Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.

Maxime Sirvins  • 9 juillet 2025 abonné·es
Droit international : quand règne la loi du plus fort
Des croix sont affichées sur le mur qui sépare les États-Unis du Mexique, à Tijuana.
© OMAR TORRES / AFP

Du Cachemire au Sahara occidental en passant par la crise migratoire, les exemples où le droit international apparaît vidé de sa substance ne manquent pas. Il existe, dans des déclarations solennelles et des résolutions non contraignantes. Mais sur le terrain, dans les conflits, aux frontières, dans les mers disputées, c’est malheureusement la loi du plus fort qui règne en maître. Ces zones grises où le droit est bafoué, contourné ou tout simplement ignoré se comptent aujourd’hui par dizaines. Ci-après, quelques exemples emblématiques, hélas, non exhaustifs.

L’autodétermination enterrée au Sahara occidental

Le Sahara occidental est peut-être l’un des cas les plus emblématiques de cette impuissance. Ancienne colonie espagnole, ce territoire est toujours classé par l’ONU comme « non autonome » depuis 1963. Le seul en Afrique. Un référendum d’autodétermination devait s’y tenir dès 1991. Il n’a jamais eu lieu malgré une mission de l’ONU sur place depuis plus de trente ans.

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Le Maroc y impose progressivement sa souveraineté de facto, en construisant un mur, en installant des colons et en obtenant des soutiens diplomatiques clés. Washington y a même reconnu la souveraineté marocaine en 2020, sans retour en arrière depuis. « La France considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », a affirmé de son côté Emmanuel Macron, en juillet 2024.

Au Cachemire, quatre-vingts ans de tensions

Le Cachemire reste, lui aussi, l’un des plus anciens dossiers de l’ONU. En 1947, après la partition de l’empire colonial britannique, une première guerre entre l’Inde et le Pakistan éclate. L’ONU adopte dès 1948 plusieurs résolutions prévoyant un cessez-le-feu suivi d’un référendum d’autodétermination qui n’a jamais eu lieu. Depuis, le territoire est divisé entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. En 2023, New Delhi valide définitivement l’abrogation de la semi-autonomie du Cachemire, en violation des engagements historiques.

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En avril 2025, une attaque meurtrière relance les tensions : l’Inde et le Pakistan se bombardent pendant plusieurs jours. Le conflit, gelé sur le papier, s’envenime sur le terrain encore une fois, sous l’œil passif de l’ONU, incapable de faire appliquer ses propres résolutions. Le droit, ici, n’est plus qu’un souvenir diplomatique.

Un peuple effacé au Tibet

Dans la continuité, en Chine, le Tibet est sous contrôle direct de Pékin depuis plus de soixante-dix ans. Annexée en 1951, la région est depuis soumise à un contrôle politique et militaire étroit. En 1959, après un soulèvement populaire violemment réprimé, le dalaï-lama fuit en Inde. L’ONU a dénoncé à plusieurs reprises la répression des droits culturels et religieux, sans toutefois adopter de résolution contraignante.

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Le Tibet actuel est reconnu internationalement comme faisant partie de la Chine et n’est pas répertorié dans la liste des pays et territoires à décoloniser de l’ONU. Aucun pays n’a reconnu le gouvernement tibétain en exil. L’autodétermination, pourtant principe fondamental des Nations unies, est ainsi réduite au silence. Le Tibet est aujourd’hui exclu du droit international sous l’effet de la force, du silence diplomatique et de la puissance économique chinoise.

La Syrie entre Israël et la Turquie

Au Moyen-Orient, la Syrie reste un condensé des défaillances du droit international. Sur son sol, la Turquie mène régulièrement des opérations militaires contre les forces kurdes, pourtant alliées des Occidentaux contre Daech. Israël, de son côté, frappe régulièrement le pays sans déclaration de guerre ni mandat onusien. Occupé par Israël depuis la guerre des Six-Jours en 1967, le plateau du Golan est un territoire syrien que Tel-Aviv a ­unilatéralement annexé en 1981. L’ONU juge aujourd’hui le plateau du Golan comme étant un « territoire occupé ». Pourtant, Israël y renforce son emprise.

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Depuis 2024, profitant du chaos politique en Syrie, l’armée israélienne a étendu ses opérations au-delà de la zone de désengagement supervisée par l’ONU. En mars 2025, Israël a autorisé l’entrée de travailleurs syriens druzes depuis la partie occupée, consolidant sa présence civile. Mais le droit international est clair : un territoire conquis par la force demeure occupé. Le silence diplomatique et l’absence de sanctions valident de fait un statu quo illégal, où, encore une fois, la force redéfinit les frontières.

Pékin grignote la mer de Chine

Même dans les domaines régis par des traités contraignants, le droit s’oublie, comme en mer de Chine méridionale. En 2016, un tribunal arbitral international saisi par les Philippines a invalidé les prétentions de la Chine. Les revendications maritimes de Pékin ne tiennent pas face au droit de la mer. Mais Pékin n’a que faire de la décision et a intensifié ses actions : construction d’îles artificielles, implantations de bases militaires, déploiement de sa garde côtière et harcèlement des navires philippins.

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En 2016, en dépit de la décision de la Cour de justice internationale, les tensions sont croissantes dans la région. Régulièrement, la Chine attaque au canon à eau ou percute des embarcations philippines. Aucune instance internationale ne l’en empêche, alors que des exercices militaires chinois ou américains dans ces eaux montrent que la force l’emporte toujours.

Migrants et droits humains ?

C’est aussi sur la question migratoire que le silence juridique est présent. La Convention de Genève garantit le droit d’asile, interdit les refoulements, impose un accueil digne des personnes fuyant persécutions et conflits. Pourtant, en Méditerranée, les renvois illégaux de migrants sont devenus une politique assumée par plusieurs pays. Les exemples sont nombreux, en Méditerranée comme dans le reste du monde. La Grèce, notamment, est accusée d’abandonner des demandeurs d’asile en pleine mer, sur des canots sans moteur.

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À Chypre, en 2024, la Cour européenne des droits de l’homme dénonçait des refoulements massifs. L’Union européenne externalise ses frontières vers la Libye, le Maroc ou la Turquie, via des accords opaques, contournant ses obligations légales. En Australie, la politique migratoire repose sur la mise en place de centres de détention externalisés. Ce régime, en place depuis 2012, a été condamné en 2025 par l’ONU pour traitements inhumains.

Partout, le droit international est ouvertement mis à l’écart. Les exemples sont nombreux. Il ne manque pourtant pas de textes, de conventions, de résolutions et de grands discours. Mais l’absence de volonté politique empêche l’application des règles face aux rapports de force. Le droit international survit dans les textes, mais il est piétiné avec constance aux yeux de tous.

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