« Il est difficile d’imaginer qu’Israël tolère une élection nationale palestinienne »
Alors que la libération des otages et des prisonniers a commencé, ce lundi 13 octobre, Laetitia Bucaille, autrice de Gaza, quel avenir (Stock, 2025) décrypte la possibilité d’un débouché politique palestinien.

© Evan Vucci / POOL / AFP
Professeure de sociologie politique à l’INALCO, Laetitia Bucaille publie Gaza, quel avenir ?, qui paraît aux éditions Stock ce mercredi 15 octobre 2025. Spécialiste du conflit israélo-palestinien, elle revient sur la question des élections en Palestine, dont les dernières ont été organisées en 2006 et furent remportées par le Hamas. La chercheuse s’interroge en outre aujourd’hui sur la possibilité d’organiser un nouveau scrutin, après deux ans de guerre à Gaza, et ses potentiels résultats.
Les dernières élections en Palestine – ou ce qu’il restait déjà à l’époque de territoires administrés par les Palestiniens – ont eu lieu en 2005. Quels en furent les résultats et que s’est-il passé ensuite ?
Laetitia Bucaille : Les dernières élections présidentielles ont eu lieu en 2005, remportées par Mahmoud Abbas, successeur de Yasser Arafat. Puis, en 2006, des élections législatives ont été organisées, encouragées et supervisées par la communauté internationale. La communauté internationale exigeait de mettre un terme à l’ère Arafat ; les États-Unis et l’Union européenne voulaient absolument que l’Autorité palestinienne se réforme, imposer des normes de bonne gouvernance car elle était perçue comme mauvaise gestionnaire.
Le Fatah, le mouvement de Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas, est parti aux urnes désuni, non pas sur des questions idéologiques mais pour des rivalités personnelles, et le Hamas a, lui, engrangé un certain succès pour plusieurs raisons.
Lesquelles ?
Tout d’abord, parce qu’il faisait face à une Autorité palestinienne apparaissant comme peu efficace en n’ayant pas réussi à installer un État palestinien à la suite des accords d’Oslo, le pouvoir de Ramallah était aussi critiqué pour cela par de nombreux Palestiniens. Le Hamas est donc apparu comme une alternative et comme la voix de la résistance armée face à l’occupation et à Israël, face à une stratégie de négociation qui s’enlisait.
Il y a plusieurs accords de rapprochement entre le Fatah et le Hamas depuis 2006, souvent parrainés par certains pays du Golfe.
Le Hamas a alors remporté ces élections législatives et dominait le Conseil palestinien. Il faut ici rappeler que, contrairement à une idée reçue, Gaza n’était pas plus dominée que la Cisjordanie par le Hamas et il y a eu des candidats du Fatah élus dans la bande de Gaza. L’Autorité palestinienne n’a pas accepté la victoire du Hamas. Encouragée par les États-Unis, elle a tenté de chasser le Hamas du pouvoir.
La bataille s’est déroulée à Gaza et au cours de ces journées de juin 2007 où les hommes du Hamas se sont imposés lors d’affrontements armés contre les services de sécurité restés fidèles à l’Autorité palestinienne. En réaction à une tentative de coup, le Hamas a pris le pouvoir par la force dans la bande de Gaza.
Les territoires palestiniens ont donc été scindés entre une Autorité palestinienne qui a conservé le pouvoir en Cisjordanie, ou plutôt dans les petites portions de territoire qu’elle contrôlait, et la bande de Gaza contrôlée par le Hamas.
Pourquoi n’y a-t-il plus eu aucune élection organisée depuis ce scrutin en 2006 ?
En fait, il y a plusieurs accords de rapprochement entre le Fatah et le Hamas depuis 2006, souvent parrainés par certains pays du Golfe, qui ont essayé de réconcilier les « frères ennemis ». Les plans de réconciliation prévoyaient d’organiser des élections. En jouant sur la division, Israël a bloqué tout rapprochement et lorsque des progrès significatifs étaient accomplis, l’État hébreu faisait pression sur l’Autorité palestinienne pour stopper ce processus, notamment avec la rétention du versement des taxes dues à l’Autorité palestinienne et toute une palette de mesures économiques punitives.
Plusieurs guerres ont opposé le Hamas à Israël entre 2008 et 2021. Toutefois, en 2021, des élections étaient prévues et Mahmoud Abbas a pris comme prétexte le fait qu’il était impossible de tenir ce scrutin à Jérusalem parce qu’Israël voulait l’interdire, pour repousser sine die ces élections. Mais en réalité, tout le monde savait bien que le Fatah allait très certainement perdre ces élections et Mahmoud Abbas a préféré esquiver cette échéance.
Avec la libération des otages détenus par le Hamas et un cessez-le-feu qui pourrait être solide, quel peut être le « jour d’après » à Gaza et en Cisjordanie ?
À Gaza, l’avenir est très incertain car le plan de Trump énonce un certain nombre de principes, d’objectifs, mais dont la mise en œuvre apparaît très floue et n’est pas précisée. Et puis, c’est un plan qui n’a pas été négocié avec la partie palestinienne. Aussi, la manière dont cela pourrait être déployée sur le terrain promet d’être épineuse puisque beaucoup de questions restent en suspens.
