Les grandes contorsions et les petits calculs du RN pour sauver Bayrou

Les troupes de Marine Le Pen épargnent encore François Bayrou. Des esquives politiques qui peinent à clarifier le positionnement de la triple candidate à la présidentielle vis-à-vis de la macronie.

Lucas Sarafian  • 1 juillet 2025 abonné·es
Les grandes contorsions et les petits calculs du RN pour sauver Bayrou
© Lily Chavance

Marine Le Pen pointe le bout de son nez quelques minutes seulement. Entourée d’une petite dizaines de députés, la triple candidate à la présidentielle écoute attentivement le discours de François Bayrou ce 1er juillet. A la tribune, le Premier ministre répond à la motion de censure défendue par la socialiste Estelle Mercier. Assise à côté de Jean-Philippe Tanguy, le « Monsieur Économie » du parti, elle ne prend même pas la peine de griffonner quelques notes. Et alors que les orateurs des différents groupes parlementaires se préparent pour se succéder à la tribune, elle s’échappe. Comme un symbole.

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Car la cheffe de file du Rassemblement national (RN) n’accorde pas une grande importance à cette censure socialiste. Elle ne la votera pas. Sa position est connue depuis des jours dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. « On vote une motion de censure pour protéger les Français des mesures toxiques prises par un gouvernement, lâche-t-elle dans la matinée devant quelques journalistes. La censure intervient aujourd’hui. Mais quel est le bénéfice pour les Français ? Zéro. La gauche ment de manière éhontée aux Français en disant que si l’on vote la motion de censure, on retournera à l’ancien âge légal de départ à la retraite. C’est un mensonge. »

Marine Le Pen absente

La patronne du RN n’a même pas daigné regarder le discours de l’orateur du groupe qu’elle préside, Gaëtan Dussausaye, député des Vosges. À 19h16, ce dernier monte à la tribune et commence par dénoncer cet accord « contre-nature » qu’aurait été le front républicain aux dernières législatives. « À aucun moment, vous n’avez cherché ce que vous alliez faire pour le pays, lance-t-il. L’instabilité, c’est votre responsabilité. »

Depuis des jours, le RN et ses alliés expliquent que cette motion de censure n’aurait aucun effet concret sur la vie des Français.

Dussausaye en vient ensuite à cette motion de censure socialiste. Il dit : « Le RN a comme grand mérite de dire, en toutes circonstances, la vérité. Et la vérité du jour, c’est que le PS a menti par deux fois. » Une fois en faisant supposément croire, selon lui, que le conclave pouvait aboutir à un accord entre syndicats et patronat sur l’abrogation de la réforme des retraites.

Une deuxième fois en laissant entendre, encore selon lui, que cette motion de censure permettrait d’abroger la réforme. « Votre censure n’apporte rien, elle ne change rien ! », dénonce-t-il.

Depuis des jours, le RN et ses alliés expliquent que cette motion de censure n’aurait aucun effet concret sur la vie des Français. Voilà pourquoi ils refuseraient d’appuyer sur le bouton nucléaire. « Cette censure, elle n’a qu’un objectif, c’est redonner une virginité toujours plus à gauche au Parti socialiste après son congrès. Ce n’est pas une motion de censure qui vise à protéger les Français », analysait Eric Ciotti devant des journalistes le 25 juin.

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En accusant cette motion de censure d’être inutile, les marinistes tentent peut-être de détourner stratégiquement le débat initial, c’est-à-dire les retraites, et de faire oublier leur illisibilité sur cette question. 60 ans ou 62 ans ? Progressivité ou pas ? Et pour combien d’annuités ? Capitalisation ou pas ? Entre 2022 et 2024, la position du parti a changé. Et ce n’est pas près de s’arranger. Désormais, le RN planche sur une durée de cotisation unique, selon les informations de L’Opinion.

Tout remettre à plus tard

Devant un hémicycle quasi vide, Gaëtan Dussausaye s’efforce néanmoins de menacer le gouvernement alors que, lui et son groupe, l’épargneront quelques minutes plus tard pour la huitième fois depuis la nomination de Bayrou. « Nous, nous censurons quand c’est utile pour le pays. Quand cela permet immédiatement de protéger les Français », explique-t-il.

En tout état de cause, la ligne du parti est claire : tout remettre à plus tard. Les retraites ? Une question qui devra être tranchée en 2027. La censure ? Une question qui devra être posée lors des débats budgétaires à l’automne. « Ce moment de vérité, c’est le budget, assure Dussausaye. Nous censurerons deux fois, trois fois, cinquante fois s’il le faut. La balle est dans votre camp. Rendez-vous au budget. »

« Les premières pistes évoquées par M. Bayrou pour son prochain budget me font dire qu’il emprunte le même chemin que son prédécesseur », prévenait d’ailleurs Marine Le Pen dans Valeurs actuelles le 25 juin. La ficelle est grosse : en tentant de remettre à demain la question de la censure tout en menaçant le gouvernement, Le Pen souhaite rappeler qu’elle fait toujours partie de l’opposition, dans les mots plus que dans les faits, tout en capitalisant sur une stature de garante de la stabilité politique. Une façon aussi de rassurer sa base électorale qui, selon les dernières enquêtes d’opinion, est plutôt favorable à la censure du gouvernement.

Projet libéral

Quelques minutes plus tard, le verdict tombe. Le texte ne recueille que 189 voix sur les 289 nécessaires. Sans surprise. Grâce au RN, François Bayrou survit. Et la gauche rugit. « Ces gens entament un processus de fusion avec la macronie sur le sujet de la protection sociale, dénonce l’insoumis Hadrien Clouet après le vote. Ce qui se passe ce soir, c’est la trahison de tous les intérêts populaires par le Rassemblement national. »

En tentant de remettre à demain la question de la censure tout en menaçant le gouvernement, Le Pen souhaite rappeler qu’elle fait toujours partie de l’opposition.

L’écolo Benjamin Lucas est du même avis: « On connaît l’arnaque sociale du RN, on sait sa volonté de surfer sur les colères. Mais sur les questions économiques et sociales, c’est un projet libéral. » Sur le même ton, l’oratrice socialiste Estelle Mercier griffe la position mariniste. « Le RN qui affirmait haut et fort être contre cette réforme montre aujourd’hui qu’il y est favorable. »

Marine Le Pen le sait : François Bayrou ne doit sa survie qu’à sa relative bienveillance. C’est parce que ses troupes l’ont épargné le 5 février dernier lors des votes sur le budget que le Premier ministre s’en est sorti presque indemne. C’est parce qu’ils ont bien voulu laisser une chance au centriste lors de sa nomination le 13 décembre qu’il a pu profiter d’une petite marge de manœuvre.

C’est parce que, une fois encore, ils snobent toutes les motions de censure de la gauche que le locataire de Matignon prolonge son bail très précaire. En quelques mois, Marine Le Pen est devenue l’assurance-vie de François Bayrou.

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