Maintien de l’ordre : le danger des grenades explosives exposé à l’ONU
À l’approche de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale de l’ONU, qui aura lieu en septembre 2025, l’ONG Flagrant Déni appelle la Rapporteuse spéciale sur la torture à classer les grenades à effet de souffle françaises parmi les armes interdites.

© Maxime SIrvins
« Une spécificité française qui mutile et qui tue. » C’est ainsi que l’ONG Flagrant Déni qualifie les grenades à effet de souffle dans son rapport tout juste remis à l’ONU, le 5 mai 2025. Ce document répond à l’appel à contributions lancé par la Rapporteuse spéciale sur la torture, dans le cadre de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale, prévue en septembre à New York. Flagrant Déni y demande explicitement que ces grenades soient classées parmi les armes interdites, soulignant leur dangerosité et leur incompatibilité avec le respect des droits fondamentaux.
Il y a une surenchère dans l’utilisation de ces grenades.
L. Perrin
L’ONG s’inscrit dans une démarche engagée par la Rapporteuse spéciale lors de la 78ᵉ session, en 2023, au cours de laquelle deux listes préliminaires d’équipements à interdire ou à réglementer avaient été présentées, lesdits équipements étant susceptibles « d’être détournés à des fins de torture ». En conclusion, la Rapporteuse appelait à l’adoption de lois internationales pour qu’ils soient définitivement « interdits et retirés de la production, du commerce et de l’utilisation ». Pour Flagrant Déni, les grenades à effet de souffle doivent sans ambiguïté figurer dans cette catégorie « interdite ».
« Une létalité et une dangerosité attestées »
L’ONG dénonce l’usage par les forces de l’ordre de grenades explosives, qu’elle juge extrêmement dangereuses. Ces armes peuvent arracher des membres et causent régulièrement des blessures graves. Utilisées depuis au moins 1937, elles ont tué plusieurs personnes, comme Vital Michalon en 1977 ou Rémi Fraisse en 2014. Même des forces de l’ordre ont failli y laisser leur vie, comme un gendarme grièvement blessé au cou le 1er mai 2023 par une grenade assourdissante, ASSD.
Les grenades assourdissantes et lacrymogènes, comme l’ancienne GLI-F4 abandonnée après les gilets jaunes et remplacée par la GM2L, ont provoqué de nombreuses mutilations ces dernières années : pieds, doigts et mains arrachés ou blessures profondes dues aux éclats. Ces cas se sont multipliés lors des mobilisations des gilets jaunes aux manifestations contre les mégabassines. « Il y a une surenchère dans l’utilisation de ces grenades, explique Lionel Perrin, membre de Flagrant Déni, la seule chose à faire c’est de les interdire. »
La France pointée du doigt
Dès le début de son rapport, Flagrant Déni rappelle que la France a déjà été épinglée pour l’usage de ces armes, notamment dans les « Observations finales concernant le sixième rapport périodique de la France », publiées en 2024 par le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Ce comité, composé d’experts indépendants, surveille la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les États signataires. Ce traité garantit notamment la liberté d’expression, de réunion pacifique, et la protection contre les traitements inhumains.
Dans ce document, le Comité recommande à la France, « compte tenu du nombre important de blessures graves subies par les manifestants », de réexaminer l’opportunité d’autoriser l’usage d’armes intermédiaires lors des opérations de maintien de l’ordre, « en particulier des grenades explosives et des lanceurs de balles de défense. »
Des grenades déjà considérées comme interdites
Flagrant Déni estime que les grenades explosives devraient être classées dans la même catégorie que les grenades de désencerclement, déjà présentes en France depuis 2004. Ces dernières, en explosant, projettent violemment 18 fragments en caoutchouc à haute vitesse, avec un très fort niveau sonore. Or, les armes « contenant plusieurs projectiles à impact cinétique non métalliques » apparaissent explicitement dans la liste des biens considérés comme interdits par la Rapporteuse spéciale sur la torture.
On va se battre aussi pour qu’une résolution rende l’interdiction contraignante pour la France.
L. Perrin
D’après elle, les grenades de désencerclement utilisées depuis plus de 20 ans sont considérées comme des biens interdits étant « intrinsèquement cruels, inhumains ou dégradants ». Mais faute de lois internationales et nationales, ce classement n’est pas contraignant pour les États membres. « L’objectif premier, vu que la France est le seul pays européen à les utiliser, c’est de donner de la visibilité, lance Lionel Perrin. On va se battre aussi pour qu’une résolution rende l’interdiction contraignante pour la France. »
L’ambiguïté du gouvernement
« On a abandonné toutes les munitions qui avaient des moyens explosifs à effet brisant et maintenant, on recherche plutôt des grenades à effet sonore », a récemment expliqué la délégation française devant les experts du Comité antitorture (CAT) des Nations unies. Pourtant, la dangerosité des nouvelles grenades n’est plus à attester.
Même sans éclats, le souffle de ces grenades peut provoquer des lésions auditives, internes ou des mutilations.
Pour l’ONG Flagrant Déni, le gouvernement dissimule ainsi la « réelle dangerosité de ces armes ». Les caractéristiques techniques des anciennes GLI-F4 et des actuelles GM2L sont très proches : toutes deux produisent un effet de souffle, une onde de choc générée par l’explosion, qui projette de l’air comprimé à très haute vitesse.
Même sans éclats, ce souffle peut provoquer des lésions auditives, internes ou des mutilations. C’est d’ailleurs le ministre de l’Intérieur lui-même qui, devant le Conseil d’État en 2019, reconnaissait que la puissance de la GM2L était « quasiment similaire à celle de la GLI-F4 ». Une analyse confirmée par le syndicat Alternative Police dans un tract diffusé en 2021.
Le gouvernement a, de son côté, lancé, le 4 mai 2025, un appel d’offres pour se procurer jusqu’à 6 millions d’euros de GM2L. Un autre marché de décembre 2024, prévoit l’achat de grenades « assourdissantes et lacrymogènes » pouvant être tirées jusqu’à 400 mètres pour plus de 11 millions d’euros. Autant d’armes que la Rapporteuse spéciale sur la torture appelle à interdire.
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