Retraites : avant de censurer, les socialistes à la recherche éternelle de l’équilibre
Alors que le conclave touche à sa fin, les roses sortent peu à peu d’une logique de non-censure. François Bayrou se retrouve menacé mais les socialistes ne veulent surtout pas être perçus comme les agents du chaos politique.

© Lily Chavance
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Retrouver le temps : l’âge de la retraite, marqueur de la gauche Conclave sur les retraites : le piège se referme sur les syndicats « La mobilisation pour les retraites n’a pas bouleversé la donne syndicale »Bientôt, l’heure de vérité. Enfin. La négociation consacrée aux retraites, le fameux « conclave », selon le terme consacré par le premier ministre François Bayrou, devrait s’achever le 17 juin. Et pour le moment, aucun accord ne semble se dessiner entre les syndicats et le patronat même si le locataire de Matignon veut bien faire croire le contraire. « Je crois qu’il existe un chemin », considère le centriste le 12 juin, en marge d’un déplacement au salon VivaTech.
Le premier ministre le sait peut-être : son destin est intimement lié aux résultats de ce conclave. Car les socialistes n’ont pas censuré Bayrou au nom de la sacro-sainte « responsabilité » en échange du lancement, entre autres, d’une « conférence sociale » sur les retraites. Depuis les roses martèlent que l’Assemblée nationale doit absolument être saisie après l’accord, si accord il y a, entre les syndicats et le patronat. Ce n’est pas vraiment la ligne du gouvernement qui parie plutôt sur un non-accord, ce qui maintiendrait la réforme Borne de 2023 et l’âge de départ à 64 ans.
La gauche n’est vraiment pas emballée par ce second scénario. Alors que la Chambre basse a voté le 5 juin une proposition de résolution qui « affirme l’impérieuse nécessité d’aboutir à l’abrogation des mesures les plus régressives » (à savoir, le recul de l’âge de départ et l’augmentation de la durée de cotisation), un texte porté par les communistes lors de leur « niche » parlementaire, la séquence peut être favorable au Nouveau Front populaire (NFP).
« Nous avons dit au gouvernement, je l’ai dit à la ministre (Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail, N.D.L.R.), que suite à cette résolution, il nous semble que le gouvernement n’a que deux possibilités : soit l’abrogation de cette réforme, soit le président de la République convoque un référendum, expose Stéphane Peu, le patron du groupe communiste. En dehors de ces deux options que nous mettons sur la table, il y aura des suites qui seront données par notre groupe. » L’art d’entretenir le flou. Et de faire monter la pression.
Ne rien bousculer
Si les insoumis et les écologistes partagent la même réflexion – ils pensent qu’il faut instamment censurer Bayrou –, les socialistes ne sont pas vraiment sur la même ligne. « On veut continuer à chercher quelles sont les hypothèses, on ne veut pas s’arrêter là. On va essayer de pousser le gouvernement, estimait une députée de la commission des affaires sociales en mars. L’idée est qu’on maintienne ce dialogue. »
Ce conclave n’est pas parfait mais ça a le mérite d’exister.
S. Runel
Les socialistes n’ont jamais été naïfs, ils ont reconnu très tôt que ce conclave n’était rien d’autre qu’une petite manœuvre politicienne, un objet aux contours imprécis et à l’objectif inconnu. Mais leur ligne, bien que très timide, a toujours été claire : ils ne veulent pas bousculer ce dialogue entre les syndicats et le patronat à coups de grandes annonces politiques contrairement à François Bayrou. Le premier ministre n’a jamais hésité à partager ses préconisations, il s’est par exemple opposé en mars à la possibilité d’un retour à un âge légal de départ à 62 ans.
« Depuis le début, les déclarations du gouvernement sous-entendent que ce qui sortira de ce conclave ne sera pas forcément soutenu. On verra bien ce qu’il en est, analyse la députée rose Sandrine Runel. Ce conclave, ce n’était pas le premier choix du gouvernement, on lui a tordu le bras. Ce n’est pas parfait mais ça a le mérite d’exister. Donc nous disons : “Laissons le conclave aller au bout, laissons les organisations travailler, laissons-les proposer quelque chose avec un accord, pas d’accord du tout ou un accord a minima précisant des points de convergence”. »
Responsabilité
Mais surtout, les troupes socialistes ne veulent pas être perçues comme les agents du chaos, ces députés qui pousseraient Emmanuel Macron à dissoudre une nouvelle fois et à précipiter l’arrivée du Rassemblement national (RN) au pouvoir. Les roses ne sont pas des révolutionnaires.
