Zinée : « Faire de la musique, c’est politique »

En pleine préparation de son prochain projet musical, la rappeuse toulousaine essaye d’accepter les conséquences de sa maladie, l’endométriose, et assume de plus en plus ses engagements politiques.

Thomas Lefèvre  • 9 juillet 2025 abonné·es
Zinée : « Faire de la musique, c’est politique »
© Frankie Allio

Zinée, de son vrai nom Lisa Dellus, est une rappeuse et chanteuse de 27 ans, originaire de Toulouse. Passée par une année d’étude de cinéma, elle commence sa carrière musicale professionnelle en 2020, avec son premier projet Futée, suivie de deux albums aux influences musicales hybrides. Son ascension fulgurante dans le milieu du rap indépendant est ralentie par une endométriose profonde, mal diagnostiquée, qui la handicape lourdement.

Pourquoi vous être lancée dans le rap ?

Zinée : Déjà, j’ai mis du temps à me qualifier moi-même de rappeuse. Il a fallu que je signe en maison de disques pour accepter cette étiquette. La musique a toujours fait partie de ma vie. J’ai joué de la guitare, j’ai été dans une chorale gospel et ma mère, d’origine espagnole, pratiquait le flamenco à la maison. Mon père, lui, m’a transmis l’amour du texte. Aujourd’hui, j’écoute de tout, de Francis Cabrel à Abba en passant par Daft Punk ou Saint-Levant, et c’est pour ça que mes projets sont un peu hybrides.

Cet album, je l’ai fait au bord du gouffre, sans savoir si j’allais pouvoir le défendre sur scène, sans aucune visibilité sur mon avenir.

Ce qui est formidable avec le rap, c’est qu’aujourd’hui tout le monde peut en faire. Il y en a vraiment pour tous les goûts. J’essaie de m’ouvrir à tous les genres, car la musique est tellement vaste que je n’ai pas envie de me cantonner à quelque chose en particulier. Et pour répondre à la question, même si, parfois, c’est un amour complexe, j’adore écrire, j’adore composer. Quand je crée, je ne pense pas au quotidien, et j’aime emmener les gens dans mon imaginaire.

Le titre de votre dernier album, OSMIN, est une anagramme du prénom de votre frère, Simon. C’est important pour vous d’être entourée ?

Oui, c’est essentiel pour moi. Je travaille avec une petite équipe à taille humaine, que je choisis, et dans laquelle il n’y a pas d’ego. C’est ce que je cherche : une ambiance saine, de confiance, où chacun peut proposer des choses sans pression, et c’est vraiment le cas dans le label indépendant où je suis, Yotanka Records. Pareil avec les musiciens qui m’entourent, comme Chilly Gonzales, Empty7 ou Freaky : on s’envoie des boucles musicales, on travaille ensemble naturellement, sans hiérarchie. C’est précieux, parce que la musique, pour moi, ça ne doit pas se faire dans la souffrance ou la compétition. C’est du partage.

Je fais aussi beaucoup écouter mes morceaux à mes proches. Ma mère surtout, qui a un regard très juste : elle n’hésite pas à me dire quand une phrase ne fonctionne pas ou qu’elle ne comprend pas ce que je veux dire. Elle est très franche et ça m’aide beaucoup. Ce sont des retours qui comptent parce qu’ils viennent de personnes avec un regard extérieur au rap.

La pochette d’OSMIN.

Et puis OSMIN est un projet très particulier, très intime. Simon a été là à mes côtés pendant toute cette période de souffrance extrême liée à mon endométriose profonde. J’ai suivi en traitement lourd, avec des douleurs chroniques, une immense fatigue, des opérations… C’était très dur physiquement et mentalement. Simon s’est mis en télétravail pour pouvoir m’aider au quotidien, juste pour que je puisse me déplacer, parfois. Il a vécu cette traversée avec moi. Cet album, je l’ai fait au bord du gouffre, sans savoir si j’allais pouvoir le défendre sur scène, sans aucune visibilité sur mon avenir. OSMIN, c’est la fin d’un chapitre très sombre que j’essaye de fermer pour pouvoir avancer.

