Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.

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« Les meurtres racistes actuels sont le prolongement du chemin intellectuel de l’AFO » Procès AFO et terrorisme d’extrême droite : l’assourdissant silence des politiquesNapoléon de Guerlasse, de son pseudo, cultive la discrétion autour de son identité. Quand il donne des interviews –elles sont rares –, l’administrateur du site Guerre de France ne livre que quelques bribes biographiques. Au lendemain des premières arrestations de l’AFO (Action des forces opérationnelles) en juin 2018 – le groupe étant soupçonné de préparer des attentats antimusulmans – l’homme s’était présenté au Point comme un ancien militaire de réserve de 70 ans, devenu commerçant en Normandie.
Plus récemment, il était invité sur le site d’extrême droite Géopolitique profonde pour évoquer son « enquête » sur « l’affaire Trogneux », théorie transphobe visant à prouver que Brigitte Macron est un homme. Durant son interview, il est resté anonyme, n’affichant lors de la visio que son pseudo, inspiré de l’humoriste Pierre Dac. Il était présenté comme le créateur d’Action Patriote et de Guerre de France, site par lequel l’AFO recrutait.
Ce dernier, créé en 2017 et toujours actif, s’adresse particulièrement « aux sous-officiers et caporaux expérimentés » et est dédié à « la préparation militaire qui se profile sur le territoire métropolitain ». Parmi les documents que l’on y trouve, des manuels militaires et même Mein Kampf. Dans la longue procédure qui constitue le dossier AFO, c’est sous le pseudo Thérèse – en référence à Sainte Thérèse de Lisieux – qu’apparaît l’administrateur du site. L’homme, dont le véritable nom est Alain Angelini, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Oublié par « les archers du Roi » ?
Trois semaines après les interpellations et perquisitions d’une dizaine de membres du groupe, l’état-major de l’AFO avait adressé un communiqué aux membres de l’organisation. « Nos amis Garbo […], Thérèse (dirigeant GDF) et les autres, n’ont toujours pas vus […] la queue des archers du Roi. », façon de désigner la DGSI et les juges d’instruction. Le communiqué se veut rassurant : « Ils [Garbo et Thérèse] n’ont pas quitté le navire, ils sont toujours fidèles à leurs postes et surtout droit dans leurs bottes. »
Au procès de l’AFO, l’absence du surnommé Thérèse interroge.
Sept ans plus tard, après une longue instruction, Garbo, un ancien gendarme, fait partie des prévenus. Alain Angelini, lui, identifié comme Thérèse, n’a jamais été poursuivi, ni même auditionné. Durant leurs réquisitions, les procureurs du parquet national antiterroriste (PNAT) avaient estimé qu’il n’y avait pas d’éléments positifs le concernant rentrant dans le périmètre de l’association de malfaiteurs terroristes. Selon eux, la procédure n’avait pas prouvé qu’il était au courant de la recherche d’armes, des stages d’entraînements (où ont notamment été testés les explosifs composés de TATP) ou des projets d’action violente. Au procès de l’AFO, l’absence de Thérèse interroge pourtant.
Me Collot, avocate de Guy S., fondateur de l’AFO, s’en est étonnée lors de sa plaidoirie : « Thérèse n’a pas été poursuivi car il n’y aurait pas eu assez d’éléments dans le dossier. » Étant donné « le rôle du site Guerre de France, on est dans une incompréhension totale sur les choix qui ont été faits. »
L’avocat de Marie Véronique R., Me Boccara, a également souligné l’absence d’Alain Angelini, d’autant que sa cliente, administratrice de l’autre site de l’AFO, Réveil patriote, moins actif que Guerre de France, a été poursuivie. « Il y a six articles sur ce blog, qu’on ne vienne pas me dire que c’est une propagandiste », a-t-il affirmé. « Je ne comprends pas l’absence d’Alain Angelini devant vous », s’est-il interrogé, considérant que les éléments du dossier pourraient permettre de « caractériser une AMT [assocation de malfaiteurs terroriste]. »
Pour plusieurs avocats présents lors du procès, le fait que Thérèse n’ait pas été inquiété est soit un « loupé du PNAT », soit lié au fait que l’agent infiltré de la DGSI avait envoyé un mail à Guerre de France pour rejoindre l’AFO et que c’est Thérèse qui l’avait transmis à Bernard S., responsable du groupe pour la région Île-de-France. Contacté par mail, le PNAT n’a pas répondu sur ce point.
Une répression attendue
Un discours devant être prononcé par l’un des responsables du groupe et datant d’avril 2018 explique le rôle déterminant du site Guerre de France, que les membres sont invités à consulter régulièrement : « Blog technique et tactique, créé et dirigé par notre ami Thérèse » axé sur « l’information, la documentation de formation, la stratégie militaire de notre organisation ». Une partie du site dédiée à l’AFO définit les ennemis, à savoir les « tenants du système islamique », les « africains sub-sahariens même d’origine et de culture catholique », les « gauchistes », les criminels organisés et les « droitdelhommistes ».
Sur les organigrammes du groupe, Thérèse figure également comme responsable du pôle renseignement et chef de la région Normandie. Par mail, il avait alerté Guy S. le chef de l’AFO : « ce qui se passe à la mosquée de Lisieux (rassemblement de personnes venant de plusieurs départements) est à surveiller. J’ai transmis des données par un autre canal. »
Lors des perquisitions, un article, dont l’origine n’était pas précisée, avait été retrouvé chez des prévenus, intitulé « LISIEUX, LA MOSQUÉE PREND UNE COLORATION SALAFISTE ». Au sujet de ce document, les enquêteurs avaient écrit : « Nous pouvons nous interroger sur les motivations ayant conduit aux recherches effectuées sur cette mosquée « salafiste » car rappelons le, le groupe AFO Île-de-France était déterminé à tuer 200 imams radicalisés. Cette recherche pourrait donc s’apparenter à un début de réflexion. »
Un site toujours actif
En décembre 2017, Thérèse envoie un mail à Guy S., fondateur de l’AFO, sur les éléments de langage à transmettre aux membres du groupe et à adopter en cas d’interrogatoire. Lui-même, écrit-il en préambule, s’attend à se « faire cuisiner un de ces jours ». Il préconise de « se présenter officiellement (…) comme une gentille organisation qui s’occupe principalement de la santé de ses membres en cas de grabuge ».