Mais en réalité, tout le monde savait bien que le Fatah allait très certainement perdre les élections de 2021.
L’un des objectifs est le désarmement du Hamas, mais aussi l’installation d’une force de stabilisation internationale, celle d’un Comité de paix présidé par Trump et par Tony Blair, avec en-dessous un personnel palestinien, qui gèrerait uniquement les affaires locales ou municipales, sans véritable rôle politique. Ainsi, une des questions importantes qui se pose est de savoir si l’objectif de désarmement du Hamas est réaliste ou non. Le Hamas n’est pas partie prenante de l’accord et a accepté de libérer les otages – en faisant sur ce point pas mal de concessions.
Mais il n’a certainement pas l’intention de désarmer : même s’il a été beaucoup affaibli, on sait qu’il compterait plusieurs milliers de combattants, voire bien davantage… Par ailleurs, on ne sait pas non plus jusqu’où Israël va se retirer de la Bande de Gaza. Puisqu’on sait qu’Israël veut continuer de contrôler la frontière avec l’Égypte, une large de zone-tampon qu’elle va étendre et les différents points de passage pour entrer dans l’enclave.
Le plan de Trump déboucherait sur une sorte de protectorat par une autorité internationale. Le fait que ce contrôle international soit présidé par Tony Blair, un Britannique rappellera aux Palestinien le passé du mandat britannique. Cela sonne de manière ironique comme un retour à des décennies en arrière.
Le refus d’Israël de libérer Marwan Barghouti montre-t-il la volonté d’Israël de ne pas avoir d’interlocuteur crédible ou présentable en-dehors de cadres du Hamas ?
C’est la volonté de ne pas être confronté à quelqu’un que certains considèrent comme une icône palestinienne. D’ailleurs il est parfois surnommé le « Mandela des Palestiniens ». Il dispose d’une notoriété à l’international, il appartient au Fatah, mouvement modéré qui s’est engagé dans le processus d’Oslo. Il soutient la solution à deux États. C’est aussi quelqu’un qui jouit d’une grande popularité parmi les Palestiniens parce qu’il ne s’est pas compromis en participant à l’Autorité palestinienne ou à ses services de sécurité.
Depuis sa prison, il est à l’initiative de la Lettre des prisonniers, signée par toutes les formations politiques palestiniennes et qui affirme le projet politique d’édifier un État palestinien dans les frontières de 1967. Il incarne aussi cette possibilité de l’unité palestinienne entre les deux mouvements rivaux, ce que Mahmoud Abbas et les dirigeants du Hamas n’ont pas réussi à faire avant lui.
Quel candidat pourrait présenter le Fatah s’il y avait des élections aujourd’hui ?
Il n’y a aucune élection de prévue à ce jour. On peut difficilement imaginer qu’Israël tolère une élection nationale palestinienne qui serait à la fois tenue dans la bande de Gaza et en Cisjordanie voire à Jérusalem-Est. C’est cette distorsion entre la Cisjordanie et Gaza, en germe depuis longtemps et qui s’est creusée avec la rupture de 2007, qui constitue l’une des graves difficultés à relever. Le plan de Trump ne parle que de Gaza.
On ne sait pas non plus jusqu’où Israël va se retirer de la Bande de Gaza.
Dans un second temps, il faudra nécessairement refaire le lien avec la Cisjordanie. La figure de Mohammed Dahlan pour Gaza est une possibilité si l’on veut faire appel aux Palestiniens pour jouer un rôle dans leur propre destin. Dahlan est lui-même de Gaza qu’il connait bien et il peut compter sur une certaine base populaire, d’autant qu’il a fourni beaucoup d’aide financière aux plus démunis et qu’il a tissé des alliances au sein du Fatah contre Mahmoud Abbas.
Vu l’état de destruction de Gaza, une élection est-elle même possible ?
Il faut un minimum de réorganisation pour ouvrir la voie à une élection. Beaucoup de Palestiniens ont tout perdu. En Cisjordanie, certes il y a ce morcellement du territoire et l’avancée des colonies mais si Israël accepte une élection palestinienne, c’est tout à fait possible de l’organiser. En tout cas, ce qui est probable c’est que les résultats ne seront pas les mêmes à Gaza et en Cisjordanie. Dans la bande de Gaza, le Hamas perdrait les élections. Très nettement.
En Cisjordanie, il est possible qu’il les remporte. La population gazaouie a énormément souffert de la guerre – comme nous le savons. Et une partie des Gazaouis attribue une responsabilité au Hamas dans son malheur. Sans compter que les Gazaouis, depuis 2007, vivent sous le gouvernement du Hamas qui a exercé une dictature dans ce territoire clos. En Cisjordanie, le Hamas n’est guère autorisé à exister. C’est l’Autorité palestinienne qui gouverne et ses représentants qui sont critiqués. De ce point de vue, les expériences politiques sont divergentes.
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