Loi Duplomb : la FNSEA contre la société

Ce 8 juillet, les parlementaires doivent voter la proposition de loi du sénateur de droite proche de la FNSEA contenant de nombreux reculs écologiques et sanitaires. Ces derniers jours, les oppositions à ce texte ont fleuri de partout, témoignant d’une mobilisation massive et éclectique.

Pierre Jequier-Zalc  • 8 juillet 2025
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Loi Duplomb : la FNSEA contre la société
Action menée le 27 juin 2025 contre l'usine Phyteurop, dans le Maine-et-Loire.
© Maxime Sirvins

Mise à jour le 9 juillet 2025

L’Assemblée nationale a définitivement adopté, hier, mardi 8 juillet, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », déposée au Sénat par Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (UDI). Les députés ont voté, à 316 voix pour et 223 voix contre. Une victoire pour la FNSEA, une défaite pour les opposants nombreux à ce texte : scientifiques, écologistes, associations de lutte contre le cancer, apiculteurs…


Première publication le 8 juillet 2025

D’une colère l’autre. Fin 2023, les agriculteurs déclenchaient un mouvement social d’envergure, dont les images, impressionnantes, avaient marqué les esprits. Du fumier devant les préfectures. Des autoroutes bloquées pendant plusieurs jours.

Ce mardi, de nombreux agriculteurs et paysans seront aussi présents, à Paris, pour lutter contre une proposition de loi (PPL) qui, sur le papier, est censée répondre à la colère précitée. Celle-ci, portée par le sénateur de droite Laurent Duplomb vise, selon les termes choisis par le parlementaire, à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ».

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Sauf que, dans les faits, ce texte ne contient aucune avancée sociale – notamment concernant le revenu, revendication majeure du monde agricole – mais beaucoup de reculs écologiques et sanitaires. Il correspond à une vision intensive et productiviste de l’agriculture, portée notamment par la FNSEA. Déposée dans l’anonymat, courant novembre, cette proposition de loi a bénéficié d’un lobbying intense du syndicat agricole majoritaire pour arriver, ce mardi, devant les parlementaires.

Levée de boucliers

Pis, l’Assemblée nationale n’a, jusqu’ici, même pas pu débattre du fond, du fait d’une manœuvre bureaucratique visant à rejeter directement le texte pour le faire adopter dans le secret d’une commission mixte paritaire (CMP) très favorable à la droite. Mais cette tentative de contourner le débat parlementaire n’empêche pas, ces derniers jours, une opposition intense et plurielle contre le texte.

La loi Duplomb, un recul inacceptable de la protection sanitaire de nos concitoyennes et concitoyens.

En tête, les scientifiques. Ces derniers, à qui on reproche parfois leur frilosité politique, n’ont, cette fois, pas fait dans la demi-mesure. Symbole, aussi, d’un texte particulièrement virulent à l’égard des sciences. Dans plusieurs tribunes, dont une lettre ouverte signée par plus de 1 200 chercheurs et médecins, ceux-ci ont redoublé d’efforts pour dénoncer une proposition de loi qui « sacrifie la santé et en premier lieu celle des agriculteurs au profit de l’industrie agrochimique ».

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Les noms ne sont pas forcément connus du grand public mais les personnalités sont éminentes dans le monde de la recherche. Sans exhaustivité, le président du conseil scientifique du CNRS, la présidente de la Société française de pédiatrie, ou encore du président de la Société française du cancer. « Le principe démocratique voudrait que la décision politique s’appuie sur ces données scientifiques. La proposition de loi Duplomb fait exactement l’inverse, en organisant un recul inacceptable de la protection sanitaire de nos concitoyennes et concitoyens », écrivent ces derniers dans Le Monde.

C’est d’ailleurs là un point essentiel qui permet d’expliquer la levée de boucliers des chercheurs et chercheuses à l’égard de la « PPL Duplomb ». Celle-ci, en prétextant défendre les agriculteurs, fait fi d’années de recherches scientifiques sur les impacts des pesticides sur la santé humaine, mais, même plus largement, sur la biodiversité.

On observe des positionnements de plus en plus massifs de scientifiques qui, habituellement, ne prennent jamais ou rarement la parole.

M. Caillard

Comme la réautorisation d’insecticides de la famille des néonicotinoïdes. « Ces agents neurotoxiques, que l’on retrouve désormais dans l’eau de pluie, ont des effets sur le cerveau de nos enfants : deux études ont montré une corrélation entre l’exposition in utero et la diminution du quotient intellectuel. Que faudrait-il de pire pour que le législateur ouvre les yeux ? », s’alarment les chercheurs qui dénoncent une invisibilisation de leur travail dans les prises de décisions politiques. « Allons-nous continuer à répéter les erreurs du passé, responsables de scandales sanitaires majeurs comme ceux de l’amiante, ou du chlordécone dans les bananeraies antillaises ? »

« L’autel du court-termisme »

Encore plus notable, la Ligue contre le cancer est également montée au créneau pour dénoncer une loi qui « sacrifie le principe de précaution, […] sur l’autel du court-termisme ». « On observe des positionnements de plus en plus massifs de scientifiques qui, habituellement, ne prennent jamais ou rarement la parole », se félicite Mathilde Caillard, activiste et influenceuse plus connue sous le nom de MC danse pour le climat.