Dans ce mail, il expose aussi l’importance pour ce groupe de la maîtrise d’Internet. « Une bataille sanglante se déroule en coulisses sur le front de la liberté d’expression, de la réinformation, la « matrice » le « système » n’arrivera plus bien longtemps à maîtriser l’internet, du fait de la migration sur des serveurs étrangers (Suisses, Russes). »
De fait, Guerre de France est hébergé en Russie et le site renvoie vers une adresse URL russe de secours, en cas de fermeture du site français. Napoléon de Guerlasse, visiblement préoccupé par la possible répression, s’était lui-même étonné auprès de La Croix, en 2021, de ne pas avoir été inquiété dans l’affaire AFO. Par « quel miracle » ? s’interrogeait-il tout en se détachant de toute intention terroriste : « On était loin des frères Kouachi ! » (les auteurs de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo en janvier 2015).
Une interrogation qui n’a pas mis fin à l’activité du site. Plusieurs posts sont notamment consacrés à Médine, qui devait se produire au Bataclan en octobre 2018. Un mois avant, Napoléon de Guerlasse poste des images de la salle de concert et de ses abords. Une photo de l’entrée de la salle de concert, prise derrière les plantes d’un parc à quelques mètres, est légendée « l’idéal pour un sniper ».
Sous une autre photo du boulevard Richard-Lenoir, on lit que le lieu « offre de nombreuses possibilités d’infiltration d’un commando ou d’un “loup solitaire” ». Un autre cliché montrait les sorties de secours : « Mon petit Médine, un conseil, c’est pas le bon endroit pour entrer et sortir. » Alors que l’audience était en cours, reprenant une interview faite par Politis, Napoléon de Guerlasse a commenté la constitution de partie civile du rappeur. « Si un jour tu t’en prends une mon frère, ce ne sera pas de mon fait d’abord, et ensuite ce ne sera pas entre les deux omoplates, certains snipers mettant un point d’honneur à ne pas tirer dans le dos d’un trouillard en fuite. »
Contacté par Politis, CnDG – le diminutif de colonel Napoléon de Guerlasse, employé pour signer ses mails – avait expliqué préférer « attendre les jugements pour communiquer afin de ne pas nuire à ses petits camarades ». Il acceptait néanmoins de répondre à nos questions par écrit, chose qu’il n’a finalement pas faite malgré nos relances. Son souci de discrétion ne l’a pas empêché de commenter les réquisitions du procureur. Pour lui, pas de doute sur le fait que personne ne risque rien. « Ça devrait se terminer par des sursis », affirme-t-il.
Alors que le procès était en cours, il a également commenté différents articles de presse écrits pendant le procès, dont un article de BFM sur l’un des prévenus ayant reconnu ce que d’autres minimisaient. « En clair, le type est une balance », lit-on à son sujet sur un post du 1er juillet 2025. Lors de son audition, Karl H. avait témoigné d’une intimidation subie quelques mois après son arrestation en 2018.
Les municipales sont une première étape. Il y aura d’autres collaborations avec le RN sur d’autres échéances.
A. Angelini
Deux hommes en cagoule étaient venus le voir pour lui intimer de se taire : « Pas étonnant qu’il ait eu de la visite. En aura-t-il à nouveau, mystère ? » écrit aujourd’hui Napoléon de Guerlasse. « Je l’interprète comme une menace », a plaidé à la barre, Me Couilliot l’avocat de Karl H., qui a découvert la veille de sa plaidoirie le message dédié à son client. D’après le PNAT, joint par Politis, si le site n’est pas fermé, c’est qu’il faudrait pour cela « une décision administrative qui ne dépend pas du PNAT ».
Candidat RN
Alain Angelini a la passion d’Internet chevillée au corps. Au-delà du site de l’AFO et de son activité de commerçant en Normandie, il a créé plusieurs sites, graphiquement similaires. Il y a celui où il commente les événements locaux, L’Écho joli, le site Action patriote qui renvoie vers Guerre de France, et celui qu’il a créé lorsque, soutenu par le RN, il a voulu constituer une liste pour les municipales de 2020 (site depuis supprimé).
Avant de se tourner vers le RN, il avait été responsable du Modem à Lisieux, parti dont il avait été exclu après un tract contre un candidat UMP [ex-LR] qui avait refusé de le prendre sur sa liste aux municipales de 2014. En 2019, il affirmait dans une interview au média Actu.fr : « Je n’ai pas ma carte au Rassemblement national, mais je vote Marine Le Pen depuis 2015. Les attentats ont été un déclic. ». Il poursuivait : « Les municipales sont une première étape. Il y aura d’autres collaborations avec le RN sur d’autres échéances. ».
Faute d’avoir trouvé suffisamment de noms pour sa liste, il s’était finalement désisté. Pour les élections départementales de 2021, le RN ayant investi un autre binôme, il s’était présenté sans étiquette. Ouest France précisait alors qu’il était encarté dans le parti d’extrême droite. Qu’en est-il aujourd’hui ? Ni lui, ni la fédération RN du Calvados, ni le Rassemblement national n’ont souhaité répondre à nos questions.
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