Ce que l’événement « PSG » nous dit
La victoire du Paris Saint-Germain en Ligue des champions ce week-end, et les célébrations qui ont suivies, ne sont pas qu’un fait sportif. C’est bien un fait de société qu’il s’agit de regarder et d’essayer de comprendre, comme tel.

© Maxime Sirvins
Peut-on parler ici de cette victoire du PSG en Ligue des champions, des célébrations qui s’ensuivirent, et peut-être, surtout, de ce qui l’a précédée ? Oui, mille fois oui. Parce que quand toute une jeunesse se met ainsi en mouvement, pour le meilleur et pour le pire, c’est un fait de société, pour ne pas dire un événement politique. Ayant été trimbalé au Parc des Princes toute mon enfance par un père ouvrier, je ne suis pas un « pisse-froid », et ne le serai jamais.
Qu’est-ce qui fait qu’une jeunesse souvent déshéritée s’enamoure pour des joueurs milliardaires ?
Le match de samedi était magnifique, et l’équipe flamboyante. Même à ce niveau de salaires et de privilèges, il y a une morale à tirer. Il y a moins d’un an, l’entraîneur Luis Enrique avait osé déclarer dans une conférence de presse que l’équipe serait plus forte sans Kylian Mbappé, la grande star qui venait de partir pour le Real Madrid. Tous les commentateurs avaient éclaté de rire. Enrique, pourtant, disait vrai. En se passant de Mbappé, de Neymar, de Messi, toutes ces mégastars qui faisaient la loi sur le terrain et dans les vestiaires, et qui pouvaient débarquer un entraîneur d’un claquement de doigts, le PSG a opté pour le collectif, pour des jeunes joueurs qui allaient courir à perdre haleine, et ne pas attendre les mains sur les hanches que la balle leur revienne. La victoire du 31 mai est celle de cette « philosophie » qui a rendu ce club sympathique.
Rien de tout cela ne doit faire oublier que le PSG, depuis son rachat par le Qatar en 2011, est une caricature d’équipe mondialisée. D’abord un investissement au service du soft power du Qatar, cet émirat « gazier » aux ressources illimitées. Une équipe composée d’un Italien, d’un Péruvien, d’un Brésilien, d’un Marocain, d’un Géorgien, d’un Espagnol et de trois Portugais. Il y avait sur le terrain au début du match deux Français. Le PSG est une équipe de mercenaires qu’un entraîneur intelligent a su faire jouer « ensemble ». Il n’empêche que c’est un défi à la morale sportive. Le budget du club est de 866 millions d’euros. Celui de l’Angers SCO est huit fois inférieur. On a beau dire qu’un match se joue sur le terrain… ces écarts rendent le PSG pratiquement invincible dans le championnat français (la Ligue 1).
On en vient à cette question : qu’est-ce qui fait qu’une jeunesse souvent déshéritée s’enamoure pour des joueurs milliardaires ? Sans doute qu’ils viennent presque tous du même milieu qu’eux. Les joueurs français sont issus des banlieues. Il n’y a pas d’héritiers dans cette équipe-là. Il y a un côté conte de fées dans leur réussite. Un terrible miroir aux alouettes aussi qui égarera tant de jeunes talentueux mais jetés sans ménagement à la première blessure, ou à la première baisse de régime. Mais qu’importe ! On aime ces joueurs.
Il n’y a pas d’héritiers dans cette équipe-là. Il y a un côté conte de fées dans leur réussite.
Et nous voilà enfin devant la question la plus délicate : pourquoi cette liesse, cette folie, ce tribalisme, et cette violence mal contenue ? Nous sommes là en politique. Quelle compensation, et quelles frustrations, les manifestations de l’après-match traduisent-elles ? La « récréation » qui nous fait oublier l’espace de quelques heures les horreurs du monde, Gaza, l’Ukraine, le Soudan, la noyade des migrants, les injustices sociales, et le racisme, surtout le racisme. C’est le grand paradoxe. Comment se venger des injustices sociales en se perdant d’admiration pour des petits milliardaires de 25 ans ?
Mais il n’y a pas que ça. Il y a la colère et une violence mal contenue. Une sorte de manifestation inconsciente dans un moment libératoire. Beaucoup de confusions, donc. Même si rien n’autorise à mélanger les supporters à ceux qui s’agrègent à eux ensuite. La France avait connu un précédent, avec la victoire en Coupe du monde, en 1998. La morale « Black-Blanc-Beur » était venue à la rescousse pour donner une cohérence positive aux débordements de l’après-match. Cette cohérence est plus difficile à trouver avec le PSG qatari.
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