Frères musulmans : le rapport de la peur
L’opération montée par Bruno Retailleau autour de l’enquête sur la confrérie révèle surtout l’état de la droite.
dans l’hebdo N° 1864 Acheter ce numéro

Signe des temps : pour se placer dans le peloton de tête des prétendants à l’Élysée pour 2027, c’est sur les terres du Rassemblement national qu’il faut braconner. Pour ça, Bruno Retailleau n’a pas à forcer sa nature. En faisant fuiter dans Le Figaro un rapport sur les Frères musulmans, le virulent ministre de l’Intérieur, et nouveau président Les Républicains, a non seulement grillé la politesse à Emmanuel Macron, mais il a pu à son aise donner du document une interprétation outrancière (1). En fait, l’opération nous en dit plus sur l’ambiance au sein de la droite que sur la « mystérieuse » confrérie. À en croire Retailleau, les Frères musulmans auraient pour objectif « de faire basculer toute la société française dans la charia ».
Le Figaro du 21 mai.
L’homme qui a affirmé que l’État de droit n’était pas un dogme, et qui est à peu près aussi réactionnaire et conservateur, version catho, que les « Frères », devrait pourtant se trouver quelques parentés transreligieuses avec eux… Le rapport, plus mesuré, préfère parler d’un projet « ultimement chariatique » (sic). Mais en vérité tous les chiffres donnés démentent une montée en puissance de l’organisation. Seuls 7 % des 2 800 lieux de culte musulmans seraient affiliés aux Musulmans de France, réputés être le faux nez de la confrérie. Et tout montre une association plutôt en perte de vitesse. Mais qu’importe ! L’idée que les Frères pratiqueraient un entrisme par le bas, dans les associations sportives, dans les conseils municipaux, excite le ministre. Qui dit mieux ? Gabriel Attal, par exemple. Le chef de file de Renaissance a immédiatement proposé que l’on interdise le voile aux jeunes filles de moins de 15 ans.
Personne, pas même Gabriel Attal, ne peut croire que la police va passer son temps à demander leurs papiers d’identité aux jeunes musulmanes. Nous en sommes là de la démagogie. Le problème, comme toujours, c’est la violence que ce discours va libérer dans la société, et les agressions dont les jeunes filles seront la cible. La démagogie est une menace autrement sérieuse pour notre démocratie que les Frères musulmans. Quant à Macron, il avait en tête une autre opération. Il flattait l’Arabie saoudite et les Émirats, en guerre idéologique contre les Frères. Et il avait son propre agenda de la peur. Il avait d’ailleurs convoqué avant la publication du rapport un « conseil de défense ». Las, quand son instance guerrière s’est réunie, le document était déjà dans Le Figaro, et son ministre riait sous cape.
C’est la thèse du grand remplacement qui ressurgit ici. On n’en finit pas de gratter l’irritation identitaire.
Le texte lui-même commence par une longue partie historique, archi connue pour ceux qui regardent depuis longtemps « l’islamisme en face », pour reprendre le titre de l’ouvrage de référence de François Burgat. Et pour les autres, Wikipédia aurait très bien fait l’affaire. Le reste n’échappe pas aux clichés habituels. La fourberie et le fameux « double discours ». Il n’y a que nos hommes politiques qui ne mentent jamais ! Enfin, les rapporteurs terminent le job par un long couplet complotiste, d’où il ressort que nous avons affaire à une « société secrète » organisée de « façon pyramidale ». On n’est pas loin d’une version arabe du Protocole des Sages de Sion, ce faux antisémite par lequel le régime tsariste colportait la menace d’un complot juif mondial.
Évidemment, on peut toujours dire que les Frères sont prosélytes. Convaincre et influencer est le lot de tous les courants idéologiques qui traversent notre société. Mais, c’est la thèse du grand remplacement qui ressurgit ici. On n’en finit pas de gratter l’irritation identitaire. Au passage, notons l’anonymisation des auteurs. Bien que tout le monde, ou presque, connaisse leurs noms, il ne faut pas le dire. Question de sécurité. L’idée sous-jacente est que les Frères auraient quelque chose à voir avec les jihadistes qui ont fait couler le sang dans notre pays. Or, ceux-là se réclament du salafisme et non des Frères musulmans. Mais, on ne serait pas complet si on n’en venait pas à Gaza.
Car le rapport cache mal une opération de diversion, nous éloignant des embarras de la droite pro-israélienne devant les images de Gaza. Pour les rapporteurs, « la montée des activités antisionistes au sein d’un certain nombre de mosquées » est inquiétante. Qu’entend-on par « antisioniste » ? Et cette mobilisation est-elle seulement le propre des Frères musulmans ? De même, le rapport trouve menaçant « la victimisation islamophobe ». On imagine que pour les rapporteurs, et la plupart de leurs sources, l’islamophobie n’existe pas. Toute cette opération de basse politique prouve hélas le contraire.
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