Audiovisuel public : malgré les audiences, une volonté de reprendre la main politiquement

Pour tenter de justifier sa réforme de l’audiovisuel public, Rachida Dati met en avant sa volonté de le « rendre plus fort » et d’en diversifier les publics. Un prétexte pour une mainmise pure et simple.

Pierre Jequier-Zalc  • 4 juillet 2025
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Audiovisuel public : malgré les audiences, une volonté de reprendre la main politiquement
Manifestation pour protester contre le projet de réforme de l'audiovisuel public, à Paris, le 30 juin 2025.
© JULIEN DE ROSA / AFP

Les prémices d’une privatisation ? Une reprise en main politique ? Bigre, arrêtez de crier au loup. Rachida Dati l’a bien expliqué : sa réforme est simplement un moyen de « rendre l’audiovisuel public plus fort » (sic). Bon, on aura essayé. Mais l’écrire ne rend pas l’argumentaire plus convaincant. Enfin, plutôt l’élément de langage. Parce que depuis que Rachida Dati s’est lancée dans sa croisade politique pour soutenir la proposition de loi d’un sénateur UDI (Union des démocrates et des indépendants) sur la gouvernance de l’audiovisuel public, on peine à comprendre les arguments objectifs portés par la ministre de la Culture.

Un rapport commandé sur mesure à l’ancienne directrice des antennes et de la stratégie éditoriale de Radio France, Laurence Bloch, lui a tout de même apporté quelques arguments : « Près de 62 % des Français s’informent avant tout par les réseaux sociaux » ; « l’audiovisuel public voit ses audiences vieillir » ; « les [catégories socioprofessionnelles] CSP- sont moins représentées parmi les auditeurs de Radio France et les téléspectateurs de France Télévisions ».

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Ces constats sont indiscutables. Mais il pourrait s’appliquer à la quasi-totalité de l’audiovisuel, privé comme public. Surtout, ils évitent un sujet majeur mais que la ministre n’aborde que très peu, voire pas du tout. Dans un marasme médiatique assez généralisé, les audiences du service public de l’info sont, globalement, très bonnes. Excellentes, pourrait-on dire.

Record historique

En vrac. France Inter, en janvier dernier, a battu un record historique. Avec 7,47 millions d’auditeurs (+542 000 en un an) – soit une audience cumulée de 13,3 % –, la première radio de France a établi un nouveau record d’audience en radio depuis la création de la mesure Médiamétrie en 2002. Franceinfo, elle, vient toujours plus titiller RTL à la seconde place des fréquences les plus écoutées dans le pays.

Sur le petit écran, même constat. Le groupe France TV – qui regroupe l’ensemble des chaînes du service public – est le premier groupe de télévision au niveau national avec 29,1 % de part d’audience. Surtout, le groupe est celui qui connaît la plus forte progression sur l’année en comparaison de ces quatre concurrents (TF1, M6, RMC/BFM et Canal +). Le maillage territorial de l’audiovisuel public aussi est un atout dont peu – si ce n’est aucun – grands groupes audiovisuels ne peuvent se prévaloir. La stratégie d’augmenter le temps des JT régionaux de France 3 a d’ailleurs permis de voir les audiences de ces éditions également grimper.

Se parer de vertu pour balayer l’argument d’une reprise en main politique ne tient pas la route.

Comment, alors, expliquer rationnellement ce projet de holding, vouée à rassembler France Télévisions, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) sous la même bannière et, surtout, sous la même gouvernance ? Se parer de vertu pour balayer l’argument d’une reprise en main politique ne tient pas la route.

Surtout que ces derniers mois, déjà, plusieurs évènements et décisions interrogent sur une volonté de reprendre la main sur l’audiovisuel public. Le dernier en date, par exemple, est cette double annonce de la direction de Radio France concernant la grille de France Inter pour la saison prochaine.

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À la rentrée, l’émission quotidienne phare sur l’écologie La Terre au carrée sera amputée d’une dizaine de minutes. Et les chroniques des activistes Cyril Dion, Féris Barkat, ou encore Claire Nouvian vont disparaître, comme celles de nos confrères et consœurs de Reporterre, Vert, Libération ainsi qu’Epsiloon.

Problème d’audience ? Pas vraiment. Avec 900 000 auditeurs et auditrices quotidiens, l’émission a amélioré ses scores par rapport à l’an passé. Pis, certaines chroniques, à l’instar de celle de Féris Barkat, cartonnent sur les réseaux sociaux, cumulant plusieurs millions de vues. « Près de 62 % des Français s’informent avant tout par les réseaux sociaux », expliquait pourtant le rapport de Laurence Bloch. On ne comprend plus rien. « Nous avons fait le choix de recentrer l’émission sur le grand récit », tente de justifier la direction de France Inter à Reporterre.

« Un affaiblissement clair de l’investigation »

Un choix qui ne peut que rappeler la manière dont l’émission de Charline Vanhoenacker, véritable carton d’audience, a été d’abord écartée de la grille quotidienne, cantonnée au dimanche soir. Puis définitivement rayée suite au licenciement de Guillaume Meurice. « Je pense que ça correspond à un agenda politique. Beaucoup de gens veulent privatiser le service public audiovisuel », confiait, à l’époque dans nos colonnes, l’humoriste. Résultat, l’émission de la bande reformée – sans Charline Vanhoenacker – sur les ondes de Nova connaît d’excellents résultats, notamment en podcast et sur les réseaux sociaux.

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L’humour, les voix dissidentes et… l’investigation. L’émission hebdomadaire d’investigation du service public radiophonique Secrets d’info va devenir, dès la rentrée prochaine, mensuelle. Cette « décision ne saurait être considérée comme un simple ajustement de grille. Ce changement constitue un affaiblissement clair de la seule émission dinvestigation du service public de la radio », s’indigne l’équipe de la cellule investigation de Radio France dans une lettre ouverte.

Ne criez pas au loup. Il est déjà dans la bergerie.

Autant de décisions qui s’attaquent aux fondamentaux d’un média démocratique, et, surtout, indépendant du pouvoir exécutif. Comment, alors, ne pas s’inquiéter vis-à-vis de ce projet sans justification éditoriale ou, même, économique ? L’objectif est politique, c’est certain. Et placer l’ensemble des entités du service public de l’info dans les mains d’une seule et même personne – « un président-directeur général unique » (sic) – permettrait au pouvoir de reprendre indéniablement le contrôle. Le tout, à l’heure d’une concentration accrue des médias entre les mains de quelques milliardaires. Ne criez pas au loup. Il est déjà dans la bergerie.

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Société
Publié dans le dossier
Mainmise sur l'audiovisuel public
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