L’endométriose profonde dont vous êtes atteinte a beaucoup affecté votre présence sur scène et votre carrière en général. Pourquoi avoir choisi de vous exprimer publiquement sur le sujet ?

Car je suis en colère. J’ai traversé une période très violente, marquée par une grave erreur médicale : un chirurgien, en m’opérant, a coupé les nerfs de ma jambe et m’a retiré un ovaire. Tout ça sans retirer les kystes ! Je me suis réveillée en fauteuil roulant, sans explication, avec encore plus de douleurs qu’avant. Ensuite, il a fallu attendre huit mois pour obtenir un nouveau rendez-vous avec un chirurgien compétent. Huit mois à souffrir quotidiennement, à pleurer tous les jours, à ne pas pouvoir me doucher seule, à ne pas savoir si j’allais remarcher normalement.

Sur le même sujet : Endométriose : « Quand tu as une crise, tu ne peux plus vivre normalement »

Même si j’ai aujourd’hui retrouvé de la mobilité, cette violence ne s’arrête pas à une seule opération ratée. Pendant plus d’un an, j’ai quasiment vécu à l’hôpital. Je compte environ 70 passages aux urgences et 85 perfusions. Le pire, c’est que souvent, en cas de crise de douleur, on me disait que c’était normal, que j’étais trop sensible, qu’il n’y avait rien à faire. Aujourd’hui, j’ai fini par obtenir le statut d’affection longue durée. Malgré cela, le suivi psychologique, par exemple, n’est pas totalement pris en charge, donc je dois encore débourser de l’argent de ma poche. Ce n’est pas normal. Bien sûr, ce n’est pas la seule maladie concernée par les problèmes du système de santé, mais je considère vraiment comme de la maltraitance ce que j’ai vécu.

Sur le même sujet : Vivre avec l’endométriose : Fanny Pandolfi, 37 ans, vétérinaire

L’autre raison pour laquelle j’ai parlé de ma maladie, c’est que des milliers de femmes vivent en silence la même situation. On s’appelle souvent avec mes copines atteintes d’endométriose pour se donner de la force car, quand on est malade, on est faible et vulnérable. On ne devrait pas avoir à se battre pour être pris en charge : c’est cela que je dénonce. Je ne comprends pas qu’il y ait encore des médecins qui disent à des patientes en souffrance : « On ne peut rien faire. » On n’aura jamais les chiffres, mais parfois je me demande le nombre de femmes qui se foutent en l’air à cause de cette maladie.

Depuis cette période, vous exprimez de plus en plus vos engagements politiques. Qu’est-ce qui a changé ?

Être malade m’a politisée. Avant, je détestais communiquer, je ne me mettais pas en avant, je n’osais pas forcément prendre position publiquement. J’aime bien être discrète et mon équipe respecte totalement ce choix. Mais, après tout ce que j’ai vécu, j’ai compris qu’il fallait arrêter d’avoir peur. J’ai bouffé le goudron, littéralement, et je me suis dit : c’est trop important pour que je me taise.

Prendre la parole m’a soulagée et, surtout, a donné du sens au fait d’avoir une image publique.

Prendre la parole m’a soulagée et, surtout, a donné du sens au fait d’avoir une image publique. Je ne veux pas qu’on m’associe à des campagnes ou à des marques si c’est juste pour vendre un truc. Au début de ma carrière, j’ai fait quelques partenariats, mais maintenant je fais super gaffe à tout. Je me renseigne sur les entreprises et leurs pratiques, car je n’ai pas envie de faire de la pub pour des marques qui exploitent des gens. Pour moi, si je parle publiquement, autant que ce soit pour dire quelque chose qui a du poids.