« Même la ligue contre le cancer a pris position contre cette loi ! », s’exclame le porte-parole de l’association Avenir Santé Environnement, Franck Rinchet-Girollet. Ce père d’un enfant touché par un cancer dans une région où les risques d’avoir un cancer à moins de 24 ans sont multipliés par 4,5 est également vent debout contre ce texte « aberrant »

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Car outre les scientifiques, les victimes des pesticides – et les familles de victimes – se mobilisent aussi largement contre cette loi. Comme Fleur Breteau, à l’origine du collectif Cancer Colère qui, dans une interview publiée sur Reporterre, interpelle directement les parlementaires : « Serez-vous l’allié du cancer ? Votre vote parlera pour vous. »

Ça ne répond en rien aux colères paysannes, notamment sur les revenus.

F. Métrat

Plusieurs victimes atteintes de cancer seront dans la tribune de l’Assemblée nationale, ce mardi, pour assister au vote. Une manière de mettre la pression sur les députés. « Il y en a marre qu’on décide de l’avenir de la santé des gens à notre place », souligne Franck Rinchet-Girollet. Avec son association, il a organisé, le 29 juin, une manifestation avec plus de 1 000 personnes à La Rochelle contre la proposition de loi Duplomb.

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Dans le public du Palais Bourbon, ce mardi, il devrait aussi avoir des agriculteurs. Preuve que, malgré les dires des défenseurs du texte, celui-ci est bien contesté au sein même de la profession. « La FNSEA fait croire à l’ensemble de la société que c’est la solution pour résoudre les problèmes des agriculteurs alors que ça ne répond en rien aux colères paysannes, notamment sur les revenus », expliquait, la semaine passée dans nos colonnes, Fanny Métrat, une porte-parole de la Confédération paysanne, éleveuse de brebis et productrice de châtaignes en Ardèche. Lors du passage en CMP, près de 500 paysans venus des quatre coins de l’hexagone se sont rassemblés devant le Sénat en signe de protestation.

Interpellations

Manifestations, tribunes, et, aussi, interpellations. Depuis plusieurs jours, de nombreux influenceurs « écolos » ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux visant à interpeller les parlementaires. L’idée est simple : « Pour gagner, on a besoin des voix de la gauche plus 100 voix du bloc central. Donc on a ciblé 150 parlementaires du bloc central qu’on pense indécis et chaque influenceur va interpeller, avec sa communauté, cinq députés de cette cible », explique MC Danse pour le climat. Sur TikTok et Instagram, les pastilles vidéos s’enchaînent ces derniers jours pour dénoncer la PPL Duplomb.

Outre les influenceurs, ONG, collectifs de victimes de pesticides, etc, ont également interpellé les parlementaires, envoyant des courriers à ceux considérés comme « indécis ». Dans une Assemblée nationale divisée, chaque voix compte désormais et ces stratégies d’interpellation nominative peuvent s’avérer efficaces. Même de nombreuses mutuelles y sont allées de leur courrier aux députés.

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« Le texte prévoit la possibilité d’usage de l’acétamipride et de deux autres insecticides néonicotinoïdes, le sulfoxaflor et le flupyradifurone. Au vu de la menace qui pèse aujourd’hui sur la faune entomologique, avec des disparitions constatées par endroits de 80 % des insectes, cette décision est irresponsable quelles qu’en soient les justifications économiques », écrivent les mutualistes dans une lettre ouverte.

La liste d’opposants à cette proposition de loi s’est donc allongée au fil des jours. Au point que la pression est, ce mardi, sur les épaules des parlementaires. Le choix, finalement est assez simple : voter pour la FNSEA et ses intérêts économiques propres. Ou rejeter un texte contesté par une frange très large de la société, au nom de la santé publique et de la défense de l’environnement.

37 % des amendements déposés par les parlementaires hors-NFP étaient des demandes directes de la FNSEA.

Dans une enquête exclusive réalisée avec l’association Data for Good, Politis avait révélé que, lors du premier passage à l’Assemblée (finalement entravé), 37 % des amendements déposés par les parlementaires hors-NFP étaient des demandes directes du puissant syndicat agricole. Preuve d’une influence majeure de ce lobby en puissance. Un mois et demi plus tard, la force d’une mobilisation importante et plurielle aura-t-elle changé la donne ?

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Mise à jour • 9 juillet 2025

L’Assemblée nationale a définitivement adopté, hier, mardi 8 juillet, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », déposée au Sénat par Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (UDI). Les députés ont voté, à 316 voix pour et 223 voix contre. Une victoire pour la FNSEA, une défaite pour les opposants nombreux à ce texte : scientifiques, écologistes, associations de lutte contre le cancer, apiculteurs…

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