conséquences du changement climatique qui continuent de s’accélérer […] et avec les législateurs [nationaux] qui cherchent à revenir en arrière sur les politiques climatiques, plus de gouvernements d’État doivent aller plus loin. » Les États peuvent par exemple mettre en place des régulations plus strictes contre la pollution, protéger des espaces naturels et participer à la transition énergétique locale.
De la même manière, et face aux attaques du président contre les droits des personnes LGBTQ+, les procureurs généraux de 15 États – tous des Démocrates – ont annoncé début février dans un communiqué commun qu’ils comptaient protéger les « soins d’affirmation de genre » pour les personnes transgenres de moins de 19 ans et assurer « le respect de la dignité et des droits de tout le monde. Les décisions de soins de santé doivent être prises par les patients, leurs familles et les médecins, pas par un politicien qui essaie d’utiliser ses pouvoirs pour limiter vos libertés ».
Il peut être plus facile pour les États, par rapport à des individus ou des organisations, de faire un recours en justice.
J. Schmitt
Cette annonce répond à un décret pris par Donald Trump pour retirer les financements publics destinés à ces procédures médicales et encourager toute loi pour les interdire. La possibilité d’avoir recours à ces traitements médicaux dépendait jusque-là des législations locales dans chaque État. La mesure du président a pour l’instant été bloquée par la justice, à la suite de plusieurs recours, dont certains engagés par des États. Mais plusieurs centres de soins ont bloqué les procédures liées à l’affirmation de genre et, dans l’État de New York, la procureure Letitia James les a appelés à maintenir ces soins, sous peine d’enfreindre le droit local.
Les États peuvent également contester auprès de la justice la légalité des mesures du président. Des dizaines d’entre eux ont ainsi porté plainte contre des mesures allant de l’atteinte à la protection des personnes transgenres au licenciement de fonctionnaires. Ils ajoutent ainsi leur pierre à l’édifice de la kyrielle de recours en justice. Depuis le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, les contestations en justice se sont en effet multipliées. Le média Just Security avait recensé 149 procédures au 28 mars. Au moins 53 décisions de justice avaient bloqué, au moins temporairement, des politiques du président, selon un décompte du New York Times daté du 25 mars.
Et certains États y sont pour quelque chose. Vingt-deux avaient contesté, dans différentes procédures, la décision de Donald Trump de limiter le droit du sol. La décision a été suspendue temporairement. Même si des organisations et des particuliers ont également effectué de tels recours, les États ont un avantage. « Il y a un aspect symbolique, cela peut donner plus de crédibilité à ces recours auprès des médias. En outre, même si c’est très complexe, il peut être plus facile pour les États, par rapport à des individus ou des organisations, de faire un recours en justice, parce que leurs intérêts, qu’ils souhaitent protéger, sont nettement plus larges », explique Jeff Schmitt.
Las, Donald Trump ne se laisse pas faire. Face à l’opposition de certains États, il a brandi la menace de couper leurs subventions nationales. Comme il l’a fait lors de l’affrontement verbal avec la gouverneure du Maine. Rien de nouveau, pourtant. Il avait déjà lancé ces mises en garde lors de son premier mandat contre des villes « sanctuaires », avant que la justice ne retoque la mesure. L’utilisation des fonds fédéraux doit être en lien avec la nature des programmes concernés.
Ainsi, pour le cas du Maine, le président ne devrait pas pouvoir supprimer l’entièreté des financements, au prétexte du non-respect de sa mesure à l’égard des personnes transgenres. « Ce que le président Trump a menacé de faire avec le Maine est absolument, et sans équivoque, inconstitutionnel », analyse Jeff Schmitt.
Le pouvoir des États peut cependant être limité. « Les lois fédérales sont suprêmes, ce qui veut dire que, s’il y a un conflit entre une loi fédérale et une loi d’un État, c’est la loi fédérale qui gagne », explique Jeff Schmitt. Or la question qui se pose à propos des récents décrets du président est de savoir s’ils relèvent du domaine de l’exécutif ou du législatif, nécessitant ainsi la validation du Congrès. Et la multitude de recours en justice déposés doit désormais être tranchée par la justice. Cependant, un récent événement judiciaire a laissé craindre un basculement vers une « crise constitutionnelle ».
Le risque d’une crise constitutionnelle
Lorsqu’un juge a retoqué l’utilisation par le gouvernement d’une loi du XVIIIe siècle pour justifier l’expulsion de migrants accusés par lui d’appartenir à un gang vénézuélien, la Maison Blanche a poursuivi ses opérations, en estimant que le juge « n’avait pas l’autorité » nécessaire. Donald Trump a ensuite qualifié le juge de « taré radical de gauche » et a demandé sa destitution. Le président de la Cour suprême, le conservateur John Roberts, est alors sorti de sa réserve en rappelant le président à l’ordre : « L’Impeachment [la procédure de destitution] n’est pas une réponse appropriée pour un désaccord concernant une décision judiciaire. »
La décision a rassuré certains observateurs sur la possibilité de la Cour suprême d’être un contre-pouvoir. « Donald Trump n’a pas rejeté l’autorité des tribunaux, mais il teste leurs limites », poursuit Jeff Schmitt. Mais la situation a donné des sueurs froides aux Démocrates et aux opposants de Donald Trump. Si le président venait à refuser d’obéir à la justice, quelles mesures pourrait-elle prendre pour l’y obliger ?
La Constitution permet au Congrès de destituer le président, ce qui est plus qu’improbable avec la majorité d’élus républicains, acquis à la cause Maga (Make America great again), ou du moins terrifiés de perdre leur électorat s’ils s’opposent au président. À l’avenir, si Donald Trump venait à décider de faire fi d’une décision de justice, il plongerait le pays dans une crise constitutionnelle, une voie inconnue, mais dont le pays n’a jamais été aussi proche.
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