« Ô Guérillères », le soulèvement des femmes
Réunissant l’actrice Anna Mouglalis et quatre musiciennes, le tout nouveau groupe Draga surgit avec un album fulgurant très inspiré par Les Guérillères de Monique Wittig, livre iconique de la pensée féministe radicale.
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© Draga press
Ô Guérillères / Draga / CryBaby/Idol / En concert le 3 juillet à La Rochelle (La Sirène) et le 4 juillet à Paris (festival Days off).
Le 6 octobre 2023, la compositrice et percussionniste Lucie Antunes – protagoniste majeure de la scène musicale française actuelle – a déployé une « Nuit chamanique » au sein de la Cité de la musique, à Paris, avec le renfort d’artistes complices. Entourée par plusieurs instrumentistes, dont Lucie Antunes et P.R2B (autre musicienne saillante de la nouvelle génération), l’actrice Anna Mouglalis y a pris part en portant sur scène, de sa magnifique voix rauque, des fragments de textes prélevés par elle dans Les Guérillères (1969).
Aujourd’hui « culte », ce roman-manifeste de Monique Wittig met en mots, via une langue proprement renversante, une phénoménale insurrection sororale contre le vieux monde patriarcal. Ici, à rebours d’une (tristement) fameuse règle de la grammaire française, c’est le féminin qui l’emporte – et qui nous emporte. « Un grand livre émancipateur conjuguant énergie poétique et détermination politique », souligne Anna Mouglalis.
La comédienne a retrouvé Lucie Antunes lors du Printemps de Bourges 2024 pour une performance live en duo également innervée par Les Guérillères. À la suite de ce concert s’est imposée l’idée de prolonger l’expérience collectivement, le plus tôt possible (dans un sentiment d’urgence), pour concevoir un album et le jouer en live.
Dès août 2024, Lucie Antunes et P.R2B ont effectué une intense semaine de résidence au Centquatre-Paris pour poser les bases musicales du projet. Le mois suivant, une seconde semaine de résidence au même endroit leur a permis de réarranger et de peaufiner le matériau en synergie avec Anna Mouglalis et deux autres musiciennes, Théodora Delilez et Narumi Hérisson.
« Nous formons un vrai collectif, mû par une exigence à la hauteur du texte », glisse Anna Mouglalis. « Chacune d’entre nous contribue à parts égales au projet. Si on en enlève une, il n’y a plus de groupe », appuie Lucie Antunes. « Nous agissons toutes ensemble pour transmettre la parole de Monique, écrite au féminin pluriel », renchérit P.R2B.
Aussi inséparables que les doigts d’une main, les cinq alliées – qui œuvrent sous le nom Draga, emprunté au livre – ont convergé fin septembre 2024 vers l’illustre studio La Frette, dans le Val-d’Oise, pour y mettre en boîte un album. « C’était génial de pouvoir investir ce studio, clame Lucie Antunes. En quatre jours, travaillant chaque jour de 8 heures à 23 heures, nous avons enregistré quatorze morceaux, dans les conditions du live, sans presque aucune retouche. Seules quelques parties vocales ont été refaites. »
Nouvelle dynamique
À la fin, douze morceaux figurent sur l’album (disponible uniquement en numérique), intitulé Ô Guérillères – un titre fidèle à la poésie incantatoire activée par Monique Wittig, la formule (magique ?) « Elles disent… » revenant de façon répétée dans le roman comme dans l’album. Citons par exemple, pas du tout au hasard, cette phrase : « Elles disent qu’elles inventent une nouvelle dynamique. »
Tout du long, on a précisément le sentiment que cinq femmes nommées Draga inventent une nouvelle dynamique, hyperorganique, manifestant une interaction constante entre les partenaires de jeu autant qu’une connexion profonde, à la fois intuitive et réfléchie, entre parole(s) et musique(s). Situé au cœur de l’album, « Le monde nous appartient » offre une illustration optimale de cet élan commun ô combien aventureux.
The Organ (météorique groupe féminin canadien de rock indé, auteur d’un seul album au début des années 2000), Laurie Anderson, les Pixies et Steve Reich comptent parmi les figures inspiratrices du quintette. Loin de se réduire à la somme de ses influences, sa musique mêle krautrock, pop avant-gardiste, électro et musique sérielle en un alliage singulier. Seules ou en chœur, les voix – la principale étant celle d’Anna Mouglalis, totalement habitée – ont la même importance que les autres instruments.
Projet pensé avant tout pour le live, Draga révèle déjà une magistrale puissance en studio, l’album s’achevant avec un ultime – et tout à fait idoine – cri triomphant.
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