Aussi, j’ai compris que faire de la musique, c’est politique. Même si tu ne le dis pas frontalement, quand tu as une voix, même petite, tu as une responsabilité. Rien que glisser une idée dans la tête de quelqu’un, faire en sorte qu’il y pense, qu’il en parle, c’est déjà ça. Et aujourd’hui, je n’ai plus peur de le faire.

En tant que rappeuse, comment se traduisent ces engagements ?

Par exemple, j’ai pris part à des concerts caritatifs pour des causes qui me touchent, comme celles du Liban ou de la Palestine. J’ai participé à la Crimson Session pour la Palestine [un concert mensuel, dont les fonds ont été reversés à l’association humanitaire Terra solidaire, N.D.L.R.] en juin 2024, en région parisienne. À la même période, on a aussi organisé un concert pour fêter la sortie de OSMIN à Petit Bain, à Paris, au profit de l’association 1 maillot pour la vie.

Sur le même sujet : Le rap conscient toujours à flow

C’est une association qui réalise les rêves d’enfants touchés par la maladie. C’était très important pour moi, parce que j’ai passé énormément de temps à l’hôpital, et je sais ce que c’est que d’être là, de souffrir et de n’avoir aucune échappatoire. J’essaye aussi d’utiliser mon audience sur les réseaux sociaux pour relayer des choses qui me semblent importantes. Si je peux aider, ne serait-ce qu’un peu, à mon échelle, je le fais.

Quand on voit les attaques incessantes de l’extrême droite contre un rappeur engagé comme Médine, vous n’avez jamais craint de subir un traitement similaire ?

Si, bien sûr. Parfois, c’est flippant. J’ai déjà reçu des menaces de mort, des trucs très violents, qui ne me visaient pas que moi, mais toute ma famille. J’ai reçu des messages clairement racistes comme : « On va vous enterrer vivants, toi et ta famille d’immigrés », ou des vidéos d’hommes torse nu qui me disaient : « Alors, t’aimes les fachos ? ». J’ai hésité à porter plainte parce que tu te demandes jusqu’où ça peut aller. Est-ce que les gens qui m’écrivent ça sont juste derrière leur écran, ou est-ce qu’un jour ils vont passer à l’acte ?

« Je n’ai jamais rencontré de rappeur qui m’ait fait me sentir inférieure parce que j’étais une femme. Dans le milieu, je me suis toujours sentie en sécurité, honnêtement. » (Photo : Frankie Allio.)

Malheureusement, ce phénomène est plus répandu quand tu es une femme. À un moment, je recevais pas mal de messages misogynes. C’était surtout le cas au moment de la sortie de mon premier album, Cobalt, après des passages dans les médias. Et j’ai déjà subi du harcèlement pendant un an et demi par quelqu’un qui m’envoyait tous les jours des vocaux avec une voix modifiée.

Est-ce que le fait d’être une femme dans le milieu du rap a déjà été un sujet pour vous ?

À part ces actes malveillants sur les réseaux sociaux, pas du tout ! Professionnellement, j’ai toujours été entourée de personnes ni misogynes ni sexistes, et je n’ai jamais rencontré de rappeur qui m’ait fait me sentir inférieure parce que j’étais une femme. Dans le milieu, je me suis toujours sentie en sécurité, honnêtement. J’ai l’impression que ce sont surtout les médias et les plateformes de streaming qui créent une différence, en faisant par exemple des playlists « rap féminin ». Je pense qu’il faudrait plutôt unifier le rap dans son ensemble.

Je conseille vraiment à toutes les personnes qui hésitent de se lancer dans la musique. Surtout les femmes.

Pensez-vous être une source d’inspiration pour d’autres personnes ?

Franchement, j’ai du mal à m’en rendre compte, mais tant mieux si c’est le cas ! Je conseille vraiment à toutes les personnes qui hésitent de se lancer dans la musique. Surtout les femmes, parce qu’il y a une vraie demande. Chaque personne a une façon différente d’écrire, de rapper, de chanter : c’est ça qui est intéressant. Et je suis très contente d’avoir pu donner envie à des gens de s’y mettre.