« Est-ce que le vote d’une motion de censure est le seul moyen pour s’opposer ? Est-ce qu’à chaque fois, on doit utiliser la bombe atomique ? Bien sûr, il existe une impulsion première : les foutre en l’air. Censurer, c’est une position facile, ça fait plaisir aux militants… Mais on est dans une situation compliquée : on est dans une opposition responsable, développait un cadre du groupe il y a quelques semaines. Ce conclave ne suffit pas, c’est vrai. Mais il faut penser au jour d’après : si on censure, on se retrouve avec Retailleau à Matignon car on sait très bien qu’Emmanuel Macron regardera d’abord vers là. »
Certains espéraient que le Medef allait, sous la pression, céder, notamment sur l’âge de départ. Hors de question pour Patrick Martin et les siens. Désormais, les roses, en voyant la perspective d’un accord qui n’irait pas du tout dans leur sens, haussent un peu le ton. « Nous n’avons pas passé de pacte de non-censure avec le gouvernement. Nous avons eu la volonté d’arracher des concessions pour éviter le pire sur le budget 2025. Mais ce serait absurde de dire que nous ne censurerons plus », affirme Olivier Faure, le premier secrétaire du parti récemment réélu, dans Libération.
Les masques vont tomber : on a laissé une chance à ce dialogue pour que les partenaires sociaux se positionnent sur cette mauvaise réforme.
B. Bellay
« Les masques vont tomber : on a laissé une chance à ce dialogue pour que les partenaires sociaux se positionnent sur cette mauvaise réforme rejetée par sept Français sur dix, explique la députée Béatrice Bellay. Si le gouvernement maintient le statu quo cela n’apporte aucune réponse à la population. C’est un motif de censure. Nous n’avons pas le droit de laisser les Français sans réponse. »
Menace
La politique a horreur du vide. Et la droite le sait très bien. L’ex-premier ministre Édouard Philippe, le garde des Sceaux Gérald Darmanin et le « premier flic de France » Bruno Retailleau se sont récemment déclarés en faveur d’un système de retraites par capitalisation. Une logique mettant fin au financement par répartition. De son côté, Eric Ciotti, président de la petite chapelle alliée à Marine Le Pen, l’Union des droites pour la République (UDR), défend aussi une part obligatoire de capitalisation.
Il faut que Bayrou comprenne que c’est au Parlement de décider de ces sujets.
S. Runel
Quant au RN, les marinistes ont lancé une « réflexion interne » sur la règle des 3 % de déficit public imposé par l’Union européenne et le système par capitalisation, critiqué par Jordan Bardella mais défendu par certains comme Thomas Ménagé et des conseillers de la triple candidate à la présidentielle. Devant ce déplacement idéologique ultralibéral, les socialistes n’auraient-ils pas tout intérêt à changer de braquet ?
En attendant, le groupe socialiste est la force pivot de l’Assemblée. Car la base militante du RN, favorable à la censure, pourrait pousser les troupes de Le Pen à appuyer sur le bouton nucléaire. Mais le parti au poing et à la rose ne veut pas se précipiter. Aujourd’hui, il espère surtout que le Parlement ne sera pas une nouvelle fois dessaisi de ce sujet.
« On va attendre les résultats du conclave, on regardera ce qu’il en sort. Deux options se présenteront à nous : soit l’accord ou la proposition qui en ressort nous convient et satisfait les syndicats, soit aucun accord n’est trouvé, et le premier ministre maintient la réforme Borne ou s’aligne avec certaines options du Conseil d’orientation des retraites », expose Sandrine Runel. Le dernier rapport du COR publié le 12 juin présente notamment une option de recul de l’âge de départ à 64,3 ans en 2030 ; 65,9 ans en 2045 et 66,5 en 2070.
Mais elle prévient : « Il faut que Bayrou comprenne que c’est au Parlement de décider de ces sujets. Si on sent qu’on n’est pas entendus, méprisés, que le travail réalisé par les partenaires sociaux n’est pas pris en compte, on déposera une motion de censure. À un moment donné, il faut arrêter le massacre. Mais on ne veut pas interférer dans leur travail, le conclave doit travailler dans la sérénité, en toute indépendance. » Les menaces seront-elles mises à exécution ?
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