Retrouver le temps : l’âge de la retraite, marqueur de la gauche

La conquête du temps libre, notamment grâce à la retraite, et en refusant d’augmenter l’âge de départ légal, définit ce que signifie être de gauche dans notre pays. Au crépuscule du conclave sur les retraites, partis et syndicats feraient bien de s’en rappeler.

Catherine Tricot  • 13 juin 2025
Partager :
Retrouver le temps : l’âge de la retraite, marqueur de la gauche
Manifestation contre la réforme des retraites le 7 février 2023, à Paris.
© Lily Chavance.

Qu’est-ce qu’être de gauche ? Cette question bien générale et théorique pourrait ne pas avoir beaucoup d’intérêt. En fait, elle est ravivée par les divisions à gauche et il n’est que de lire les commentaires sous les articles et les vidéos pour mesurer qu’elle en agite plus d’un. Peut-on dire sommairement qu’être de gauche, c’est vouloir l’égalité et élargir les libertés ? Concrètement ces enjeux se nouent, et depuis longtemps, autour de la conquête du temps libre – et notamment celui de la retraite. Plus précisément, ils se cristallisent autour de l’âge légal de départ à la retraite. Rien à faire, dans notre histoire française, on ne peut pas être de gauche et vouloir – ni même accepter – un recul de cet âge.

Celui qui oublie que la retraite est la promesse de liberté et de sécurité n’a pas sa place à gauche.

F. Mitterand

Nul ne niera que la question des retraites engage de nombreux autres sujets : son mode de financement, son pilotage, le mode de calcul des droits, les mesures compensatoires pour les femmes, ceux qui ont commencé tôt, ceux qui font des métiers pénibles, les éventuelles décotes, etc. Tout cela est vrai, oui mais… à quel âge peut-on partir ?

Sur le même sujet : La gauche et la paresse

Le premier mandat de François Mitterrand, celui de la gauche unie au pouvoir, s’inscrit presque entièrement dans les mémoires avec l’abolition de la peine de mort et la retraite à 60 ans. Pour paraphraser ce président à la rose affirmons que « celui qui oublie que la retraite est la promesse de liberté et de sécurité n’a pas sa place à gauche  ».

Un marqueur politique et syndical

Et l’enjeu dépasse nettement la gauche. Il est aussi devenu un marqueur syndical. La CFDT a bien failli ne pas se remettre de son soutien apporté, en 1995, à la réforme Juppé qui s’en prenait aux retraites. C’est bien sur ce combat qui, il y a deux ans, unifia les syndicats comme très rarement dans l’histoire française. Ajoutons qu’on souhaite bien du courage aux candidats qui viendront à la présidentielle prochaine promettre un nouveau recul de cet âge légal. Et on anticipe bien du plaisir aux socialistes tant qu’ils ne reviendront pas de façon critique sur la réforme Touraine qui réussit à faire avaler un tel report.

La CFDT a bien failli ne pas se remettre de son soutien apporté, en 1995, à la réforme Juppé qui s’en prenait aux retraites.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que la retraite est, en France, LE marqueur politique. La politique n’est pas faite que de symboles ; mais elle n’est qu’administration des choses si elle les néglige. Elle a pour tâche laïque et concrète de réaliser la haute promesse, celle du poète ou du prophète : le temps retrouvé.

Sur le même sujet : Sandrine Rousseau : « La paresse est subversive »

Alors que s’achève le conclave créé par le nouveau Premier ministre, François Bayrou, pour parfaire sa légende d’homme de dialogue et pour acheter la non-censure de son gouvernement par les socialistes, le sujet redevient brûlant. Les syndicats restés à la table de négociations abandonneront-ils cette promesse que nous nous sommes faite et échangeront-ils les 62 ans contre des avancées partielles ? Les socialistes n’ont plus aucune raison de douter de l’orientation très inégalitaire et très complaisante avec les idées de droite de Bayrou et son gouvernement. Alors, quand va revenir le sujet de la retraite, il va leur être posé cette question : tiendrez-vous, vous aussi, votre part de notre promesse collective ? Nous l’attendons ; nous l’espérons.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Publié dans
Parti pris et Travail

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Netanyahou et la stratégie de la guerre généralisée
Parti pris 13 juin 2025

Netanyahou et la stratégie de la guerre généralisée

Le premier ministre israélien, dans une fuite en avant militariste, pousse le Moyen-Orient vers un cataclysme dont personne ne sortirait indemne. Les voix doivent s’élever pour tirer la sonnette d’alarme.
Par Pierre Jacquemain
Conclave sur les retraites : le piège se referme sur les syndicats
Analyse 13 juin 2025

Conclave sur les retraites : le piège se referme sur les syndicats

La date fatidique approche. Le 17 juin, on devrait savoir si le conclave sur les retraites aboutit, ou non, sur un accord entre partenaires sociaux. Ce qui est déjà certain, c’est qu’il n’y aura aucun changement sur le très controversé âge de départ. Comme attendu, le piège du conclave se referme sur les organisations syndicales.
Par Pierre Jequier-Zalc
« La mobilisation pour les retraites n’a pas bouleversé la donne syndicale »
La Midinale 13 juin 2025

« La mobilisation pour les retraites n’a pas bouleversé la donne syndicale »

Pierre Rouxel, enseignant-chercheur en sciences politiques, co-auteur de Decathlon ou les tactiques de la vertu aux Presses de Sciences Po, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Taxe Zucman : une évidence qui commence enfin à s’imposer
Parti pris 12 juin 2025

Taxe Zucman : une évidence qui commence enfin à s’imposer

Depuis la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), imposer les ultrariches était tombé aux oubliettes. Mais, face à la croissance exponentielle de leur patrimoine, à l’augmentation des inégalités, et à la crise des recettes de l’État, le sujet revient (enfin) sur la table.
Par Pierre Jequier-Zalc