Et vous, quelles sont vos inspirations artistiques ?

Mon premier amour artistique est le cinéma. Depuis l’enfance, je suis inspirée par des réalisateurs comme Tim Burton, Wes Anderson ou encore Darren Aronofsky. Je trouve que le fantastique permet de s’évader. Quand ça ne va pas trop, je regarde un film de Tim Burton et je dessine en même temps. Quand ça va mieux, j’écoute de la musique. Mon rêve ultime serait vraiment de composer la bande originale d’un film. J’apprécie aussi les arts plastiques : c’est pour cela que toutes mes pochettes d’albums sont des illustrations, réalisées par un ami proche.

C’est quelqu’un qui a le même rapport à l’imaginaire que moi, et une vision artistique très similaire. D’ailleurs, c’est aussi lui qui m’a transmis beaucoup de références d’arts plastiques, de peintures, de gravures, etc. Sinon, je viens d’une famille de geeks et je joue pas mal aux jeux vidéo. Récemment, j’ai adoré Clair Obscur : Expédition 33, mis au point par un studio français, et je trouve que sa musique originale est exceptionnelle. En travaillant de chez moi, j’ai vraiment l’occasion de me mettre dans ma bulle et de piocher parmi toutes ces inspirations artistiques.

Justement, vous avez décidé de quitter Paris pour retourner près de Toulouse, dans la région de votre enfance. Pourquoi ce choix ?

C’était vital pour moi de rentrer. J’ai passé quatre ans à Paris mais, à un moment, je n’y arrivais plus. J’ai toujours été sensible à mon environnement et, à Paris, je n’arrivais pas à respirer. Tout va trop vite là-bas. Je trouve que c’est vraiment une ville brutale. En plus, avec la maladie, ça devenait vraiment difficile à gérer : les hôpitaux publics parisiens, c’est une catastrophe ! Retourner dans ma région a été un vrai soulagement. Ici, je travaille dans mon coin, à mon rythme. Je suis entourée de mes proches, dans un environnement plus doux. C’est tellement important pour moi d’avoir des animaux, d’accéder à des espaces verts et de me réveiller avec le chant des oiseaux. C’est vraiment l’atmosphère parfaite pour travailler sur mon prochain projet musical.

Je suis arrivée à un point où je n’en ai plus rien à foutre : je dis ce que je pense.

Quel est ce nouveau projet ?

Pour l’instant, je ne peux pas trop en dire. En tout cas, je sens que je passe encore un palier d’honnêteté dans ma musique. Je trouve vraiment important de ne pas mentir sur qui je suis, quelles sont mes valeurs, et de parler de ce qui est difficile pour moi au quotidien. Je suis arrivée à un point où je n’en ai plus rien à foutre : je dis ce que je pense. Je me dis qu’au moins les gens qui m’écoutent sont alignés sur des valeurs qui sont très importantes pour moi.

Vous allez encore faire de la scène ?

Je sens que j’ai appris de mes erreurs par rapport à la maladie. C’est super important pour moi de faire de la scène, et je vais continuer à en faire, mais maintenant je vais faire attention à ne pas me surcharger. Et même si je sais que je n’accepterai jamais totalement l’impact de la maladie sur ma vie, il faut que je parvienne à faire le deuil et à avancer malgré tout.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Grands entretiens
Temps de lecture : 14 minutes

Pour aller plus loin…

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier
Hamad Gamal : « On se demande si nos vies de Soudanais comptent autant que les autres »
Entretien 18 juin 2025 abonné·es

Hamad Gamal : « On se demande si nos vies de Soudanais comptent autant que les autres »

Réfugié soudanais en France, l’étudiant en sociologie travaille à visibiliser la situation dans son pays, alors même que le Soudan en guerre traverse, selon l’ONU, la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Il revient sur les étapes du conflit depuis la révolution de 2018 et dénonce l’inertie de la communauté internationale.
Par Pauline Migevant
François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas